Une guerre thermonucléaire limitée ne serait pas inextricable ?(Cheikh Abdou Lahad Mbacké*)

Une guerre thermonucléaire limitée ne serait pas inextricable ?(Cheikh Abdou Lahad Mbacké*)

Le citoyen, comme le tacticien, la poserait dans ces termes. Cette question en même temps est étrange, et
nous ne devrions pas avoir besoin de la poser puisque la réponse devrait être évidente !
Au fil des années, le débat a fait fantaisie pour savoir si oui ou non, les États Unis devraient répondre avec
des boucliers nucléaires à une invasion de l’Europe par des armes conventionnelles. En revanche, on a
présumé, de façon tout à fait consensuelle, que si la Russie ou tout autre ennemi utilisait des armes
nucléaires contre un pays allié, nous riposterions également avec des armes nucléaires. Donc cette nouvelle surprise de cette crise, c’est que les hauts responsables américains pensent qu’ils pourraient répondre à une attaque nucléaire russe contre l’Ukraine non pas avec une attaque nucléaire en retour, mais plutôt avec une version plus intense et plus directe de l’offensive non nucléaire qu’ils aident l’Ukraine à mener aujourd’hui.

Cette supposition, dogme jusqu’ici jamais remis en question, ne va plus de soi dans les sphères officielles.
Comprendre comment, quand et pourquoi cet état des choses a changé mérite amplement une petite
réflexion.

Vers la fin de la magistrature de Barack Obama, les rapports des renseignements indiquaient que la Russie
avait adopté une nouvelle doctrine militaire appelée «escalate to de-escalate» [l’escalade dans un but de
désescalade]. Si la Russie perdait une guerre contre l’OTAN, elle lancerait un petit nombre d’armes
nucléaires à faible puissance, soit pour repousser les armées occidentales, soit simplement pour envoyer un choc. La thèse était que les dirigeants de l’OTAN, dans la crainte d’une aggravation catastrophique de cette escalade, arrêteraient la guerre et négocieraient la paix.

Le Kremlin pense toujours que les États-Unis et l’OTAN ne s’engageront pas dans une guerre nucléaire
totale exclusivement pour protégé l’Ukraine. Il a raison sur ce point, mais il n’a pas inéluctablement raison
d’en conclure que cela nous forcerait à faire cesser la guerre. Nous pourrions continuer à nous battre. Les
Ukrainiens le feraient certainement. D’autres missiles nucléaires pourraient être envoyés. C’est pourquoi
Joe Biden a signaler (autant à titre d’alerte que de constat) qu’une «guerre nucléaire mesurée» ne serait peut être pas impossible. C’est tout simplement ainsi que les choses marchent.

C’est pourquoi beaucoup (même quand ils sont totalement du côté de l’Ukraine dans cette guerre) cherchent à trouver une porte de sortie pour Poutine. Pourrait-il y en avoir une? Il semble qu’il apprécierait un cessez-le-feu qui maintiendrait toutes les forces en place, reconnaîtrait l’annexion par la Russie des quatre régions d’Ukraine et promettrait la neutralité de l’Ukraine dans les oppositions Orient-Occident.

Toutefois, cela correspondrait à une capitulation de l’Ukraine (et rien ne dit que le cessez-le-feu durerait).
Tout vrai cessez-le-feu négocié devrait démarrer par le retrait total des troupes russes d’Ukraine. À partir
de là, il pourrait y avoir des négociations au sujet de la place de l’Ukraine dans l’Europe, ou de vrais
référendums dans les régions de Donetsk, de Lougansk et en Crimée. Néanmoins. Ceci étant, l’éventualité
d’une échappatoire semble peu probable. Les leçons de la crise des missiles conviendraient mieux à un
leader russe qui comprendrait son erreur et souhaiterait la paix.

Avril Haines, conseillère adjointe pour la Sécurité nationale d’Obama, a voulu tester cette thése. Elle a
convoqué une réunion d’adjoints du Conseil de sécurité nationale (NSC) pour faire une simulation de guerre afin de voir si la nouvelle stratégie de la Russie serait susceptible de contrecarrer la capacité de l’Amérique à projeter son pouvoir dans la région (parmi les participants figuraient des adjoints et des sous-secrétaires, ainsi que des officiers de second rang de l’état-major interarmées).

Le déroulement du jeu était le suivant: la Russie envahit un pays balte, l’OTAN répond avec des représailles efficaces, la Russie lance une arme nucléaire à faible puissance contre les troupes de l’OTAN ou sur une base en Allemagne où des drones, des avions de combat et des bombes guidées sont déployés. La question est: quelle décision prendre ?

Les généraux présents dans la pièce ont commencé par discuter du nombre de boucliers nucléaires que les États-Unis devraient lancer en représailles, et sur quelles cibles. C’est alors que Colin Kahl, conseiller à la sécurité nationale du vice-président Joe Biden, a levé la main.

Vous ne prenez pas assez de recul, a-t-il dit aux généraux. Lorsque la Russie lâchera une projectile
atomique, nous serons face à un «instant décisif pour la planète» –l’occasion de rallier le monde entier
contre la Russie, d’isoler et d’affaiblir Moscou politiquement, économiquement et militairement. Cependant, si nous ripostons avec des bombes atomiques, nous abandonnons cet avantage et, en plus, nous normalisons l’usage des armes nucléaires. Par conséquent, a poursuivi Colin Kahl, nous devrions poursuivre et intensifier la guerre conventionnelle, que nous sommes en train de gagner.

Quelques heures de délibération se sont ensuivies autour des calculs politiques de Kahl, de la force des
armes conventionnelles de l’OTAN, de l’incertitude sur le lieu où il faudrait envoyer une bombe nucléaire
le cas échéant, et de l’incertitude supplémentaire autour de l’hypothèse selon laquelle une réponse nucléaire permettrait d’arrêter la guerre plus vite ou avec plus de succès. Un consensus s’est fait jour : les États-Unis devraient répondre uniquement à l’aide d’opérations militaires conventionnelles de plus forte intensité.

Le Principals Committee du NSC –le groupe de secrétaires de cabinets et de chefs militaires dirigé par Susan Rice, la conseillère à la Sécurité nationale– a joué au même jeu. A une épisode, un responsable du
département des Finances a avancé le même argument que Colin Kahl lors de la réunion des adjoints, mais il a été réduit au silence avec véhémence, notamment par le secrétaire à la Défense Ashton Carter, qui a insisté pour dire qu’il était crucial de répondre à une attaque nucléaire par une autre attaque nucléaire; c’est ce que les compères attendent de nous; si nous ne le faisons pas, ce sera une catastrophe pour l’OTAN, la fin de toutes nos alliances, la fin de la crédibilité de l’Amérique dans le monde entier. Le chef d’état-major et le secrétaire à l’Énergie étaient d’accord avec Carter. Antony Blinken, secrétaire d’État adjoint, qui remplaçait John Kerry en déplacement, était indécis, et disait voir la logique des deux points de vue.

La guerre en Ukraine confirme une autre leçon tirée du jeu de simulation du NSC d’Obama: que les boucliers nucléaires ont peu d’utilité, voire aucune, sur le champ de bataille. À la fois dans le jeu et dans la vie réelle, des armes atomiques américaines n’auraient aucune cible appropriée, pourraient ne pas mettre un terme à la guerre (elles pourraient même, au contraire, l’intensifier) et elles ne sont pas nécessaires –une force militaire conventionnelle peut arriver au même résultat.
*Chercherur At UMBC
School of Public Policy
Cmbacke1@umbc.edu

1 COMMENTAIRES
  • ddr

    enfin autre chose que la politique au Sénégal. Aucun commentaire malheureusement. La racaille pastéfienne ne comprend rien dans un texte aussi bien écrit. Dans le fond c’est autre chose.

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