ECO : Tel est pris… Par Adama Gaye

Gare à l’exubérance irrationnelle, avait averti Alan Greenspan, grand banquier central, Président de la Réserve Fédérale américaine, avant que la crise financière de 2007 ne vienne détruire son image. Son souvenir me revient en tête alors que je tente de comprendre les risques de ce qui s’apparente à une exubérance psychologique depuis l’annonce de la mort, artificielle, du franc CFA, et la naissance, par césarienne, de l’ECO, la nouvelle monnaie des pays francophones, surtout ceux d’Afrique de l’Ouest.

Prendre la parole
Je laisse aux spécialistes de la monnaie et de l’économie des théories y relatives le soin de prendre la parole et de nous expliquer de quoi tout cela retourne. Qu’ils me permettent cependant d’apporter mon modeste grain de sel sur un sujet tellement sensible qu’il n’est abordé qu’avec des pincettes, en des lieux selects, cachés, et exprimé en des mots tellement ronds, abscons, qu’il faut une loupe pour déceler leurs significations. Les banques centrales, de celle devenue indépendante de l’Europe, à celle d’Angleterre, notamment sous Mervyn King, ou encore celle de l’Amérique, voire la Chinoise, sous l’emprise du leadership politique fermé de la Chine, restent des citadelles du…silence inaccessibles.

Pendant longtemps, la banque centrale des pays francophones d’Afrique (celle de l’Ouest et son alter-égo du Centre) a fonctionné avec un mandat l’extirpant de l’immixtion des gouvernements au point de souvent susciter leur ire.
Ce qui est en train de changer, en Afrique comme ailleurs, c’est le rejet des mandarinats bancaires, leur exclusivité, comme les militaires avec les questions liées à la guerre, à décider, seuls, de l’argent, du destin, des individus ordinaires.

Une exubérance populaire, plus grave, parce qu’impérative, est devenue donc la nouvelle menace sur la question monétaire.

C’est précisément ce qu’Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, respectivement Président de la France et de la Côte d’Ivoire, n’ont pas compris à l’heure d’une techtonique des plaques numériques où les décisions les plus brillantes sont aussitôt frappées d’illégitimité quand elles sont prises sans une vraie consultation en amont.

Voici donc le premier faux pas que porte l’annonce de la nouvelle monnaie : elle a été faite par des individus n’en ayant pas la légitimité pour des peuples qui, a priori, ont toutes les raisons d’en suspecter la bienveillance.

Un rappel historique permet d’en avoir le cœur net. Souvenons-nous : au début des années 1990, alors qu’il est Premier ministre de Côte d’Ivoire, perçu comme l’homme du Fonds monétaire international (Fmi), Ouattara s’était fait le chantre de la première dévaluation du CFA, changement de nom qui ne portait pas son titre. Il avait été le cheval de Troie de son vrai mentor, Michel Camdessus, alors patron du FMI. Tout s’était passé à Dakar. Abdou Diouf, à l’époque Président du Sénégal, et homme clé de la Françafrique puisque l’Ivoirien Houphouët était mourant et qu’Omar Bongo était fragilisé par la démocratisation, avait juré qu’il n’y aurait pas dévaluation. Comme Ouattara l’a fait ces derniers temps en vantant les mérites, l’irremplaçabilité, du Cfa. L’un est l’autre ont dû avaler leurs certitudes.

Dans le premier cas, c’est la France qui a pris, tels des moutons, les pays de la zone CFA, pour leur faire signer de nouveaux accords et les amener à créer des unions monétaires, comme l’Uemoa, dont le seul but, en 1993, était d’empêcher que la CEDEAO devienne l’unique organisation régionale de coopération et d’intégration en Afrique de l’Ouest. Je me souviens que le Traité de la Cedeao en fut changé en son Article 2 ne lui donnant que le statut de jouer ce rôle « à terme ». C’est avec cette réserve que le Traité fut adopté par le Sommet de la CEDEAO à Cotonou en Juin 1993. Peu après, lors d’un autre sommet, tenu à Abuja, les pays francophones se firent désirer. Aucun d’eux, en dehors du Béninois Nicéphore Soglo, qui devait transmettre la présidence en exercice de la CEDEAO au Ghanéen Jerry Rawlings ne se présentât.

« Où sont nos frères francophones », s’étrangla Rawlings, lors d’une conférence de presse finale que j’avais organisée avec lui.
Il ajouta: « Qu’ils sachent que nos pays anglophones et lusophones sont habitués à la dévaluation mais ça ne nous empêche pas de vivre ».

Jusqu’à la caricature
C’est à une répétition de l’histoire que nous assistons avec l’encadrement de bout en bout, honteux, du processus de création de l’ECO, jusqu’à la caricature.

De la réunion de l’Uemoa à Dakar, avec la convocation de la nouvelle directrice du Fmi, en quête de légitimité, à l’impérium intellectuel de Ouattara, revenu sur les terres de sa carrière bancaire, ce fut la même chorégraphie. Pis, cette fois-ci, la France, s’accoudant sur ses moyens de propagande, avec des médiateurs soupçonnés d’être entre loges maçonniques et services de renseignements, fit monter au créneau les Alain Foka, François Soudan, en plus de mobiliser la « Radio Mondiale », Rfi, et sa sœur télévisuelle, France 24, Jeune Afrique complétant la plateforme.

Les esprits étaient travaillés insidieusement et le timing chronométré : la veille du Sommet de la Cedeao qui devait s’ouvrir en fin de cette semaine écoulée, arriva, à la surprise générale, un Macron, désireux soudain de souper avec les troupes françaises basées en Côte d’Ivoire.

En réalité, c’était pour préciser les termes du briefing que son homologue Ivoirien devait faire le lendemain à ses collègues de la Cedeao. Les éléments de langage étaient affinés, suffisamment retenus pour que les deux complices puissent prendre le risque d’annoncer la mesure avant le départ de l’un sur Abuja.

Les analystes, financiers, dont certains de nos compatriotes fort talentueux, même si on en compte de bruyants en quête de buzz et de relance de leur carrière intellectuelle écornée, ont déjà évoqué les lacunes et l’arnaque autour du projet.
Force est, faisant un parallèle avec les conditions de la dévaluation de 1994, d’y voir un autre coup de jarnac, vraie trahison, au leadership de la Cedeao sur la monnaie commune Ouest africaine.

Qu’on se le dise clairement : ce qui a été décidé par Ouattara et Macron, c’est la dégradation du Cfa. Comme avant 1994 quand le CFA cessa soudain d’être transférable en France en numéraires, et que sa valeur fut réduite, on peut gager que, ne serait-ce qu’au plan psychologique, les conditions sont réunies pour une série de ce que les banquiers appellent le « bank-run », la ruée vers les banques pour se délester de la maudite, toxiquement transmissible, monnaie.
La grande question est de savoir comment et pourquoi les dirigeants francophones, peu disposés à la révolution monétaire mettant fin à la dénomination de la monnaie de nos pays, se sont-ils résolus à en porter le combat ?

Ma réponse est simple : c’est en échange du soutien de Paris à leurs rêves de se maintenir au pouvoir par des changements constitutionnels, y compris le déverrouillage de Constitutions interdisant la prolongation de mandats présidentiels au-delà des termes prescrits.

C’est donc un autre coup de poignard celui-là qui est planté sur le cœur des rêves démocratiques africains par des pouvoiristes ayant vendu leur âme rien que pour se perpétuer à leurs postes.

Autant dire que tout change pour demeurer sous le soleil d’une Afrique francophone où, décidément, Jacques Foccart, se serait senti à l’aise, ravi de voir que ses pratiques, sa culture d’une francafrique antinationale et la servilité de ses représentants sur le continent,sont restées en l’état, et, mieux ou pire, en étant raffinées pour que la pilule passe –même avec l’aide des exubérants théoriciens qui n’y ont encore vu que du feu et une population, la grande perdante, sacrifiée à l’autel d’une recolonisation consentie, par le biais du cœur d’une souveraineté à l’abandon, celle de la monnaie.
Nous sommes revenus à la case départ. Avec une monnaie de singe et des sucettes pour les agités du bocage, les alter-africanistes se posant en apôtres d’une nouvelle monnaie sans même réfléchir à l’irresponsabilité, au manque de rigueur, autres facteurs décisifs d’un processus maudit.

En un mot, rien a changé. Nous sommes face à la quadrature du cercle. Insoluble tant qu’un leadership capable, sérieux et conscient n’aura pas pris racine dans nos pays.

Et, donc, le piège s’est refermé sur nous. Tel est pris qui croyait prendre ! La Cedeao est dans le piège de la France -aidée par ses proconsuls des temps modernes…

Adama Gaye, ancien Directeur de la Communication de la CEDEAO
Le Caire, 23 décembre 2019

PS : L’ajustement structurel, le retour insultant d’un Fmi ayant coulé ceux qui l’ont écouté, est l’autre versant de cette évolution.
Jon Williamson, inventeur du consensus de Washington, conscient que l’ouverture des comptes capitaux, et la réversibilité des investissements portefeuilles, avaient provoqué la crise des monnaies asiatiques, m’avait dit, dans son bureau de Washington, il y a dix ans, que son consensus avait encore dix ans de vie au minimum. Puisque nous avons choisi de suivre les pas des pays comme la Thailande, frappés au cœur de la crise monétaire asiatique d’il y a 20 ans, en suivant la piste de la flexibilité monétaire, associée à une libéralisation tous azimuts, sans être prêts, nous devenons les derniers mohicans de son consensus –et les proies des spéculateurs.
La Malaisie de Mahattir Mohammed, avait refusé d’ouvrir son compte capital, et le ringgit, la monnaie de son pays, était, avec celle de la Chine, ayant adopté la même posture, les seules à échapper à l’ouragan du décrochage des devises asiatiques.
Lequel de nos pays est sérieusement préparé aux tsunamis qui s’annoncent ?

5 COMMENTAIRES
  • Ouz Pape

    verità assoluta :
    hanno cambiato solo il nome

  • Papa

    L’Analyse la olus pertinente que j’ai lu dans cette derniere decennie!
    Merci grand frere Adama Gaye

  • Papa

    L’Analyse la plus pertinente que j’ai lu dans cette derniere decennie!
    Merci grand frere Adama Gaye

  • Papa

    L’Analyse la plus pertinente que j’ai lu dans cette derniere decennie!
    Merci grand frere Adama Gaye.

  • Moussa

    Maa chaa Allah ! Exellent ! Merci, Monsieur, pour cette brillante analyse.

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