Mauvaises conditions de vie, absence de structures d’accueil… Dans l’univers des malades mentaux

Le nombre de malades mentaux ne cesse d’augmenter depuis plus d’une décennie. Ils sont dans les rues de la capitale sénégalaise. Ils ont élu domicile les bâtiments inachevés, les rues, les marchés etc. Certains n’hésitent pas à fréquenter les lieux dédiés au loisir, les carrefours et les places publiques. Bienvenue dans le monde des malades mentaux communément appelés « fous ». Histoire des malades mentaux au Sénégal, une réalité, une souffrance et une planète. Reportage !

 

A Dakar, croiser un mental est si banal que parfois, il est possible de s’asseoir dans les restaurants de fortune, dans les coins de rues pour prendre ensemble le petit- déjeuner ou le déjeuner. Ces malades mentaux sont laissés pour compte en raison des multiples tabous auxquels ils sont victimes. Ces « fous » développent d’autres pathologies qui aggravent leur état de santé physique et mental. La dépression, la toxicomanie, la schizophrénie, le retard mental, l’autisme de l’enfant et la démence sont des cas de troubles mentaux fréquents. Les causes de nombreux troubles mentaux sont influencées par une association de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux : événements stressants, contexte familial difficile, pathologies cérébrales, hérédité, problèmes génétiques ou médicaux. Les premiers symptômes sont physiques (céphalées, troubles du sommeil), émotionnels (tristesse, peur, angoisse); cognitifs (difficulté à raisonner normalement, croyances anormales, troubles de la mémoire) ; comportementaux (comportement agressif usage abusif de substances) et la perception (perception visuelle ou auditive de choses que les autres ne voient ou n’entendent pas).

Un autre monde …

Pour réaliser ce reportage et discuter en toute quiétude avec les malades mentaux dans la capitale sénégalaise, nous avons sollicité les services du président de l’Association Sénégalaise pour le Suivi et l’Assistance aux Malades Mentaux (ASSAMM) réputé pour son engagement corps et âme pour la cause de cette frange vulnérable. Des positions qu’il compte défendre dans son programme pour la Présidentielle sénégalaise de 2019. « Un candidat proche des malades mentaux à ne surtout pas confondre avec un candidat des malades mentaux ». « Je comprends leur langage et ils me reconnaissent », se glorifie notre guide. Mercredi 03 octobre, une semaine exactement avant la célébration de la Journée mondiale de la santé mentale, sous le thème : « les jeunes et la santé mentale dans un monde en évolution ». Une journée qui intéresse moins, le ministère de la Santé et de l’Action sociale, selon M. Dionne.

De l’Hôpital de Fann, situé à un jet de pierres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), au rond pont de l’école normale environs 100 mètres de marche, nous rencontrons Bara, jeune de son pays. Bara c’est tout ce qu’il nous renseigne sur son identité et avant de disposer d’informations venant de lui, il a fallu une tasse de café. Il exige du café pour accompagner un pain sec qu’il tient dans sa main. Habillé en haillons, les mains en mouvement chassant les mouches, Bara, approché par notre guide Ansoumana, est aussi, et malheureusement, handicapé. Il a une jambe amputée. Ses béquilles sont posées juste à côté. A-t-il contracté une maladie qui aurait abouti à l’amputation de sa jambe ? Qui lui a offert les béquilles ? A-t-il ses parents dans la capitale ? Dort-il ici ? ». Plusieurs interrogations qui n’auront qu’une seule réponse : «Je viens de Touba». Lassé de répéter les mêmes paroles, malgré son tempérament de tendresse et de compassion, Ansoumana nous signale que le sieur n’a pas envie de parler.

 

Si le premier intervenant a pu donner son nom, ce n’est pas le cas chez son alter ego qui nous lorgnait quand nous étions en discussion avec Bara. Il a pourtant donné son numéro de téléphone car, dont il est le propriétaire. Numéro de téléphone oui mais … avec 7 chiffres alors que la numérotation téléphonique au Sénégal est composée de 9 chiffres. L’état de son portable … éteint, sans charge, abîmé … en dit long sur le numéro. Notre discussion prend forme avec lui, soudain il se lève, jette sa montre qui se trouve sur ses bagages par terre, « cette montre ne m’appartient pas ». Il nous revient et refuse catégoriquement de continuer la discussion. « Je suis questionnaire et je ne veux pas de questions. Tu dois avoir la même formation que moi pour me poser des questions. », dira-t-il dans un français impeccable. D’où vient-il ? Que s’est-il passé entre temps ? Encore des questions sans réponse. Le nombre de personnes aujourd’hui atteintes de troubles mentaux ou neurologiques ou souffrant de problèmes psychosociaux est estimé à 400 millions à travers le monde. Selon les experts, ces maladies de la dépression à l’épilepsie, seront la deuxième cause de mortalité et de handicap d’ici à 2020 soit un taux de 20% comparativement à 23 % pour les maladies cardiovasculaires et 11 % pour les cancers.

 

Saut à l’hôpital psychiatrique de Fann

Le service psychiatrique du Centre hospitalier national universitaire de Fann à Dakar est un hôpital construit depuis 1956. A l’hôpital Fann, plus précisément au service de psychiatrie baptisé clinique Moussa Diop, l’affluence est bien visible, des va-et-vient des patients en disent long sur leurs services. Jeunes hommes, jeunes femmes, personnes âgées défilent et répondent différemment à nos salutations. Soit ils répondre à plusieurs reprises, soit c’est le silence radio. Ici, tout n’est pas normal à l’image d’un jeune homme que nous croisons avec un grand tricot assorti d’une culotte qui couvre à peine ses cuisses et d’une tapette aux pieds. La composition vestimentaire parait étrange mais …, nous ne sommes pas dans une salle de défilé de mode mais dans un centre psychiatrique. Il parle à tout va tout, garde un sourire et fixe les regards. Au centre psychiatrique de l’hôpital Fann, chaque patient est accompagné. Cette mesure est instaurée pour un encadrement de la famille et éventuellement pour lutter contre les « pertes de vue ». Certains patients fuguent le centre pour se retrouver dans la rue alors que le traitement est en cours. « Pour ces cas, nous constatons souvent que ce sont des patients qui ne se croient pas malades. Et si les accompagnants ne sont pas rigoureux ou le personnel de l’hôpital débordé, le pire se produit », nous a soufflé Docteur Aїssa Diop du service de médecine interne.

Bonjour la rue avec ses conséquences…

Pour ce qui est de l’apport de l’Etat, Dr Aїssa Diop précise que « mise à part le traitement d’urgence qui se fait pour certains cas jugés préoccupants, les frais d’ordonnance sont à la charge de la famille du patient». «La société sénégalaise n’accepte pas que les troubles psychiques doivent être traitées à l’hôpital. Les familles viennent avec les malades mais tardivement après avoir fait le tour des ‘tradipraticiens’ et ne constatant aucune amélioration», reconnaît-elle. «Il y a des pathologies que le patient traite à vie et le traitement est suivi par des ordonnances. Pour ces cas,  précise Dr Diop, certaines familles ne supportent pas les charges financières par manque de moyens financiers ou parfois par négligence. Et la maladie s’aggrave».

La rue prend la relève

En 2014, le rapport d’enquête sur les malades mentaux de l’Association  sénégalaise pour le Suivi et l’Assistance aux malades mentaux fait état de 2192 malades mentaux errant au Sénégal, aussi bien dans les rues qu’au sein même des familles. Le rapport qui a été produit sur la période allant de janvier à juillet 2013 relève  que la plupart des cas sont victimes entre autres : de drogue, de l’alcool, du chômage, violences conjugales, enfance de la rue, conflit casamançais, surmenage intellectuel etc.

Quatre (4) ans plus tard, Ansoumana Dione que nous retrouvons ce 10 octobre devant les locaux du ministère de la Santé et de l’Action sociale souligne que ce nombre a augmenté de plus de 50 %. « Plus de 3000 malades mentaux errent dans les rues du pays », relève-t-il. Il est justement présent au ministère en cette journée mondiale dédiée aux malades mentaux pour déposer un mémorandum dans les locaux du ministre de tutelle, Abdoulaye Diouf Sarr. Une audience avec le président de République pour la restitution de leur centre d’encadrement et de traitement de Kaolack, construit en 2004 par l’ancien président Abdoulaye Wade. L’intégration des soins de santé mentale dans le système sanitaire, avec l’ouverture de services de psychiatrie dans les hôpitaux régionaux. L’ouverture d’une filière à l’Ecole Nationale de Développement Sanitaire et Social (ENDSS), pour la formation de techniciens supérieurs en santé mentale et l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de santé mentale, jusqu’ici, inexistante au Sénégal, sont quelques points phares de ce mémorandum.

 

Des centres oui mais… et il en manque énormément

Le Sénégal souffrant d’un manque constant de centres psychiatriques. Le centre psychiatrique de Fann n’acceptant pas les malades mentaux errants renvoie ces derniers à l’hôpital Psychiatrique de Thiaroye.

Visite à l’hôpital Psychiatrique de Thiaroye

L’hôpital Psychiatrique de Thiaroye est situé dans la banlieue dakaroise. Initialement construit pour constituer l’annexe de Fann en 1960, il est devenu un centre hospitalier autonome lors de la réforme hospitalière de 1998. Au centre de Thiaroye, la scène parait plus préoccupante que celle de Fann : des malades mentaux attachés aux bancs publics au niveau des consultations externes. Des scènes presque quotidiennes qui n’émeuvent plus personne dans ce centre. Une auxiliaire que nous avons rencontrée accepte de nous parler mais sous anonymat car, toute sortie médiatique doit avoir l’aval des responsables du centre. « Ces cas que vous voyez sont dus aux états violents des malades. Ce sont des malades errants qui ont été accompagnés dans le centre. Ils devaient normalement se retrouver dans des bâtiments d’origine mais les places sont insuffisantes », confie notre interlocutrice, formée aux techniques d’écoute, permettant de rompre l’isolement des patients.  Selon nos informations, cette structure dispose d’environ 150 lits fonctionnels avec une fréquentation annuelle de plus de 2500 cas.

 

 

Ils sont en danger et en constituent également

« Les malades mentaux sont souvent violents. Les laisser à eux-mêmes dans les rues constitue un réel danger pour nous tous. Ils sont bien capables de vous jeter des cailloux, vous poignarder avec un objet tranchant, vous brutaliser. Et ceci est bien justifier puisqu’ils sont dans un autre monde. C’est au pouvoir public de les interner dans des centres. Les familles également doivent jouer leur rôle en accompagnant leurs malades dans ces centres », indique M. Sakho, commerçant de son état, rencontré non loin de l’hôpital Psychiatrique de Thiaroye. Pour Ansoumana Dione, ces malades sont un danger de par leurs caractères violents mais ils sont aussi et surtout victimes des populations. « Ce sont les populations qui sont victimes des tracasseries des malades mentaux. Chaque jour vous attendez des malades mentaux tuer des personnes saines. Au Sénégal, 11 malades mentaux ont été assassinés sauvagement entre 2014 et 2018 et nous ne connaissons ni les assassins, ni les commanditaires. Nous avons déposé une plainte auprès du procureur de Rufisque. Nous avons dit au procureur que le commanditaire est le président Macky Sall, et ce dossier a été classé sans suite. C’est pour cela nous (ASSAMM) demandons une audience auprès du Chef de l’Etat pour démontrer la culpabilité de l’Etat», martèle-t-il.

 

Loin des spectacles qu’offrent ces malades mentaux dans les rues, nombreux sont leurs compères qui en offrent d’autres dans des maisons. Par peur, par croyance, par jugement du voisinage et très souvent par manque de moyens financiers, ces « fous » sont attachés dans leurs domiciles et subissent ainsi une autre forme de souffrance psychologique qui pourra aggraver leur état de santé. Le ministère de la Santé qui, visiblement, ne montre pas un attachement particulier à cette couche vulnérable de la société doit revoir sa position. Une négligence que nous pourrons justifier par cette banderole repérée ce 10 octobre 2018 devant le ministère. En effet, le thème choisi par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est : «  les jeunes et la santé mentale dans un monde en évolution ». Mais le ministère de la Santé et de l’Action sociale a, quant à lui, affiché le thème : « Solidarité avec les malades errants ». « Une bourde couplée d’incompétence », selon le Président de l’ASSAMM. Un thème national ou une bourde ? Personne au ministère n’a voulu répondre à nos interrogations.

 

Reportage réalisé par Ankou Sodjago

COMMENTAIRES
    Publiez un commentaire