Niang Xarañ Lô, CEDEAO et pédagogie de l’information ( Cheikh Fatma Diop)

Le parlement de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tient un Séminaire Parlementaire et une Session Extraordinaire à Monrovia au Libéria du 12 au 17 Septembre 2019.

Dans ce cadre, invitation a été faite à Monsieur Alioune NIANG-plus connu sous le sobriquet de Niang Xaragne Lô(célèbre utilisateur de l’application Snapchat et assez populaire auprès de certaines franges de la population sénégalaise)- pour « une large dissémination des informations importantes auprès de la presse parlementaire basée au Sénégal et auprès de son réseau de contacts dans les pays francophones de la sous-région en s’assurant que lesdites informations atteignent le grand public ».

La correspondance adressée à Niang Xaragne fait état d’une qualité de journaliste en ligne. Le Syndicat des Professionnels de l’Information et de la Communication du Sénégal(SYNPICS) s’est offusquée des fonctions et titres évoqués et les a qualifiés de mensongers. Par conséquent, estime le SYNPICS, « l’intégrité morale de la presse sénégalaise a été violée », d’autant que « le Parlement sénégalais a légiféré pour que seuls les journalistes dûment reconnus comme tels puissent désormais exercer cette noble profession.

Au-delà du SYNPICS, l’invitation parlementaire a fait éclore un certain nombre de débats et d’échanges sur les réseaux sociaux. Si certains internautes estiment que Niang Xaragne par « son réseau » pourra « toucher » des cibles jusqu’ici non recrutées, d’autres considèrent que le travail de vulgarisation aurait dû être confié aux journalistes de profession, comme à l’accoutumée.

Pour notre part, nous voudrions saisir ce prétexte pour émettre une réflexion portant sur un certain nombre de points.

Le Parlement de la CEDEAO est une des institutions de la CEDEAO et sert de cadre de dialogue et de consultation pour les représentations des peuples d’Afrique de l’Ouest. Il est donc l’aile législative de la CEDEAO qui, elle, promeut la coopération et l’intégration dans la perspective d’une union économique sous régionale. Le parlement agissant donc dans le cadre global de la communauté des Etats, nous axerons notre propos sur la CEDEAO en elle-même.

Dans le contexte de cet article, il nous semble important de noter que, depuis 1990, au sein de la CEDEAO, a été mis sur pied une division puis un département Informations dans le but de résorber le déficit de communication et d’atteinte du grand public. S’en sont suivi un Programme Prioritaire d’Actions en matière d’Informations établi en 1994 puis une Politique d’Informations CEDEAO datant de 2000. Cette dernière, plus holistique, englobait, entre autres, un programme de formation des journalistes au travers de séminaires, de forums, de bulletins et de centres d’information et de documentation dans chaque pays appartenant à la CEDEAO notamment. Le contexte de pluralisme politique et médiatique d’alors favorisait certainement les initiatives enclenchées.

Le parlement de la CEDEAO lui-même dispose d’un département communication piloté par un chargé principal de communication assisté d’un chargé de communication. Eux deux assurent le liant communicationnel avec les populations de la communauté via les médias classiques.

Dans ce contexte, que le Parlement décide de « recruter » les services de Niang Xarañ pour « atteindre le grand public »pourrait signifier que le déficit communicationnel évoqué plus haut existe toujours. Il est nous d’ailleurs possible de l’évaluer nous même, autour de nous. Sans être totalement scientifique dans la méthode, force est de constater que les populations de l’espace CEDEAO ne sont point au fait du travail du Parlement (et de celui des autres institutions d’ailleurs). Sur des questions sous régionales/continentales d’importance majeure comme la ZLECA, la nouvelle monnaie ECO(nous traiterons ces sujets sur ce blog dans le cadre de futurs articles), les populations pour le compte desquelles les dirigeants communautaires sont censés travailler, sont privées d’informations stratégiques. Pire, à bien des égards, elles semblent méconnaître le rôle et la raison d’être de nos institutions.

Que le Parlement CEDEAO établisse le constat est, à ce titre, un pas à considérer. Ceci dit, Niang Xarañ représente t’il une alternative structurelle, de long terme ?

La réponse à une question qui touche une communauté de plus de 325 millions d’habitants ne saurait être d’approche simpliste. A notre niveau, quelques pistes (qui reviennent globalement dans le contexte général du développement de l’Afrique) se dégagent :

– A l’échelle des Etats pris individuellement, il nous semble impératif d’inclure/renforcer les programmes scolaires et universitaires ayant trait aux institutions communautaires. Renforcer l’enseignement de l’UEMOA, de la CEDEAO, de l’Union Africaine…est crucial dans le contexte actuel du monde rythmé par des évolutions importantes (ECO, ZLECA, Brexit, extrémisme politique, tensions sino-americaines…). L’Afrique sera forte, en partie par ses institutions. Nos États devraient sérieusement reprendre en main la question de l’Éducation nationale. Nos résultats anémiques aux examens et l’affaire Jeanne d’Arc(sur laquelle nous sommes entrain de compiler les éléments d’un futur article) le démontrent.

Sur le plan médiatique et dans le secteur public, nos médiums d’information nationaux pourraient proposer davantage d’émissions à vocation sous régionale. Le sénégalais aime suivre la télé et écouter la radio. Après l’avoir bien formé par le système éducatif, il est possible de renforcer sa culture via les médias. Ceux du privé ont aussi un rôle à jouer. Plus de journalisme spécialisé pourrait être utile, à condition d’assurer les préalables de formation, de condition de travail… Le modèle économique de la presse Sénégalaise est, à ce titre, un intéressant sujet de discussion.

Dans la même optique, l’Assemblée Nationale devrait, dans nos démocraties modernes, être un lieu de débats et de réflexions sur des sujets de portée nationale, sous régionale et internationale. Le vote des budgets, le contrôle de l’action de l’exécutif sont nobles, sans nul doute. Il est néanmoins possible de renforcer les séances durant lesquelles L’ÉCO ou la ZLECA pourront être davantage expliqués aux peuples soucieux de leur avenir.

Les partis politiques ne devraient pas être en reste. Nos chapelles politiques gagneraient à être des forces de proposition, au-delà des périodes de campagne électorale. L’École du Parti socialiste sénégalais a, pendant très longtemps, été une référence en matière de formation de militants. Ce schéma pourrait être largement reproduit par les autres obédiences tant un bon militant peut faire un bon électeur et un bon citoyen.

– Au niveau de la CEDEAO même, nous considérons que le travail des États individuels résoudrait une large partie des équations posées. Aussi, faudrait il concrétiser un certain nombre de projets déjà identifiés depuis le début du siècle.

Les initiatives de radio et télévision CEDEAO seraient, à nos yeux, d’une cohérence large. Cela nous permettrait de résoudre le problème de transmission de l’information mais aussi de réduire la dépendance vis à vis des médias internationaux. Les centres d’informations et de documentation pourraient éventuellement être rattachés aux écoles et universités pour assurer la qualité des curricula délivrés.

En conclusion, la Session du Parlement CEDEAO et l’invitation de Niang Xarañ pourraient servir de point de départ vers quelque chose de plus structurel. Il pourrait être utile, pour la CEDEAO, d’organiser des journées de réflexion sur la question de l’information et de son partage auprès du grand public. Niang Xarañ est un entrepreneur valeureux qui a su exploiter des opportunités offertes par les médias sociaux. Son réseau et son influence semble réels. Il peut apporter une contribution d’une façon ou d’une autre. Seulement, pour être efficace, sa communication devrait se diriger vers une cible déjà préparée aux questions sous régionales. A l’heure actuelle, il nous semble que ce travail est à faire et parfaire. La sous région et notre continent bénéficieront, à coup sûr, de citoyens outillés et prêts à s’insérer dans le village planétaire. De la pédagogie de l’information jaillira la lumière.

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