Véronique Diarra : Femme, écrivaine et citoyenne du monde (Entretien)

Prof de français, Véronique Diarra a grandi entre Abidjan, Paris, entre autres villes. De père Congolais et de mère Ivoirienne, elle vit depuis 2005, en région parisienne avec ses deux filles. Ses origines diverses motivent sans doute son engagement dans la lutte pour la cause féminine. Croquée comme une grande voix de la littérature, féministe dans l’âme, l’enseignante s’aventure dans l’écriture en 2002.

Militante assumée, elle est l’auteur des livres : « Non, je ne me tairais plus » (Wawa Editions 2018 Collection Lettres métisses, Roman jeunesse) et « Shuka, la danseuse sacrée » (Collection Encre Noire 157p 2018). Avec « Agnonlètè: Une vie d’Amazone« , elle raconte l’histoire d’une jeune recrue de l’armée des Amazones qui combattent pour la protection du royaume « Ntö ». « Une jeune fille très belle et désirable. Mais elle est avant tout une guerrière. Elle ne peut ni se marier, ni avoir des enfants. Sa beauté ne manque pas de soulever des passions et de faire chavirer des cœurs, comme celui du roi Arôssou. Il en fera les frais pour avoir voulu utiliser la force… »

Occasion saisie par senego pour s’entretenir avec Véronique Diarra…

D’une éducation multidimensionnelle à l’amour de la littérature…

Je me considère comme une africaine riche de plusieurs nations. Par ma mère, je suis ivoirienne originaire du Burkina Faso. Par mon père, je viens du Congo Brazzaville. Mon père diplomate et ma mère infirmière, assistante sociale et écrivaine ont souhaité donner à leurs enfants une éducation qui serait hybride des valeurs françaises et africaines. Leur ambition était de nous permettre d’égaler les jeunes des meilleures familles d’Europe et d’Amérique, tout en trouvant notre place parmi les Africains. Adulte, je me trouve riche de plusieurs cultures, mais comme l’illustre et regretté poète Bernard Dadié, j’affirme « Je vous remercie mon Dieu de m’avoir créée Noire« .

J’ai grandi entre Abidjan, Paris et d’autres villes. J’ai fait des études de Lettres modernes pour devenir professeur de français. Un jour, j’ai découvert la passion de l’écriture et je me délecte d’un manuscrit à un autre. Après avoir enseigné le français à Abidjan, j’ai continué en région parisienne où je vis avec mes deux filles depuis 2005. Je me consacre cette année à l’écriture. L’avenir me dira s’il me faut aller retrouver mes élèves ou rester avec mon ordinateur.

« Agnonlètè », l’inspiration d’une oeuvre qui parle des Amazones du Bénin et d’esclavage

Mon éditrice, Madame Virginie Mouanda, directrice de Wawa éditions, m’a proposé un jour d’écrire un roman qui parlerait d’Amazones du Bénin et d’esclavage, bien avant les roi Glélé et Béhanzin. J’ai trouvé cette idée intéressante. J’ai effectué des recherches et mon inspiration s’est chargée du reste.

Pourquoi « Agnonlètè »?

J’ai appris que les noms traditionnels du peuple « fon » sont mixtes et ont une signification précise. Je me suis donc adressée à mon amie béninoise Nadia car, je voulais un nom qui traduise l’idée d’une femme de grande beauté. Elle m’a proposé « tu es belle » en « fon » que j’ai transcrit Agnonlètè. Cependant, je crains que les sons ne soient pas rendus aux mieux… Je présente des excuses à mes lecteurs « fon ». Je les prie de considérer ma bonne volonté dans le choix du nom de mon héroïne.

La femme noire – Le complexe de la peau – La femme soumise, « un cliché qui avantage la gent masculine…« 

En décrivant ainsi Agnonlètè, je veux mettre en valeur la beauté de la peau noire, encourager les personnes de teint foncé à se trouver belles et lutter contre les mixtures décapantes et cancérigènes dénoncer les crèmes « de bonne qualité » et hors de prix qui piègent tant d’Africaines. Je souhaite que chacune de nous, de la plus foncée à la plus claire aime et soigne son teint naturel. Je souhaite aussi démontrer que force de caractère et puissance sont parfaitement féminines. L’image de la belle femme africaine soumise à son homme n’est qu’un cliché qui avantage la gent masculine. La femme africaine est une personne vertueuse , intelligente, agréable. Tout cela fait d’elle la compagne, la coéquipière de son homme.

Une féministe dans l’âme…

Je suis foncièrement féministe … Mais je ne veux battre aucun homme ! Les féministes comme moi veulent simplement rétablir la Femme dans sa dignité afin que lui soit restitué le respect qui lui est dû, à tous les niveaux, dans nos sociétés.

Souhait de revaloriser la femme par la culture et l’éducation…

C’est mon souhait. Au nom d’un prétendu modernisme, bien des femmes sur divers continents se sont fourvoyées, dénaturées, dévalorisées. Ce n’est pas du tout une affirmation de soi. J’interpelle les femmes pour qu’elles s’appuient d’abord sur les valeurs de leur culture puis accèdent à la meilleure éducation. C’est ainsi que je présente dans « Agnonlètè une vie d’Amazone » des femmes africaines et européennes qui s’affirment selon leurs valeurs culturelles et le contexte de leur existence.

Le manque d’union entre Africains, un « handicap« …

Dans « Agnonlètè une vie d’Amazone », nous sommes au XVIIème siècle. L’Afrique impériale, fière de sa richesse et de sa culture s’oppose à l’Europe conquérante et esclavagiste. Le roi du peuple Fon qui manque de sagesse s’oppose au souverain du peuple Mina. Malgré tous ses défauts, Arôssou, roi des Fon, ne signe aucun pacte avec les Européens. Il n’a donc rien à voir avec certains chefs d’Etat africains qui signent des accords désastreux avec l’ancien colon de leur pays. Je soutiens ainsi que les souverains de l’Afrique majestueuse d’autrefois n’avaient rien à voir avec les dirigeants actuels.

Ne craignons aucune fatalité. Certes, quelque chose s’est passé entre-temps, mais il n’est pas temps d’en donner les détails. Le manque d’union entre africains est un handicap. Avec du travail et des efforts, nous le vaincrons comme l’élève en difficulté comble ses lacunes par un travail régulier. Au lieu de nous fustiger, agissons. Les présidents africains ne sont pas tous à la solde des occidentaux. Le courage, la détermination des uns inspirera d’illustres inconnus. Ne nous arrêtons pas sur nos misères, allons vers notre renaissance.

Rôle de la femme dans ce combat pour la souveraineté économique et sécuritaire du continent…

Je suis effectivement pan-africaniste. La femme africaine peut agir dans différents domaines tout comme l’homme: économique, artistique, culturel, politique…Cependant, il en existe un où elle triomphe. C’est celui de l’éducation des enfants. Elle leur inculque la fierté d’être Africains.

La mère africaine va inspirer à ses filles les valeurs morales et le respect d’elle-même. Elle leur apprendra à aimer leur teint et leurs cheveux, à en prendre soin.

Concernant, les tâches ménagères, tout comme pour ses filles, elle va exiger de ses garçons, des efforts. Elle les convaincra qu’un homme digne de ce nom respecte et protège la femme, car c’est une femme qui lui a donné le jour. Voilà un nouveau modèle qui fera reculer le machisme rétrograde de notre continent. Enfin, la femme africaine poussera ses enfants vers l’excellence quelques soient les études ou la formation qu’ils choisiront.

Les Africains « eux-mêmes », mieux placés pour parler de l’esclavage pour l’avoir vécu…

Je suis remontée à cette époque pour informer mes lecteurs et leur faire entendre la version de ceux qui sont bien placés pour parler d’esclavage transatlantique : les africains eux même. Ce sont eux qui l’ont subi. Il est grand temps que l’on sache que le Saint Père Nicolas V, dans une bulle pontificale, ordonna en 1454 au roi du Portugal « d’aller attaquer les sarrasins d’Afrique ennemis du Christ, de les réduire en esclavage en confisquant leurs biens meubles et immeubles ».

Ce ne fut pas un commerce. Des flibustiers armés et payés comme des mercenaires par les propriétaires de bateaux négriers procédèrent à des razzia sur toutes les côtes de Guinée. Ainsi appelait-on l’Afrique subsaharienne. Les grands empires et royaumes furent victimes d’attaques acharnées à coups de fusils et canons. En trois siècles ils les détruisirent. A partir du XVIII ème siècle, l’Afrique noire ne comptait plus que des populations décadentes et traumatisées qui survivaient de leur mieux. Vinrent alors des flibustier qui ne pouvaient s’aventurer à l’intérieur du continent. Ils firent aux gens de la côte « des offres qu’on ne peut pas refuser« .

Acceptaient-ils des fusils pour remonter les fleuves, attaquer des villages et ramener des captifs ou bien préféraient-ils être emmenés avec leurs familles? Ces gens, une fois le « travail  » accompli étaient dépossédés de leurs fusils et entraient à leur tour dans la cale du bateau négrier pour un voyage sans retour. Ils n’étaient que des victimes par interposition au même titre que les enfants-soldats dont on parle de nos jours. Il a bien existé quelques brebis galeuses qui ont cru s’enrichir en troquant des malheureux contre des marchandises, mais ce sont des cas isolés.

Mainmise des blancs sur le continent africain, une « situation qui n’a que trop duré« …

Je trouve que cette situation n’a que trop duré. Il n’est pas normal que les pays d’Afrique ne possèdent pas leur monnaie, ne fixent pas le prix de ce qu’ils vendent, payent cher ce qu’ils achètent. Les jeunes africains, influencés par les médias, suivent sans discernement des exemples qui ne leur conviennent pas. En cours, ils apprennent ce que des fonctionnaires européens ont choisi pour eux. Combien de temps les jeunes africains francophones continueront-ils à réciter que Louis XIV, roi de France, était un grand souverain surnommé le Roi soleil ?

Pourquoi ne doivent-ils pas également savoir que ce « magnifique roi » a ordonné à son ministre Colbert de rédiger le Code Noir? Ce livret légalisait les pires souffrances à infliger aux esclaves noirs (aux Antilles françaises, en Louisiane, à Saint Dominique) pour faire gagner à la France les plus grandes fortunes. Pourquoi les jeunes africains ne savent-ils rien de l’Afrique impériale?

Pour remédier à tout cela, je pense que l’Afrique doit prendre son économie en main. Cela ne se fera pas sans difficulté mais certaines nations comme le Ghana se sont lancées et montrent la voie aux autres. Les matières premières doivent être retenues si le prix imposé n’est pas satisfaisant. Ces matières doivent être transformées sous la direction des ingénieurs nationaux. Ils auront des emploi ainsi que la masse populaire qui souffre car désœuvrée.

Les jeunes créateurs méritent d’être soutenus dans la fabrication et la commercialisation de leurs inventions Les africains doivent posséder leur propres devises, qu’elles soient communes ou propres à chaque pays. Par dessus tout cela, plus de demande de fonds internationaux qui endettent et n’aident pas. Cultivons la vertu du travail sans préjugé et suffisamment d’espoir de réussite pour que plus personne ne songe à traverser le Sahara et la méditerranée.

Enfin, dans les ministères de l’éducation, la création de programmes adaptés aux réalités et culture du pays, la confection locale de manuels scolaires, tout cela est nécessaire.
Ce sont de grands défis, et pour les relever, l’union fait la force.

Ses projets, dans l’avenir…

J’ai beaucoup de projets. Mon prochain roman va paraître dans deux mois si tout va bien. Il permettra au lecteur d’accompagner un roi mandingue et sa flotte de navires sur l’océan Atlantique.
Ce petit fils de Soundjata Kéita découvrit l’Amérique cent quatre vingts ans avant Christophe Colomb. Un autre manuscrit se trouve chez mon éditrice et parle de la quête identitaire d’une jeune métisse née pendant la colonisation. Je travaille actuellement sur un roman qui va honorer un résistant ivoirien. Il s’opposa à la colonisation française. D’autres idées se promènent dans mon imagination à propos du Burkina Faso et d’ailleurs…

Message à l’endroit de ses frères et sœurs africains…?

J’adresse un message fraternel à tous les africains. Nous avons un glorieux passé derrière nous et un bel avenir s’ouvre devant nous. L’esclavage et la colonisation ne sont que de tristes parenthèses qui ne nous condamnent en rien. La valorisation de notre culture et notre travail nous rendra notre place. Notre continent est le plus riche, œuvrons et ayons foi en nous pour redevenir les premiers. Souvenons-nous de la civilisation de l’Egypte Antique qui était nôtre.

Découvrez le résumé du livre « Agnonlètè: Une vie d’Amazone »

C’est l’histoire Nous sommes au XVII ème siècle. Agnonlètè est une jeune guerrière fon de l’actuel Bénin. Son nom signifie « tu es belle » car elle a le teint d’un noir profond, un regard captivant, un corps sculpté de chasseresse. Sa force est extraordinaire, seule sa tante Gan Féla, générale de l’armée féminine peut la maîtriser. Un jour, le roi Arôssou d’Agbôhômè fait appel à la troupe d’élite de Gan Féla car ses guerriers ont échoué face à des hommes blancs: les yovo, ainsi les appelle-t-on en langue fon. Ces ennemis attaquent de nuit tuent avec leurs armes tonitruantes et emportent les survivants on ne sait où dans leurs grands bateaux. Les amazones, puissantes et stratèges infligent de cuisantes défaites aux yovo. Plus aucun n’ose venir.

Au Portugal, les trois propriétaires des bateaux négriers, au bord de la ruine, décident d’utiliser trente de leurs esclaves de maison. Ils les habillent comme des nobles et leur donnent l’ordre d’aller en bateau à Agbôhômè convaincre chacun dix africains de les suivre dans leur « merveilleux pays ». Ce piège permettra d’amener trois cents africains et prouveront aux corsaires que la « côte aux esclaves » (le golfe de Guinée) est sans danger. Ainsi les affaires reprendront. De plus le fils métis de l’un d’eux, Manuel, est chargé d’aller convaincre le roi d’Agbôhômè de renvoyer les amazones. En cas de refus, il détruira la ville et ses habitants à coups de canons.

Sur son bateau, le jeune Manuel se lie d’amitié avec Luis, le capitaine, un espagnol idéaliste qui déteste l’esclavage.Manuel décide de ne plus obéir à son père et se rend en Espagne pour y construire une autre vie. Il se marie avec Rosa une belle espagnole et prospère dans un honnête commerce d’épices.Plus tard, il se renseignera sur sa mère africaine en écrivant respectueusement à la reine qui gouverne le royaume d’où elle a été enlevée.

Les trente esclaves chargés de tromper et de ramener trois cents africains à Lisbonne se retournent contre leurs maîtres. Ils révèlent la vérité au roi d’Agbôhômè, l’un d’eux, Tobias meurt en combattant aux côtés des amazones. Tous les corsaires yovo sont tués et leur bateau brûlé.

Malheureusement, Agnonlètè victime de sa beauté est convoitée par le roi. Perdant la tête, il l’attaque de nuit en s’introduisant dans sa chambre. Sans le reconnaître, elle l’assomme. Puis elle comprend qu’elle n’a plus qu’à fuir car le roi Arôssou ne lui pardonnera pas ce qu’il va considérer comme un outrage. Gan Féla sa tante l’envoie chez Anikoulapo, chef de guerre, à Eko capitale du royaume d’Oyo, le pays des yorouba. Agnonlètè bien reçue et traitée comme une fille de la famille du chef de guerre passe trois ans à Eko. Mais se marier comme toute demoiselle yorouba ne lui convient pas.

Elle veut organiser une armée féminine et combattre les yovo. Anikoulapo en bon père adoptif, se renseigne et lui donne une escorte sous la responsabilité du guerrier Kouti . Grâce à un itinéraire précis, les voyageurs iront à pied jusqu’à Luanda. Agnonlètè se met au service de la reine N’Zinga M’Bandé reine du N’Dongo et du Matamba (actuel Angola). Cette souveraine combat les moundélé (ainsi appelle t-on les yovo en langue bantou). Elle accueille cette courageuse guerrière et la nomme générale. Agnonlètè crée une armée féminine et accompagne la reine N’Zinga pendant toute sa vie de combat contre les moundélé. A la fin du roman, la reine N’Zinga meurt paisiblement entourée des siens et demande à son héritier le prince N’Gola Kanini son neveu de maintenir Agnonlètè dans ses fonctions.

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