État des lieux sur les réformes des curricula au Sénégal : Quels changements et quels enjeux ?

Depuis son accession à l´indépendance, le Sénégal a connu plusieurs réformes majeures de son système éducatif, notamment celles de 1962, 1971, 1991, 2000 et 2012, pour l´adapter aux réalités socio-économiques nationales. D´abord, la première réforme de 1962 dont l´objectif consistait à arrimer le système éducatif aux exigences et besoins du pays nouvellement indépendant fut suivie de celle de 1971 (Loi d’Orientation de l’Education nationale 71-36 du 3 juin 1971) avec comme principale ambition la prise en charge des réalités africaines et l´épanouissement des valeurs culturelles du continent.
Huit années plus tard, l´Etat sénégalais procéda à la signature du décret n° 79-1165 du 20 Décembre 1979 portant organisation de l’enseignement élémentaire, à la veille des états généraux de l’Education et de la Formation de janvier 1981. Ces états généraux jetèrent les bases de la création de «l’Ecole Nouvelle» visant l´articulation de la théorie à la pratique et la réhabilitation du travail manuel en tant que facteur d’insertion sociale, la mise en place de la cellule école/milieu pour renforcer l´aspect communautaire de l’école, l´élaboration et le financement de plans d’action d’écoles liés à la mise en œuvre des programmes des classes pilotes et la suppression de la méthode «Pour parler français» communément appelée méthode CLAD. Après une décennie, fut votée la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 donc les objectifs étaient de réitérer et réaffirmer la laïcité, de promouvoir les valeurs démocratiques et de continuer à ancrer l’école dans les réalités sénégalaises et africaines. Par ailleurs, la loi 2004-37 du 15 décembre 2004 dont l´objet était l´instruction obligatoire pour une période scolaire de 10 ans pour les enfants âgés de 6 à 16 ans, a été votée dans le cadre de la mise en œuvre du Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF 2000/2012) ambitionnant globalement «l´Éducation Pour Tous». Au terme de ce plan décennal, une nouvelle Lettre de Politique Sectorielle Générale pour l’Education et la Formation dénommée (PAQUET-EF 2013/2025) a été élaborée, puis actualisée pour la période de 2018/2030. Dans ce programme, la prise en considération des nouvelles orientations relatives aux engagements internationaux (ODD4, Agenda 2063 de l’Union africaine…) et nationaux (PSE, acte III de la décentralisation) du Sénégal reste au cœur des préoccupations. Enfin, en 2015, les conclusions des Assises de l’éducation et de la formation déclinent une feuille de route dont l´objectif général demeure une école pour tous, de qualité, viable, stable et pacifiée.
Toutes ces reformes susmentionnées ont en commun la volonté d´instaurer un système éducatif endogène, pensé par nous et pour nous, ayant comme seul socle les valeurs culturelles du pays et ouvert à celles universelles. Leur évaluation constitue, pour autant, un défi majeur pour mesurer l’efficacité et l´efficience des politiques éducatives et leur impact réel sur les enseignements-apprentissages et les apprenants.
Pour s´aligner à l´axe II du référentiel VISION SENEGAL 2050 qui met l´emphase sur le développement du capital humain dans une équité sociale en bâtissant un système d’éducation et de formation professionnelle et technique de qualité, les nouvelles autorités éducatives travaillent à améliorer la gouvernance et le financement du système éducatif, à rendre effective l´intégration des «daaras» dans le système éducatif, à promouvoir l´alphabétisation et les langues nationales, à généraliser l´anglais dans l´enseignement élémentaire, à renforcer l’éducation inclusive (enfants vulnérables, jeunes handicapés…), à mettre en œuvre un programme national de promotion du civisme et de la citoyenneté, à valoriser la formation technico-professionnelle (adéquation formation/emploi) et à promouvoir l’enseignement supérieur et la recherche
scientifique dans le seul soucis d´un changement définitif de paradigme au bénéfice du système éducatif sénégalais.
Toutefois, si des progrès significatifs sont notés dans ce sens, les défis restent entiers et méritent une profonde réflexion.
Les progrès des réformes curriculaires
Les réformes successives ont permis au Sénégal de réaliser plusieurs avancées dans le secteur de l´Education et de la Formation. D´abord, on peut relever l´adoption de méthodes pédagogiques innovantes avec l’approche par les compétences (APC) permettant, ainsi, de rendre les apprentissages plus concrets et conformes aux besoins des apprenants. L’élaboration de programmes prenant en compte l’éducation bilingue (langues nationales et français) favorise également une meilleure appropriation des connaissances pour un développement de curricula plus inclusifs. Par ailleurs, le renforcement de la formation des enseignants s´est matérialisé par des efforts allant dans le sens d´améliorer leur formation initiale et continue afin de faciliter la mise en œuvre des nouveaux curricula. Enfin, pour une meilleure valorisation de l’enseignement technico-professionnel, d´autres réformes ont visé à renforcer l’adéquation entre la formation et l´emploi des jeunes, notamment à travers l’introduction de filières techniques dès le second cycle.
Les défis à relever
En dépit de tous ces progrès, beaucoup d´obstacles sapent encore l’efficacité et l´efficience des réformes curriculaires. En sus du manque d’appropriation par certains enseignants, souvent causé par la non-maîtrise de certaines innovations pédagogiques et le manque de formation adéquate et de suivi, une des difficultés majeures reste l´insuffisance des ressources pédagogiques et d´infrastructures adaptées; ce qui entrave significativement l’application des nouveaux curricula.
Les manquements dans le suivi-évaluation, à travers l’absence d’un fort dispositif national d’évaluation limitent la mesure de l’impact réel des réformes sur la qualité des enseignements-apprentissages. Aussi, faut-il souligner que certains acteurs du système éducatif, souvent réfractaires au changement, opposent beaucoup de
réticences aux réformes, freinant ainsi leur mise en œuvre effective. L´inadéquation des contenus pédagogiques au marché professionnel constitue également un défi à relever car les programmes pédagogiques ne répondent pas toujours aux exigences du marché du travail; ce qui nécessite un alignement plus stratégique.
Perspectives et quelques recommandations
L´exploitation du rapport PISA-D (Programme for International Student Assessment) pour le développement qui est un outil international d´évaluation des systèmes éducatifs a permis d´identifier certains défis pour pouvoir décliner des recommandations telles que l´amélioration de l´accès aux ressources éducationnelles, la création de réseaux de soutien entre enseignants pour le partage de bonnes pratiques, le perfectionnement de la gestion ou du pilotage de ces réformes avec l´utilisation de données fiables et de preuves concrètes liées aux performances du système pour bien guider les orientations et décisions politiques. Sur ce point, il faudrait, en amont, capaciter les responsables de la mise en œuvre des reformes à l´utilisation et l´exploitation de ces données stratégiques.
Pour le renforcement de l’impact des réformes curriculaires, il également est impératif d´instaurer un cadre national de suivi-évaluation régulier pour mesurer l’efficacité et l´efficience des projets et programmes éducatifs, d´améliorer davantage la formation initiale et continue des enseignants pour assurer une meilleure appropriation des approches pédagogiques, de garantir un financement adéquat pour la mise en œuvre des curricula et l’amélioration des infrastructures scolaires, d´associer tous les acteurs du système éducatif (enseignants, parents d´élèves, communautés, société civile, secteur
privé…) dans l´élaboration et l’évaluation des contenus et de promouvoir une meilleure adéquation entre la formation et le marché du travail afin de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Ainsi, une bonne implication des enseignants et formateurs durant tout le processus, un bon dispositif communicationnel (porté par la DFC) et un mécanisme efficace de transparence concourent à une bonne réussite de la réforme des curricula.
En définitive, l’évaluation des réformes curriculaires est un processus fondamental pour bâtir un système éducatif performant et adapté aux réalités socio économiques du pays. En consolidant les acquis et en relevant les défis identifiés, l’éducation sénégalaise pourra répondre efficacement aux besoins d´un développement endogène et autocentré du pays.
Dr. Madieumbe SENE
MONCAP/ Enseignement Sup./Education/Form. Pro.
Expert en Politiques et Réformes éducatives
Spécialiste des Droits humains, Paix et Développement
durable et en intervention socio-éducative
Chargé de la Coopération et des Partenariats
IGEF/MEN
drmadieumbesene@gmail.com
madieumbe.sene@education.sn