La 14e législature au Sénégal est constituée par une majorité appartenant au groupe parlementaire de l’opposition, dit « Benno Bokk Yakaar » (BBY). Cette configuration de l’hémicycle résulte des élections législatives ayant précédé l’avènement du Président Diomaye FAYE au pouvoir. Elle a particulièrement accentué le « jeu de yoyo » entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Dans ces circonstances, le chef du groupe parlementaire de l’opposition (BBY) a déposé, le 3 septembre dernier, une motion de censure contre le gouvernement dirigé par Ousmane SONKO. Celle-ci est prévue à l’article 86 de la Constitution du 22 janvier 2001, qui dispose que « l’Assemblée nationale peut provoquer la démission du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ». En effet, une motion de censure est un moyen dont dispose l’Assemblée nationale pour montrer sa désapprobation envers la politique du gouvernement et forcer celui-ci à démissionner. Si la motion de censure du groupe parlementaire de l’opposition est donc adoptée, le Premier Ministre devrait remettre immédiatement la démission du Gouvernement au Président de la République.
Pour faire déjouer cette motion de censure, le Président de la République, en vertu des pouvoirs que lui confère la Constitution, notamment l’article 84, a pris le décret n° 2024-1880 en date du 4 septembre 2024 portant convocation de l’Assemblée nationale à session extraordinaire. Ce décret, compte tenu de ses effets neutralisants, semble être d’une part, une stratégie politique orthodoxe (I), et d’autre part, une sentinelle du projet de dissolution de l’Assemblée nationale (II).
- La session extraordinaire, une stratégie politique orthodoxe
Conformément à l’article 63 de la Constitution du 21 janvier 2001, l’Assemblée nationale peut être réunie en session extraordinaire à la demande écrite de plus de la moitié des députés ou sur décision du Président de la République. S’inscrivant dans le même sillage, l’article 5 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale dispose que celle-ci est réunie en session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé, soit sur décision de son Bureau, soit sur demande écrite de plus de la moitié de ses membres, adressée à son Président ou sur décision du Président de la République.
Ainsi précisé, le Président de la République est indubitablement habilité à convoquer une session extraordinaire et de fixer l’ordre du jour. Mieux encore, il peut librement décider que l’ordre du jour de la session extraordinaire sera prioritaire par rapport aux autres points devant être débattus au sein de l’hémicycle. Cette prérogative trouve son fondement juridique à travers l’article 84 de la Constitution qui dispose que « l’inscription, par priorité, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou du Sénat d’un projet ou d’une proposition de loi ou d’une déclaration de politique générale, est de droit si le Président de la République ou le Premier Ministre en fait la demande ».
En application de ces dispositions constitutionnelles, si le Président de la République ou le premier Ministre en fait la demande, les projets ou propositions de loi et la déclaration de politique générale doivent être inscrits, par priorité, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ce qui fait du Président de la République, le Maître du jeu de la priorisation de l’ordre du jour de la session extraordinaire.
Dans ces conditions, par décret n° 2024-1880 en date du 4 septembre 2024, le Président de la République a convoqué l’Assemblée Nationale à une session extraordinaire. L’article Premier dudit décret dispose que « l’Assemblée nationale est convoquée en session extraordinaire, le jeudi 5 septembre 2024 à 10 heures ». Le même décret, à travers son article 2 notamment, fixe en priorité l’ordre du jour de la session extraordinaire, conformément à l’article 84 de la Constitution.
Quoi que conforme à la réglementation en vigueur, il ne serait pas sans intérêt de se demander si la motion de censure déposée par le groupe parlementaire de l’opposition (BBY) le 3 septembre doit être suspendue le temps que la session extraordinaire soit clôturée ?
Pour répondre à cette interrogation, rappelons que l’article 86 de la Constitution dispose que « le vote de la motion de censure ne peut intervenir que deux jours francs après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale ». Le verbe pouvoir (« peut ») utilisé par le constituant sénégalais pour fixer le délai minimum de deux jours francs en vertu duquel peut intervenir une motion de censure n’est pas ex-nihilo. Le pouvoir constituant exige seulement le respect de ce délai minimum et ne fixe aucunement un délai maximum d’intervention de la motion de censure. Or, la priorisation de l’ordre du jour de la session extraordinaire est expressément prévue par la Constitution, notamment à son article 84 précité.
C’est donc en bon droit que le décret convoquant l’Assemblée Nationale à une session extraordinaire et priorisant l’ordre du jour de celle-ci au détriment de la motion de censure a été pris, quoi que ses effets puissent relever, à tort ou à raison, d’une stratégie politique.
- La session extraordinaire, une sentinelle du projet de dissolution de l’Assemblée nationale
Dans le contexte politique sénégalais marqué par l’avènement du parti PASTEF au pouvoir et une Assemblée nationale dominée par le groupe parlementaire de l’opposition (BBY), la dissolution de la 14e législature a largement été plébiscitée par une bonne partie des citoyens sénégalais et acteurs politiques. Cette dissolution est une prérogative du Président de la République et permet de mettre fin, de façon prématurée, au mandat des députés. Elle est régie par les dispositions de l’article 87 de la Constitution et ne peut intervenir durant les deux premières années de législature.
Si la dissolution de la 14e législature a été plébiscitée, elle est aujourd’hui plus qu’une éventualité. Par une communication publique du premier ministre Ousmane SONKO en date du 4 septembre – le même jour que le décret n° 2024-1880 précité – il affirme, de façon péremptoire, qu’une motion de censure n’aurait pas lieu et que l’Assemblée nationale serait dissoute à compter du 12 septembre 2024.
A titre de rappel, les 165 députés de la 14ème législature pour la mandature 2022-2027 ont été convoqués à l’hémicycle, lundi 12 septembre 2022 correspondant à la date de l’installation officielle des députés. La date du 12 septembre 2024 évoquée par le premier ministre correspondrait donc à la date du deuxième anniversaire de la 14e législature suite à leur installation officielle. A compter de cette date, le Président de la République pourrait juridiquement prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, étant rappelé que la dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de législature.
Ce préalable évoqué, il s’avère judicieux de se poser la question suivante : en quoi la session extraordinaire du 5 septembre serait une sentinelle du projet de dissolution de l’Assemblée nationale ?
L’article 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale encadre la durée des sessions extraordinaire. En ce sens, il dispose que « la durée de chaque session extraordinaire ne peut dépasser quinze (15) jours, sauf dans le cas prévu à l’article 68 de la Constitution ». En d’autres termes, une session extraordinaire ne peut dépasser quinze (15) jours que lorsqu’elle concerne les projets de lois de finances prévus à l’article 68 de la Constitution.
En tirant les conséquences de ces dispositions, il convient de noter que la session extraordinaire convoquée le 5 septembre pourra être maintenue pour une durée de 15 jours, soit jusqu’au 19 septembre 2024, à condition de ne pas épuiser l’ordre du jour sitôt. Car « les sessions extraordinaires sont closes sitôt l’ordre du jour épuisé » (article 5 précité).
Les points prévus à l’ordre du jour de la session extraordinaire du 5 septembre (notamment le projet de loi de règlement pour la gestion 2022, le projet de loi autorisant le Président de la République à ratifier la Convention de Niamey, le projet de loi relatif à la Commission nationale des Droits de l’Homme et la déclaration de politique générale) sont, au regard de leur teneur, susceptibles d’être débattus sur une période pouvant aller jusqu’à deux semaines.
En procédant ainsi, l’exécutif protégera sans doute son projet de dissolution de l’Assemblée nationale par la « dilatation », sans subir les risques de destitution du gouvernement par le biais d’une motion de censure. L’Assemblée nationale pourra être dissoute, rappelons-le, à compter du 12 septembre. Or, la session extraordinaire peut aller jusqu’au 19 septembre. Cette dissolution aura pour effet d’interrompre les travaux des députés. Tous les projets de loi en cours d’examen, y compris ceux de la session extraordinaire, seront ainsi arrêtés et deviennent caducs.
Au demeurant, même le choix de mettre « la déclaration de politique générale » en dernière position n’est pas un choix anodin. L’Assemblée nationale serait probablement dissoute avant d’épuiser les autres points précédant cette déclaration, réconfortant ainsi l’idée selon laquelle la session extraordinaire est un contre-feu neutralisant la motion de censure.
Mouhamadou MBODJ
Doctorant en Droit public à l’Université de Reims
Responsable du service juridique de la Ville de Champigny-sur-Marne
Mail : mouhamadoumbodj94@gmail.com