Réponse à Cheikh Omar Diagne sur les tirailleurs sénégalais et le massacre de Thiaroye (Par Djibril Gueye)*
Monsieur Cheikh Omar Diagne, Vos récents propos qualifiant les tirailleurs sénégalais de « traîtres » ont provoqué une profonde indignation parmi les Sénégalais et au-delà. Une telle lecture de l’histoire, volontairement réductrice, néglige les contextes complexes dans lesquels ces hommes ont été enrôlés et occulte leur contribution non seulement à l’histoire africaine, mais également à celle de l’humanité. Permettez-moi de vous répondre méthodiquement, en m’appuyant notamment sur les réflexions de Cheikh Anta Diop et d’autres grandes figures de la pensée africaine.
1. Le contexte du recrutement des tirailleurs sénégalais
Les tirailleurs sénégalais n’étaient pas des soldats volontaires dans leur grande majorité. Ils furent souvent recrutés de force dans des conditions brutales par l’administration coloniale française. Cheikh Anta Diop, dans Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique, souligne que : « Les Africains étaient considérés comme des ressources exploitables par le colonisateur, qu’il s’agisse de leurs terres ou de leur force de travail. »
Qualifier de « traîtres » ces hommes contraints de porter les armes pour une puissance coloniale qu’ils ne servaient pas de leur plein gré est une injustice profonde. Ils furent eux-mêmes des victimes d’un système oppressif.
2. Le massacre de Thiaroye : un symbole de l’ingratitude coloniale
Le massacre de Thiaroye en 1944 incarne l’ingratitude et la violence du système colonial. Ces tirailleurs, qui avaient risqué leur vie pour la France, furent exécutés pour avoir simplement réclamé leurs droits légitimes : leurs soldes et une reconnaissance de leurs sacrifices. Cheikh Anta Diop évoque cet épisode dans ses réflexions sur la domination coloniale. Il décrit l’exploitation et la répression systémique des Africains, affirmant que ces événements symbolisent les contradictions fondamentales du colonialisme :
« L’Afrique, dans son combat pour la liberté, doit réhabiliter la mémoire de ceux qui ont été opprimés, y compris ceux contraints de servir l’oppresseur. » Ces hommes n’étaient pas des traîtres, mais des victimes d’un système qui les utilisait comme de simples outils de guerre.
3. Une mémoire à réhabiliter Cheikh Anta Diop appelle à une réappropriation de l’histoire africaine pour restaurer la dignité de nos peuples. Cela inclut la reconnaissance des sacrifices des tirailleurs sénégalais, non pas comme des complices du colonialisme, mais comme des symboles des injustices subies par les Africains. Votre approche réductrice ignore cette complexité historique et divise inutilement. Il est essentiel, comme l’a affirmé Diop, de dépasser les interprétations simplistes et de travailler à une réconciliation avec notre histoire pour mieux bâtir notre avenir.
4. Une invitation à la nuance et à la responsabilité En tant que figure publique, vos propos se doivent d’être à la hauteur des responsabilités que vous portez. Cheikh Anta Diop insistait sur l’importance d’un discours rigoureux et éclairé dans les débats publics. Réduire l’histoire des tirailleurs à un simple acte de « trahison » est non seulement historiquement inexact, mais également une insulte à leur mémoire et à celle des familles qui continuent de porter ce lourd héritage.
Conclusion : honorer plutôt que diviser Plutôt que de diviser les Sénégalais en caricaturant l’histoire, il serait plus sage de s’inspirer de l’exemple de Cheikh Anta Diop, qui a toujours appelé à une réhabilitation collective et à une souveraineté véritable, basée sur une compréhension approfondie de notre passé. Le massacre de Thiaroye et l’histoire des tirailleurs sénégalais doivent nous unir dans une quête de justice historique, et non nous opposer par des interprétations simplistes et inexactes.
*Président du Mouvement Sénégal Dignité pour Tous