Les “Tirailleurs Sénégalais”: Une polémique sans raison ( Dr. Pierrette Herzberger-Fofana)*
La polémique actuelle qui défraie la chronique des quotidens sénégalais est en fait un affront, voire une offense grave à la mémoire des vaillants soldats de l’ex-empire français.
Recrutés de force ou considérés comme “volontaires forcés” durant la 1ère et la 2ème guerre mondiale, ces vétérans ne méritent pas d’être considérés comme des “traîtres”. C’est une bavure de taille qui souille la mémoire de ces valeureux soldats! Le respect dû aux aînés exige un peu de retenue et ne souffre pas qu’un tel vocabulaire leur soit attribué et que leur dignité soit ainsi bafouée. Les circonstances de leur recrutement, leur loyauté à l’époque, vis-à-vis de la “Mère-Patrie”, la France comme l’on désignait la puissance coloniale, était le gage de leur survie.
La commémoration du massacre de Thiaroye le 1er décembre 1944 a été célébré en grandes pompes au Sénégal. Nous saluons cette belle initiative qui sortait de l’oubli ces héros occultés de tous les manuels d’histoire. Cette cérémonie rehaussait le souvenir des anciens combattants et leur conférait un éclat particulier.
La commémoration du 1er décembre 2024, en rendant un vibrant hommage aux vaillants soldats, originaires de l’ex-Afrique Occidentale Française AOF et Afrique Équatoriale Française AEF était une reconnaissance de leurs sacrifices, un signal fort aux jeunes générations.
Déjà en août 2003, le gouvernement sénégalais avait organisé une cérémonie où 55 anciens combattants avaient défilé au cours de la parade militaire. Ce fut très émouvant de voir ces vétérans, drapés de leur dignité qui arboraient leurs médailles, symboles de leur effort de guerre au conflit mondial, de leur participation au rétablissement de la paix en Europe.
Ces anciens combattants étaient tous marqués par les signes du temps, une santé délabrée, une cécité galopante, une invalidité criante, une mobilité défaillante, assis sur chaise roulante. Pourtant ils avaient répondu présent à cette commémoration. Ces vétérans avaient été salués par le chef d’Etat de l’époque, maître Abdoulaye Wade qui s’était levé du haut de la tribune officielle pour rendre hommage à ces vaillants soldats.
Genèse des tirailleurs
En 1857, le gouverneur Faidherbe crée le corps des miliaires Africains que le général Mangin appellera plus tard „La Force Noire“. Les soldats Africains participent á la conquête de Madagascar et de 1895 à 1903, à la “pacification” de ce pays
Plus tard les anciens combattants prennent part à la guerre d’Indochine, à la guerre d‘Algérie, au Viet-Nam d’où nombreux d’entre eux ont fondé là-bas des familles avec lesquelles ils sont rentrées avec au Sénégal. Il y a eu probablement des exactions durant ces conquêtes coloniales qui expliquent l’animosité des ces populations vis-à-vis des “tirailleurs sénégalais”.
Durant la Première Guerre mondiale, près de 200.000 «Tirailleurs Sénégalais» de l’ex-Afrique occidentale et équatoriale française (AOF et AEF) ont combattu sous le drapeau français dont plus de 135 000 soldats en Europe, notamment à la bataille de l’Yser, à Verdun, sur la Somme (1916) et dans l’Aisne (1917). Quinze pour cent de leurs effectifs turent Addi Bâ, originaire de la Guinée “Tirailleurs Sénégalais” 1939-1944.
tués, soit 30 000 sont tombés sur le champ de bataille. Durant la seconde guerre mondiale, 300 000 Africains ont été recrutés. Ils ont participé au débarquement de Toulon. Ils ont été massacrés par la Wehrmacht, l’armée allemande à Lyon.188 d’entre eux reposent aujourd’hui au “Tata sénégalais” de Chasselay que nous avons visité, non loin de Lyon.
Replacé dans son contexte historique, le rôle de ces vétérans ne peut pas aujourd’hui être jeté aux orties et en faire des parias de la nation. Le débat doit porter sur de nombreuses questions que l’on peut á juste titre se poser.
Notamment, les “tirailleurs Sénégalais” avaient-ils un pouvoir de décision? Avaient-ils le libre choix de refuser? Pouvaient-ils se rallier à une armée secrète africaine quelconque de Résistance, comme c’était le cas dans les pays européens occupés par la Wehrmacht? Que se serait-il passé, s’ils n’avaient pas obtempéré aux ordres? Etaient-ils conscients de la portée de leurs actes? Avaient-ils les moyens de faire résistance comme c’était le cas des Forces Françaises Libres durant l’occupation de la France.
Ils ont été enrôlés pour des guerres qui, certes ne les concernaient pas, mais il faut reconnaitre qu’il n’avait pas le choix, pas d’autre alternative et surtout ils vivaient dans un contexte où la liberté individuelle et la conscience collective des peuples africains ne jouaient aucun rôle. Ils étaient tous sous domination française. Ils n’avaient pas le libre-arbitre du choix. Ils ont été contraints de prendre les armes pour défendre une cause qui leur était en fait étrangère.
C’est pourquoi, le narratif utilisé au 21è siècle est abusif pour leur coller une telle étiquette de “traîtres” pour décrire leur situation de 1895 à 1960 lors de leur dissolution. Qui pouvait imaginer que l’Afrique serait libérée du joug colonial en 1857 quand le gouverneur Faidherbe créé ce corps militaire ou même à la fin du conflit mondial en 1945?
Voilà un échantillon de questions qu’il faut se poser avant d’anéantir par la parole leurs actes de bravoure.
Les querelles intestines, les rivalités entre les royaumes africains avaient affaibli toute possibilité de résistance commune á l’oppresseur.
La collaboration du gouvernement de Vichy avec les Nazis, mise en œuvre par le maréchal Philippe Pétain, est un acte pleinement voulu, concrétisé par une poignée de mains entre les deux parties et ratifié par la convention d’armistice du 22 juin 1940 entre l’État français et les collaborateurs qui s’acoquinaient de leur plein gré avec les Nazis. Cette convention stipule dans son article 3 que :
«Le Gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte »
Cette convention est l’acte de trahison des collaborateurs français. Ceci en violation flagrante avec „l’Engagement Interallié du 28 mars 1940.“
La France était une puissance au même titre que l’Allemagne nazie et la collaboration n’a pas été imposée. Elle a été voulue par les sympathisants français du 3ème Reich. On voit bien que comparer les Tirailleurs aux collaborateurs français, cette comparaison est dénuée de tout bon sens.
Pourtant, c’est grâce à ces anciens combattants que l’on doit les premiers balbutiements et mouvements d’indépendance, car après avoir combattu en Europe, ils avaient compris qu’il était possible de se débarrasser de l’oppresseur en Afrique.
Ces vaillants anciens combattants
Au cours de nos recherches, nous avons eu l’ultime privilège d’avoir fait la connaissance de nombreux vétérans, surtout ceux faits prisonniers ici en Allemagne, entre autre le doyen des anciens combattans en 2005, feu El Hadj Ousmane Aliou Gadio, père de l’ancien Ministre d’Etat des Affaires étrangères, Dr. Cheikh Tidiane Gadio.
El Hadj Abdoulaye Diop, soldat qui faisait fonction d’interprète et de surveillant au camp de travail (Stalag) en Alsace. Il affirmait en allemand parlant de son geôlier, le SS Otto » Otto, war mein Freund « , » Otto fut mon ami..„
60 ans après la guerre, il était tout ému de pouvoir échanger avec nous quelques phrases dans la langue de Goethe et de Schiller. Les ouvrages scientifiques relatent de nombreux cas où les relations entre geôliers et prisonniers se métamorphosent au fil du temps et font place parfois à des rapports assez complexes. Mais surtout tous deux avaient compris qu’ils servaient des intérêts contraires à la belle amitié et fraternité des peuples.
El Hadj Amadou Diallo, Vice-Président de l’Association des Anciens combattants et prisonniers de guerre (Sénégal), El Hadj Ousseynou Diop, Secrétaire Général de la même association. Tous soldats du 42e régiment d’infanterie coloniale et prisonniers de guerre dans des camps de travail (Stalags.)
Henri Dieng fut prisonnier de guerre dans un stalag (camp de travail) en France. Il reste fidèle dans ses souvenirs à la France qu’il a servie loyalement.
Feu El Hadj Doudou Diallo, doublement rescapé des camps de concentration et du massacre de Thiaroye. Il avait quitté le camp la nuit pour rejoindre sa fiancée en ville, à Dakar. C’est ainsi qu’il a échappé au massacre. Il fut condamné par les militaires Français à cinq ans de prison qu’il passera à la prison de Rebeuss à Dakar. Les autorités militaires françaises le considéraient comme le meneur de la révolte de Thiaroye qui a fait une centaine de morts.
Doudou Diallo fut le président des anciens combattants du Sénégal de 1966 à l’an 2000.
Nous vouons un respect infini et une admiration sans bornes à tous ces grands-pères pour leur courage, leur résilience et leur long silence. Ils ne méritent pas une telle humiliation, voire une telle injure.
Nous pouvons imaginer la douleur des familles de ces vaillants soldats ”Tirailleurs” de voir traîner dans la boue leurs aïeux. Nous partageons leur chagrin, et en pensée, séchons leurs larmes pour cette bévue incroyable. Une telle polémique n’a pas sa raison d’être!.
Le 21 mars 2024, à l’occasion de la Semaine Anti-Racisme et Diversité et dela Journée internationale contre le Racisme, nous avons rendu un hommage solennel aux “Oubliés de l’histoire, aux Noirs, d’ascendance africaine”, résistants et prisonniers, belgo-Congolais des camps de concentration en Allemagne au Parlement Européen à Bruxelles.
Nous espérons que les divers massacres de la Wehrmacht allemand, tels que ceux de Lyon, en Picardie, au Bois d’Eraine, en Bourgogne à Châtillon-sur-Seine, à Clamecy et ceux perpétrés sur le sol allemand à Fitzlar soient reconnus et commémorés afin que l’âme de tous ces anciens combattants, 80 ans après la fin du conflit mondial reposent en paix.
Pour avoir visité les cimetières de ces vétérans en France à Chasselay et aux alentours, et en Allemagne, il nous semble que des excuses officielles pourraient rétablir la cohésion pacifique au sein de la nation sénégalaise et apaiser la douleur des familles.
Il est de notre devoir de revisiter les chapitres douloureux, tragiques de l’histoire entre l’Europe et l’Afrique. Au lieu de nous complaire dans une critique aisée, réfléchissons ensemble à notre passé commun avec un regard lucide qui mettent en valeur les liens qui unissent L’Europe à l’Afrique.
*Lauréate du Grand Prix du Président de la République du Sénégal pour les Sciences.Dakar 30 juin 2003. https://www.grioo.com/info11494.html
Députée au Parlement Européen (2019-2024)
Toi tu es d’or?
Bravo et merci pour ce brillant rappel historique qui a le mérite de placer les choses dans leur contexte. La lucidité et l’élévation d’esprit sont bien évidemment requises Soyons conscients de la véritable mesure des choses avant d’en tirer quelques extrapolations aussi stupides que ridicules. Encore merci pour votre claire vision et votre brillante perception d’une si douloureuse et et si tragique réalité
Le narratif est sélectif. Tout est question de paradigme. Il faut faire le départ entre la commémoration du massacre qui est un devoir de mémoire et l’action réelle des tirailleurs quelle que soit la période considérée. Dans leurs rapports aux africains, ces tirailleurs sont des traîtres à la nation africaine parcequ’ils se sont dresses comme des animaux contre leurs propres frères malgaches et algériens. Ces pays pouvaient bel et bien considérer ces épisodes autrement et organiser des journées noires en souvenir des exactions et des violences qu’ils sont commises dans ces contrées au point qu’ils y sont qualifiés d’animaux!
Bravo, bien in dit.