« L’éthique, le droit et la mauvaise conscience », Par Ndiakhat NGOM

Si un référendum nous était proposé pour trancher la question du « oui » (5 ans) ou du « non » (7 ans) du mandat présidentiel, je le dis tout de suite. Je voterais pour le « non ». Dans nos pays en voie de développement, en effet, le premier mandat est souvent celui des négociations avec les bailleurs et institutions internationales dont le mécanisme de financement des projets de développement prend un temps considérable. J’estime donc le mandat de 5 ans insuffisant pour réaliser quelque chose. C’est un premier point.

Le second point important à mon avis touche au droit. Si un candidat à l’élection présidentielle prend l’engagement de réduire le mandat s’il est élu, alors il doit respecter sa parole. Le président s’est réfugié derrière la décision (l’avis ?) du Conseil constitutionnel pour maintenir les 7 ans. Certains ont évoqué l’idée qu’il a agi ainsi pour ne pas fragiliser cette institution suprême. Mais c’est oublier qu’il avait le choix. Entre autres, le président pouvait parfaitement prendre acte de l’avis du Conseil constitutionnel, mais également consulter le peuple, c’est-à-dire la « volonté générale » qui est, en dernière analyse, l’objet ultime de toute législation sociale.

Une telle attitude n’aurait, à mon avis, en rien, désavoué le Conseil constitutionnel, puisque le peuple, par principe, ne peut vouloir (lors du référendum) une chose qui va à l’encontre de ses propres intérêts. Ce qui est absurde. S’il se prononce pour un « oui », il n’y aurait pas de contradiction vis-à-vis du Conseil constitutionnel, puisque c’est l’instance dernière ou le « but ultime », comme dit Kant, qui se prononce sur la façon dont il aimerait être dirigé. A moins que le peuple ne soit, lui-même, masochiste…
Le troisième aspect touche aux relations entre le droit et l’éthique. Les juristes disent que tout ce qui n’est pas interdit est permis. Ce n’est pas le cas sur le plan philosophique et éthique. Ici, tout ce qui est légal n’est pas forcément moral. Tout ce qui est permis n’est pas forcément éthique. Même si le Conseil constitutionnel dit « non », alors que le président a donné sa parole (agréée par la majorité de la population), l’éthique devrait primer sur le droit.

Ce n’est pas par hasard si le mot wolof « baat » signifie à la fois « cou » et « parole ». C’est très intéressant. Le cou (la vie) est intimement lié à la parole (l’honneur). « Jokhé na sa ma baat » veut (terriblement) dire : « J’ai donné ma parole » et sous-tend : « Et je donne ma vie en gage ». En d’autres termes, celui qui donne sa parole tend en même temps son cou : pour être tranché en cas de non-respect de l’engagement…Ce trait de la richesse des sagesses africaines confine, en définitive, le président à vivre avec la mauvaise conscience nietzschéenne.

Enfin, le dernier aspect est une recommandation. Il faut être réaliste, prendre acte et laisser la vie suivre son cours. II serait simplement dommage que les Sénégalais passent leur temps à ressasser, d’ici 2019, ce qu’ils qualifient de « trahison ». Psychologiquement, cela les épuise, les rend malades, puisqu’ils deviennent revanchards, vindicatifs, réactifs. Le 16 février ne doit pas être un symptôme qui traumatise et nous empêche d’évoluer.

Bref, évitons de cultiver ce que Nietzsche appelle la « mémoire du ruminant » qui refuse de grandir et d’évoluer. Par l’arrimage de notre mémoire à cette date d’hiver 2016, nous risquons de rater l’essentiel, d’ici 2019 : avoir foi en l’avenir. Si chacun peut avoir son opinion sur la décision du président, il est, par contre, impératif que tout le monde se retrouve autour de l’essentiel : aménager une place conséquente dans notre quotidienneté au travail.
C’est cela que le réalisme patriotique commande.

Professeur de philosophie et de sciences politiques
ndiakhatngom@gmail.com

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