Valeurs et éthique politique par Wagane Faye*
Dans nos sociétés où on n’ose plus se référer à des valeurs qui ont, pourtant, produit tant de civilisations , il est vrai que nous sommes dans un monde en mal de repères, il reste, encore, même s’ils ne font pas légion, des hommes et des femmes d’honneur.
Des citoyens qui ont su, à travers les péripéties de leur vie, défier les attractions néfastes du moment. Qui ont pu résister à l’appât du gain facile. Qui n’ont pas su manger à deux râteliers. Qui ne sont pas parvenus à mentir, à se prostituer, pour survivre. L’art de la magouille et des « combines salvatrices» leur est inconnu. Ils vous parleront de patriotisme, de conscience morale et professionnelle, d’ambition saine. De toutes ces notions que beaucoup de gens ne prennent plus en compte de nos jours.
Si nous parlons aujourd’hui de ces citoyens qui constituent la digue qui préserverait le pays de la dérive c’est que la situation politique dans notre pays a atteint un tournant qui le commande.
Rappel historique
Les indépendances acquises en 1960 conduisirent, dans l’euphorie, l’élite africaine de l’époque à prendre en main les destinées de nos pays jusque là administrés par des puissances coloniales. Cette élite privilégiée était adulée par des populations dont le seul soulagement, pour le grand nombre, était d’être sorti des exactions liées à la colonisation. Au SENEGAL des chansons furent composées en l’honneur de ces nouveaux héros d’une indépendance, comme pour la plupart des pays de l’ex A.O.F, négociée. Et l’ancienne puissance coloniale avait déjà formatés « ses cadres » pour qu’ils continuent à servir ses intérêts. C’est dans ce contexte que de nouveaux concepts virent le jour. A l’instar des slogans comme « moom sa bopp » , « moom sa rééw », du reste très nobles, des concepts aussi pernicieux les uns que les autres naquirent. Dans l’insouciance la plus totale.
BOROM REEWMI
Le Président de la République, dépositaire du suffrage des sénégalais, émanation de la volonté du peuple, allait échapper totalement à celui-là. Du simple fait que le concept de borom reewmi signifie « le propriétaire du pays » et non autre chose qui corresponde à la fonction qu’il occupe. Les cadres de l’administration, dans ce cas, se considèrent comme des roitelets. SENGHOR avait, incidemment, un jour, demandé aux membres de son entourage de lui donner la signification exacte du mot POUVOIR. Et tous, sans se concerter, ont trouvé la définition suivante : NGUUR (Royauté). Il prit sa tête entre les mains et dit : « Alors là, c’est le comble ». Comment pouvez-vous habituer des gens que vous avez élus à se considérer comme des rois ? Au point de les amener à y croire très sincèrement ? En de telles situations vous acceptez qu’ils pillent l’économie du pays. Qu’ils hypothèquent l’avenir de vos propres enfants. Car un roi ne rend pas compte. Il est le maître absolu. C’est pourquoi personne n’a crié au scandale quand, dans les années 1970, en période de sécheresse, donc de mauvaise ou pas de récolte du tout, on saupoudrait les paysans et les exposait au soleil. Parce qu’ils ne pouvaient pas rembourser leurs dettes de semences. Certains sont morts de ces saupoudrages, d’autres ont traîné des maladies handicapantes tout le long de leur vie. Cela n’a choqué personne. Sans parler des gens qui sont morts de faim pendant ces mêmes années. Nous ne serons pas cynique mais c’est, en quelque sorte, un retour de bâton ; car on ne fait pas d’un serviteur un roi. Dans la langue de Shakespeare Fonctionnaire signifie civil servant.
MAG DU FECC YALNAA DEE
Dans notre culture les vieillards sont des sages. Et ne commettent ni bassesse, ni impair, en somme aucune turpitude. Encore moins des actes considérés comme irresponsables. Ce sont nos repères. On se tourne vers eux quand les problèmes de la vie nous amènent à dévier du droit chemin. Mais il est arrivé un moment où dans l’imagination populaire on pouvait penser qu’un vieillard puisse se permettre de danser ! Comment ? Si cela en valait vraiment la peine. Ca alors ! Et les repères disparaissent du coup. La porte ouverte à tout. Car, si ceux qui devaient mettre un frein à une inconduite sont de la partie, c’est la dérive
LEKET’U NEEN DU NAX BEY
En milieu rural quand on veut attraper une chèvre (ou un bouc) on lui montre une calebasse où il y a du mil ou un autre aliment dont elle serait friande. La chèvre s’approche avec méfiance parce qu’elle ne sait si c’est un piège ou une aubaine pour elle. Jusqu’au moment où on l’attrape. Il arrive que certaines personnes se comportent comme cette chèvre (donc comme un animal). Pour peu qu’on leur fasse miroiter une friandise ou une situation mirobolante. Parce que comme pour la chèvre, la chose reste virtuelle .Rien ne doit amener un homme à jouer à ce jeu ou à s’y faire prendre
NJERIN LOO FEKKE
Ce concept ancré, comme les précédents, dans l’inconscient des Sénégalais fait que chacun fait ce qu’il veut, où il veut comme il veut, quand il veut pourvu seulement qu’il y trouve son propre compte. Nonobstant le malaise, le danger ou toute autre nuisance qu’il fait à autrui, à son pays à son environnement.
Parce que tout simplement il se dit peu, ou pas du tout, intéressé à une chose qui ne lui profite pas en tant qu’individu. SENGHOR disait : « Quand on se marie on se multiplie par deux. Quand on fait des enfants on ne meurt plus ».Pour rappeler à ces individus mentionnés plus haut qu’ils ne pensent même pas à leurs enfants qui continueront à porter leur nom. On doit, au contraire, faire en sorte que nos enfants ne vivent pas les situations pénibles que nous avons eu à vivre malgré les sacrifices que nos parents ont consentis pour nous. On doit s’ériger en modèle pour nos enfants, tout en leur donnant une bonne éducation. Pour ne pas vivre la situation que James BROWN décrit dans The Soul of a black man: « It’s so hard when a father is trying to get respect from his own son. »
Nous revenons à l’actualité pour dire que l’action politique devrait, nous le pensons, exiger de son initiateur qu’il reste conséquent avec lui-même par rapport aux fondamentaux de la société et de la démocratie participative. Cependant nous constatons que, paradoxalement, et dans bien des domaines, nombre de nos compatriotes s’exerçant à la chose politique, et pas des moindres, sont aux antipodes de ces normes. Il reste vrai que nous définissons, quelque part, la politique comme l’art du possible. Admettons. Mais devrait-elle être l’art de tous les possibles ? Doit-on accepter, admettre ou faire admettre l’inacceptable en sachant qu’à terme les effets de cette incurie n’épargneront ni notre pays, ni notre environnement, encore moins les générations futures qui auront à gérer des situations dont elles se seraient passées aisément ? En parlant de générations futures nous parlons de nos enfants et de nos petits ?enfants. De notre avenir en tant que nation !
Il s’y ajoute que certains niveaux d’enrichissement prouvent, parfaitement, que quelques uns ont gagné en accumulation de richesse illicite grâce, simplement, aux positions de pouvoir qu’ils ont obtenues. Ces mêmes personnes, sans légitimité, continuent, encore, à briguer sans retenue, le suffrage des sénégalais.
Le SENEGAL, notre pays, est assis sur des valeurs auxquelles la Nation, dans sa diversité (source d’enrichissement mutuel et de complémentarité), s’identifie.
Cependant, en analysant la démarche de certains acteurs politiques au SENEGAL on se rend aisément compte que la situation économique du pays ne les ébranle nullement.
L’immensité du gaspillage des ressources de notre Etat et la persistance d’une joyeuse pagaille politique incitent à interpeller beaucoup d’acteurs politiques sur les crimes et les délits dont ils restent, au demeurant, les seuls responsables et uniques comptables.
La légitimité populaire et la légalité institutionnelle sont, certes, des moyens qui permettent à l’Etat de servir la République. Mais le culte que les populations du SENEGAL vouent à leur nation, à leurs valeurs cultuelles et culturelles dépasse, outre mesure, les frontières ou les limites de la politique. De plus, elles disposent d’autres ressources fécondes pour s’émanciper ou se développer.
Malheureusement, pour notre pays, des leaders politiques ignorent cette réalité. Ils pensent que le désordre, la désinformation et le recours démesuré aux média sont les seules voies qui conduisent ou maintiennent au pouvoir.
En tout état de cause, dans notre pays, le haut de gamme de la conscience collective politique privilégie l’économique. Afin que le social soit en symétrie avec le développement dont l’impact viendrait réduire le niveau des écarts négatifs générés par la pauvreté. Et contribuer, largement, à l’essor économique, financier et social des sénégalais.
Désormais le combat politique à préfigurer devrait utiliser des approches qui seraient de nature à accélérer l’émancipation économique, à renforcer le pouvoir d’achat des populations. Et à favoriser leur accès aux services sociaux de base. Au lieu de vouloir les fixer, contre leur attente, dans la querelle, l’affrontement, la confrontation et le populisme
Le politique gouverne la cité. A cet effet, il doit, dans tout ce qu’il pense, dans tout ce qu’il dit, dans tout ce qu’il fait, mettre en avant les intérêts de cette même cité. De ses filles, de ses fils. Il est intéressant, en cette période où toutes les ruptures sont en pleine maturation ou en totale maturité, d’aller vers une synthèse économique. Afin de parvenir à l’émergence pour une modernisation économique et sociale. D’autant que la synthèse institutionnelle, devenue quasi parachevée, s’émancipe et se socle solidement.
*Professeur d’Anglais
Un article de qualité et un rappel pertinent.« Ce sont de belles valeurs que naissent les beaux sentiment,les belles paroles,les belles actions» (Platon)