Le nouveau cadre budgétaire consacré par la loi organique 07-2020 du 26 février 2020 a apporté des changements majeurs dans la préparation et l’exécution du budget de l’Etat du Sénégal. Il entre en vigueur avec le démarrage de la deuxième phase du PAPII (2019-2023), le basculement du Sénégal dans le budget programme en janvier 2020 et la déconcentration de l’ordonnancement en Janvier 2021.
Ces importantes réformes ont fortement impacté la mode de gouvernance de nos Etats à travers la gestion des finances publiques. Il pourrait être appréhender comme étant la réforme de l’Etat par le budget. Cet entretien avec vous, Monsieur le Directeur Général, va nous permettre de revenir en détails d’abord sur la définition et le rôle du budget de l’Etat, ensuite sur les grands chantiers de réformes avec leurs incidences au niveau central et à la Direction Générale du Budget et enfin sur l’impact des ressources issues du pétrole et du gaz dans la politique budgétaire de l’Etat.
1- Monsieur le Directeur Général, tout d’abord, pouvez-vous nous parler du rôle du budget de l’Etat?
Avant de répondre à votre question, permettez-moi d’abord de rappeler ce qu’est le budget de l’Etat. En fait, la loi de finances est l’acte qui prévoit et autorise toutes les ressources et toutes les charges de l’État pour une année civile alors que le budget décrit les recettes et les dépenses budgétaires autorisées par cette loi de finances. Donc, le budget est un élément de la loi de finances.
Mais, il convient de noter que, dans la terminologie courante, les notions de budget et de loi de finances sont indifféremment employées. En effet, le budget est organisé selon des règles et principes dictés par la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il importe d’insister sur la LOLF de 2020 qui a introduit des innovations majeures dans la loi de finances, aussi bien dans sa forme de présentation que dans ses procédures d’examen et de vote.
Pour venir aux rôles du budget, je souligne que le budget permet d’indiquer le montant de l’enveloppe de ressources destinées aux politiques, mais il est aussi un compte des recettes et des dépenses, donc pour l’écriture et la prescription des différents impôts et de toutes les autorisations de dépenses pour l’État. Bien plus qu’un instrument technique de présentation des recettes et des dépenses de l’État, le budget joue des rôles importants sur les plans : – politique : le budget reflète les choix et priorités politiques d’un gouvernement. Il est le plus important texte d’orientation annuel du gouvernement ;
– économique : le budget constitue une véritable déclaration des objectifs et priorités économiques et sociales. Il est exécuté à travers des programmes qui sont la traduction des politiques publiques auxquelles sont associés des objectifs de développement économique et social assortis d’indicateurs de mesure de résultats. Ainsi, il traduit la politique économique gouvernementale dont la finalité est la prise en charge des préoccupations des citoyens ;
– administratif : le budget engage, encore plus, l’ensemble des administrations dans une dynamique de modernisation à tous les échelons.
Ce processus vertueux fait émerger de nouveaux métiers, une nouvelle organisation interne, de nouveaux outils pour aboutir à une culture de gestion axée sur les résultats, avec une option marquée pour plus d’efficacité et d’efficience dans l’utilisation des ressources publiques, avec pour finalité d’accroitre la capacité de l’Etat à fournir des prestations de services aux meilleurs coûts aux usagers.
2-De grands chantiers de réformes ont été entrepris depuis quelques années, pouvez-vous nous indiquer leurs incidences sur le budget de l’Etat ?
Comme indiqué précédemment, en 2020, le nouveau cadre budgétaire de l’Etat a été révisé avec l’adoption de la loi organique 2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances qui résulte de la transposition de la directive communautaire 06/2009/CM/UEMOA du 24 juin 2009 relative aux lois de finances. Cette situation résulte d’un long processus d’internalisation des réformes communautaire dans notre droit positif.
Aujourd’hui, sur les huit directives de l’UEMOA, la seule qui n’est pas encore totalement internalisée est afférente au régime financier et comptable des collectivités territoriales. Sa transposition d’ailleurs ne saurait tarder, le travail technique étant bouclé. En ce qui concerne spécifiquement la LOLF que l’on pourrait qualifier de « Constitution financière», elle est mise en oeuvre à travers plusieurs textes d’application, notamment :
– le décret n°2020-1020 du 06 mai 2020 relatif à la gestion budgétaire de l’Etat qui a été pris pour compléter le Règlement général sur la Comptabilité publique en fixant les nouvelles règles de gestion des autorisations budgétaires de l’Assemblée nationale ;
– le décret n° 2020-1036 du 15 mai 2020 relatif au contrôle de gestion pour instituer une nouvelle fonction dans la chaine managériale des programmes budgétaires et un dispositif organisationnel ;
– le décret n° 2022-1576 du 1er septembre 2022 portant nomenclature budgétaire de l’Etat qui apporte des changements de fonds permettant une meilleure analyse de l’information budgétaire, en introduisant la classification par compte de budget (budget général, budgets annexes et comptes spéciaux du Trésor) et la classification par source de financement ainsi que la spécification des recettes d’hydrocarbures dans la classification des recettes.
Cette réforme induit des changements importants, notamment : la présentation du budget de l’Etat en programmes pour les ministères et en dotations budgétaires pour les Institutions constitutionnelles de la République, la multiplicité des ordonnateurs principaux des crédits communément appelée « la déconcentration de l’ordonnancement des crédits » et une nouvelle conception de la dépense publique privilégiant l’utilité économique et sociale au-delà de la régularité et de la conformité.
Le budget programme repose sur :
– la budgétisation des crédits sur la base de plafonds et l’articulation des choix budgétaires avec les priorités des politiques publiques ;
– la mesure de la performance de l’action publique ;
– la responsabilisation des gestionnaires publics et leur liberté d’action ;
– l’obligation de rendre compte des résultats des politiques publiques qui corrobore le bienfondé de l’institutionnalisation de la culture de l’évaluation et de la transparence budgétaire.
Ainsi, s’achemine-t-on depuis 2020 vers une rupture totale dans les pratiques traditionnelles de gestion du budget de l’Etat pour passer de la logique de moyens à celle de résultats de développement mesurable.
3- Pouvez-vous revenir sur cette culture de la performance, à travers le budget ?
Comme vous le savez, un budget axé sur des résultats de développement obéit à des règles et procédures :
– tout d’abord, l’identification d’une politique publique menée par l’Etat (exemples : la promotion et la valorisation des industries culturelles et créatives ; l’accès à l’eau potable ; l’éducation de base des jeunes et des adultes ; l’éducation surveillée et la protection judiciaire du mineur). C’est cette politique publique qui permet de décliner les programmes budgétaires et le cadre de performances ;
– ensuite, l’évaluation des moyens nécessaires à la bonne exécution de la politique publique, quelle que soit leur nature économique (dépenses de personnel, d’acquisitions de biens et services, d’investissement ou de transferts) ;
– enfin, la structuration des moyens, c’est-àdire des crédits budgétaires, autour d’actions à mener par les services gestionnaires de crédits chargés de mettre en oeuvre la politique publique, lesdites actions étant elles-mêmes détaillées en activités, chaque activité faisant l’objet d’un chiffrage très précis en termes de coûts.
Ainsi, l’agrégation des coûts des activités permet de reconstituer ceux des actions, et le cumul du montant des actions détermine l’enveloppe budgétaire qui est allouée au programme. C’est là que réside l’importance de la comptabilité d’analyse des coûts de nos politiques publiques dans une perspective, non seulement de mesurer en continu, l’efficacité, l’efficience, l’économie de l’action publique et la qualité de service rendu aux usagers, mais également d’en tirer les leçons en vue d’améliorer la planification future, d’où le bienfondé des Rapports annuels de Performances (RAP), des revues sectorielles conduites par les ministères et de la revue annuelle conjointe du Plan Sénégal Emergent (PSE) en présence de toutes les parties prenantes (Administration, bailleurs de fonds, sociétés civiles, les médias, la Cour des comptes et l’Assemblée nationale).
Ce processus permet ainsi d’améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du budget de l’Etat et au citoyen de mieux percevoir les emplois des ressources publiques et de se faire une opinion critique sur les résultats de développement. A bien des égards, c’est un premier point important qui mérite d’être souligné.
Le second point important est que le budget programme ne se contente pas seulement de modifier le mode de présentation des crédits. En effet, il change aussi la manière de les utiliser car à chaque programme, dans la limite des autorisations budgétaires, doit être associé à :
– des objectifs spécifiques, arrêtés en fonction de finalités d’intérêt général ;
– des résultats mesurés par des indicateurs objectivement vérifiables ;
On s’inscrit ainsi dans une logique de performance de l’action publique, un pari du nouveau cadre budgétaire de l’Etat « rénovation du service public par sa mue afin de soutenir la promotion d’un secteur privé dynamique accélérateur de l’émergence du Sénégal » pour reprendre les propos récents du Chef de l’Etat, lors du Conseil des ministres du 12 juillet 2023 qui a donné les directives pour intégrer dans le PAP3 cette préoccupation.
4-Ce nouveau paradigme, de gestion des finances publiques, a un fort impact sur le mode de fonctionnement dans nos administrations. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Naturellement la conséquence de tout ceci, est la production de nouveaux documents budgétaires pour renforcer le dialogue avec le Parlement et les moyens de contrôle de l’action publique, par le dispositif administratif d’audit et de contrôle et les institutions chargées d’exercer les vérifications sur les finances publiques, à travers :
– l’élaboration du document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) et la systématisation de la tenue du Débat d’Orientation budgétaire (DOB).
Le DOB est aujourd’hui une tradition bien ancrée dans nos pratiques budgétaires. En effet, Le premier DPBEP élaboré remonte à 2013 (DPBEP 2014-2016) et depuis lors, son contenu a été amélioré significativement en intégrant les bonnes pratiques en matière de transparence dans la gestion des finances publiques. Ainsi, depuis l’exercice portant sur la gestion 2020, les analyses sur les risques budgétaires sont intégrées dans le document. Récemment, le DPBEP 2023- 2025 a ouvert un chapitre sur les recettes d’hydrocarbures et les dépenses y afférentes conformément à la loi relative à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes d’hydrocarbures. En outre, cette année, pour la première fois, le document a été partagé avec la société civile en vue de la faire participer au processus budgétaire ;
– la production de rapports trimestriels d’exécution du budget transmis régulièrement à l’Assemblée nationale, à la Cour des Comptes et autres institutions constitutionnels et mis à la disposition du public ;
– l’élaboration par chaque Ministère d’un document de programmation pluriannuelle des dépenses (DPPD) et des Projets annuels de performances assortis de cadre de mesure des résultats dans le respect des plafonds d’enveloppes budgétaires approuvées par les hautes autorités.
Au-delà des dotations allouées aux institutions constitutionnelles pour assurer en continu leur bon fonctionnement, le budget de chaque ministère est désormais présenté sous forme de programmes budgétaires articulé autour :
– d’un programme dit « support » (dénommé pilotage, gestion et coordination administrative) qui regroupe les crédits affectés aux services transversaux ou d’appui
– de programmes dits « métiers » à travers lesquels s’exécute les actions attachées aux politiques sectorielles.
D’ailleurs, depuis 2021, le processus de préparation du budget commence par la tenue des conférences de performances avec l’ensemble des ministères et institutions. Elles permettent d’examiner les résultats provisoires de la gestion précédente en référence aux engagements pris dans les Projets annuels de Performance (PAP) se rapportant à la même gestion.
A cela, s’ajoutent les programmes des Comptes spéciaux du Trésor (CST) existant pour certains départements ministériels et institutions :
– la Présidence de la République (1), les Forces armées (1), Intérieur (1), Economie maritime (1) et le ministère des Finances et Budget (5) dont les deux nouvelles créations « le Fonds de stabilisation » et le « Fonds intergénérationnel » réceptacles d’affectations spéciales provenant des ressources tirées de l’exploitation des hydrocarbures.
– la mise en oeuvre d’une budgétisation à travers une nouvelle catégorie de crédits: les autorisations d’engagement, qui vont permettre d’améliorer la soutenabilité budgétaire des dépenses publiques et la gestion des engagements – notamment pluriannuels – de l’État ; et des crédits de paiement.
Chaque programme est piloté par un responsable de programme (RPROG), chargé, sur le plan opérationnel, de l’élaboration des plans de travail, de la répartition des moyens entre les services techniques chargés de la mise en oeuvre des activités du programme, du suivi des indicateurs de performance, de l’animation du dialogue de gestion, du pilotage des dispositifs de contrôle interne et de contrôle de gestion.
Il a pour feuille de route un projet annuel de performance (PAP) et il rend compte de sa gestion, en fin d’exercice budgétaire, à travers un rapport annuel de performance (RAP). Le PAP est transmis en même temps que la loi de finances à l’Assemblée nationale et les RAP sont transmis en même temps que la loi de règlement à la Cour des Comptes qui donne un avis d’attestation de certification de performance. Les RAP renseignent sur le niveau d’atteinte des objectifs de performance qui avaient été fixés et qui avaient justifié l’allocation des ressources par la loi de finances de l’année.
Ainsi, la restructuration du budget de l’Etat permet une évolution du débat parlementaire en faisant émerger un débat sur les politiques publiques, la stratégie budgétaire et une discussion sur la performance de l’action publique.
Dans ce même registre, est-il important de rappeler que le vote en première lecture par le Parlement avant la discussion sur le projet de loi de finances initiale de l’année n+1 est une exigence de notre LOLF de 2020 et un défi que les parties prenantes (Assemblée nationale, Cour des comptes et le Ministère des Finances et du Budget) sont en train de relever ensemble.
Quant à la Cour des Comptes, pour rappel, elle exerce un contrôle juridictionnel et non juridictionnel. Elle est ainsi chargée, en plus de l’examen des conditions d’exécution de la loi de finances, du contrôle des comptes publics et de la certification des états financiers, de l’audit de la performance des programmes et de l’efficacité des dispositifs de contrôles interne et de gestion. A ce titre, elle émet un avis sur les RAP.
Il faut ainsi, souligner que l’exigence de transparence est aujourd’hui bien au coeur de la gestion des finances publiques, à travers :
a) l’accroissement du rôle du Parlement dans le débat budgétaire et l’évolution sensible des missions d’assistance de la Cour des Comptes s’agissant du budget et des comptes de l’Etat ;
b) l’obligation faite aux ordonnateurs principaux des crédits de tenir une comptabilité budgétaire et produire un compte administratif de l’ordonnateur.
5- Ceux qui disent donc qu’il s’agit d’une réforme du budget de l’Etat, mais plus encore d’une réforme de l’Etat par le budget n’ont pas tort ?
C’est tout à fait exact. On voit bien que faire évoluer les pratiques traditionnelles de gestion budgétaire et comptable de toute une administration nécessite la mise en oeuvre en bonne intelligence d’une stratégie de conduite et de gestion des changements, un facteur clé de succès qui pointe du doigt l’amélioration de la gestion des ressources humaines du fait de l’évolution des modalités de pilotage budgétaire que la LOLF a introduites. Il faudra donc consolider davantage les acquis en matière de planification stratégique et de planification opérationnelle, afin de rendre effectif à terme, le dialogue de gestion au niveau décisionnel, au sein des ministères. Il faudrait aussi :
– une adaptation organisationnelle et fonctionnelle des ministères aux exigences du budget programme avec une mise en cohérence de la structuration des programmes budgétaires et de l’organisation des ministères ;
– l’opérationnalisation des dispositifs de contrôle interne budgétaire ;
– l’opérationnalisation du contrôle de gestion ;
– l’élaboration et l’adoption d’une charte de gestion de programme, un document indispensable pour la formalisation du dialogue de gestion qui constitue un processus d’échange et de décision ;
– la mise en place d’un système d’information capable de renseigner périodiquement les indicateurs de mesure des résultats des politiques publiques.
– l’instauration de mécanismes internes au sein des ministères pour la tenue systématique de leurs comptabilités budgétaire et des matières, et la préparation des documents liés à la reddition des comptes. Il faut souligner, en revanche, pour ce qui concerne les institutions constitutionnelles de la République (Présidence de la République, Assemblée nationale, Conseil économique, social et environnemental, hautes juridictions, etc.), elles ne sont pas chargées de la mise en oeuvre de politiques sectorielles de l’Etat, leurs budgets présentés sous forme de dotations et par nature économique ne sont pas orientés résultats de développement.
Après avoir parlé du budget en mode programme, je voudrais, à présent évoquer un autre élément essentiel, introduit par le nouveau cadre budgétaire de l’Etat, à savoir, la déconcentration de l’ordonnancement, effective depuis le 1er janvier 2021. Il est d’ailleurs plus juste de parler de transfert du pouvoir d’ordonnancement des crédits budgétaires car les Ministres et présidents d’institutionnels tirent leurs prérogatives de la LOLF.
Il faut rappeler qu’auparavant, le ministre chargé des finances était l’ordonnateur principal et unique du budget de l’Etat en recettes et en dépenses. Aujourd’hui, les ministères et présidents d’institutions constitutionnelles sont ordonnateurs principaux de leurs crédits, au même titre que le Ministre chargé des Finances. Ils peuvent déléguer leur pouvoir d’ordonnateur principal à des ordonnateurs délégués et secondaires, nommés, es qualité par décret.
En d’autres termes, toute la phase administrative de la dépenses (engagement-liquidation ordonnancement) est aujourd’hui du ressors des Ministères et Institutions constitutionnelles, le Ministère des Finances gardant juste des prérogatives en matière de contrôle et de régulation budgétaires.
Comme on peut le voir, en amont, cette réforme donne suffisamment d’autonomie aux managers dans la gestion de leurs crédits pour pouvoir les rendre réellement responsables en aval des résultats produits. La déconcentration ou transfert du pouvoir d’ordonnancement, en clarifiant l’imputabilité de la dépense publique, est donc la conséquence logique de la budgétisation par programmes.
Le ministre chargé des finances demeure l’ordonnateur des dépenses de son propre département, des charges communes et des charges financières de la dette publique ainsi que celui des recettes budgétaires, des opérations de trésorerie et des comptes spéciaux du Trésor rattachés.
6- Cette réforme, n’est-elle pas aussi sans conséquence sur l’organisation de la chaîne de dépenses ?
Tout à fait, au titre des évolutions induites par les réformes figure l’instauration de la planification budgétaire infra annuelle des dépenses (PBIA), qui consiste à évaluer, planifier et suivre le rythme de consommation des crédits alloués aux ministères et institutions constitutionnelles, à travers la détermination par le ministre chargé du Budget des plafonds trimestriels de dépenses fixés suivant un plan d’engagement trimestriel des services dépensiers, en cohérence avec leur plan de passation des marchés et le plan de trésorerie prévisionnel de l’Etat. Ces nouvelles dispositions facilitent une meilleure régulation des dépenses, une gestion active de la trésorerie et un respect continu de l’équilibre financier du budget tout en permettant une exécution normale des objectifs de performance des programmes sans grande difficulté. La PBIA permet le renforcement de la sincérité de la programmation budgétaire, à travers une prévision réaliste des ressources et des charges de l’Etat. Le processus a été engagé depuis 2021.
Dans le SYSBUDGEP, la plateforme de gestion financière, un module pour la saisie des plans d’engagement trimestriels est développé sur la base d’un macroprocessus élaboré à cet effet, qui décrit toutes les étapes du processus, les rôles des acteurs dans la détermination des plafonds et des mécanismes de leurs ajustements à la fin de chaque trimestre tenant compte du niveau d’exécution des dépenses. Tout ce dispositif devrait être effectif à partir de 2024.
Dans le cadre de la reddition des comptes, les projets de lois de règlement sont aussi élaborés depuis 2020 sous le format du budget programme avec la production des Rapports annuels de Performance (RAP) et des comptes administratifs des ordonnateurs. Je rappelle que les lois de règlement pour les années 2018, 2019 et 2020 sont votées par l’Assemblée nationale. Ceux des années 2021 et 2022 ont déjà été transmis à la Cour des Comptes et à l’Assemblée. Le Sénégal fait partie des rares pays en Afrique à réaliser cette performance.
En ce qui concerne le contrôle de gestion, essentiel pour le suivi et la mesure de la performance des programmes budgétaires, à la suite de la signature du décret n° 2020-1036 du 15 mai 2020 y afférent, les outils didactiques nécessaires pour accompagner son opérationnalisation ont été préparés. Il s’agit :
– d’une stratégie d’implémentation du contrôle de gestion, assortie d’une feuille de route, qui met en exergue les différentes étapes du processus et les principaux livrables attendus
– d’un guide pratique du contrôle de gestion et des outils pour le dialogue de gestion et le pilotage/suivi de la performance
– de modules destinés à la formation/ sensibilisation des acteurs.
Pour ce qui est du contrôle interne budgétaire, autre innovation importante, le projet d’arrêté relatif aux modalités de sa mise en oeuvre est déjà préparé et en cours de validation. Son implémentation devrait se faire à court terme. Il devra permettre, à la suite d’un constat d’une meilleure maîtrise des risques sur les procédures budgétaires en amont par les ministères et institutions constitutionnelles, de permettre au ministère des finances de substituer progressivement le contrôle systématique des dépenses au cours de la procédure budgétaire, par un contrôle hiérarchisé, qui va cibler seulement certains types de dépenses, permettant ainsi d’accélérer et d’améliorer le rythme de consommation des crédits dans des conditions garantissant leur régularité.
7- Quelles ont été les dispositions prises au sein de la Direction générale pour accompagner toutes ces réformes ?
Pour mieux accompagner ces réformes, la DGB a initié divers ateliers de formation et de renforcement de capacités à l’endroit des acteurs de la chaine budgétaire et produit plusieurs documents didactiques disponibles sur son site web (https:// budget.sec.gouv.sn), à savoir :
– un guide de préparation du budget programme ;
– un guide de préparation du Projet annuel de performance ;
– un guide de préparation du Rapport annuel de performance ;
– un guide de l’ordonnateur des dépenses sur ressources internes
– un manuel de l’ordonnateur sur l’exploitation du module de l’exécution des dépenses et comptabilité budgétaire ;
– un guide pratique du contrôle de gestion ;
– une instruction sur la comptabilité des matières.
D’autres documents sont en cours de préparation, pour mieux accompagner les acteurs dans l’internalisation des innovations induites par les réformes, notamment :
– un guide de la nomenclature budgétaire de l’Etat ;
– une instruction sur la planification infra annuelle budgétaire des dépenses ;
– une instruction sur les mouvements des crédits en cours de gestion.
D’autres chantiers importants sont en cours concernant :
a.l’amélioration de la gestion des investissements publics, qui constituent un facteur déterminant de la croissance économique. Tout investissement public d’envergure devra faire l’objet d’une évaluation ex ante quant à sa rentabilité économique et financière et son impact social et environnemental. Le suivi physique et financier infra annuel des investissements publics devra être généralisé.
la promotion de la bonne gouvernance et de la transparence des Finances publiques reste un enjeu. En effet, le gouvernement s’est engagé à promouvoir la bonne gouvernance en adhérant au Partenariat pour un Gouvernement ouvert (PGO).
Ainsi, des efforts soutenus seront consentis pour « le renforcement de la transparence budgétaire» notamment par la participation citoyenne au processus budgétaire, un meilleur accès du public à l’information budgétaire et le renforcement de la redevabilité et de la lutte contre la corruption.
Cette réforme devrait aussi entraîner d’autres mutations importantes en matière de gestion des finances publiques, notamment : comptables du Trésor, afin de l’adapter à la multiplicité des ordonnateurs principaux des crédits ;
la mise en place d’une comptabilité patrimoniale de l’Etat qui va rapprocher les comptes de l’Etat de celle d’une entreprise privée, avec notamment un bilan d’ouverture recensant l’ensemble des éléments de patrimoine de l’Etat (l’actif et passif) recensés au Sénégal et à l’étranger; Il faut rappeler qu’en termes de programmation budgétaire, chaque année, nous produisons la loi de finances et ses dix documents annexes, qui sont examinés en session budgétaire avec le Parlement sur plus de 45 jours, en plus de la loi de Règlement et des rapports trimestriels sur l’exécution budgétaire. Il faut aussi relever que l’exécution budgétaire donne lieu, chaque année, à plus de 90 000 opérations et transactions mettant en interaction tous les acteurs de la chaine de dépenses des différents ministères et leurs démembrements ainsi que les institutions constitutionnelles, les responsables d’agences, de sociétés parapubliques et structures assimilés, à travers la plateforme de gestion financière SYSBUDGEP.
La DGB, c’est aussi la gestion de la masse salariale de plus de 170 000 agents de l’Etat, la prise en charge des actes liés à la gestion administrative de leur carrière en flux continu et à la leur prise en charge médicale ainsi que celle de leurs familles. La DGB, c’est aussi la gestion de 73 621 pensionnés émargeant sur la dotation budgétaire du Fonds National de Retraites (FNR) dont 42860 retraités et 30761 veuves et orphelins bénéficiant de reversions de pensions de retraite.
Nous assurons aussi le suivi annuel de la mise en oeuvre au plan financier de l’exécution de plus de 300 projets financés adossés à des conventions de financement, avec des partenaires ayant des procédures diversifiées, avec des missions de suivi en continu sur l’année, des audits, la transmission des documents pour les décaissements, l’exécution des contrats de marchés, les audits etc. Il faut aussi y ajouter l’acquisition en continu d’équipements et de matériels pour accompagner le bon fonctionnement des administrations.
Pour assurer au mieux ces tâches, il a fallu se doter d’une bonne organisation mais aussi de moyens matériels et de ressources humaines compétentes pour travailler avec célérité et rigueur. C’est le lieu de remercier le Ministre des Finances et Budget pour son appui constant, source de grande motivation pour nous tous, et de rendre hommage à tous mes collaborateurs, à tous les niveaux, pour leur professionnalisme, abnégation et dévouement.
8- Pour rester dans la logique de performance et répondre aux exigences de ce nouveau paradigme de gestions des finances publiques, la DGB est en plein essor en termes de changement. Pouvez-vous revenir plus en détails sur ses innovations et solutions entreprises ?
Aujourd’hui, dans un contexte marqué par la mise en oeuvre des réformes et innovations majeures dans la gestion des finances publiques, et avec l’intérêt croissant accordé à l’accès à l’information budgétaire, la DGB travaille à consolider sa stratégie en matière de digitalisation afin d’améliorer le management efficace des importants flux d’informations générés tout au long de l’année et en assurer le partage avec les différents acteurs en temps opportun, sans contrainte de distance. Elle a très tôt saisi l’importance de disposer d’un système d’information performant, comme levier essentiel pour améliorer la qualité de l’information budgétaire, son exhaustivité, sa disponibilité, son intelligibilité et son accessibilité.
C’est pourquoi, en lien avec l’exigence de transparence et de reddition des comptes, elle a élaboré un Schéma Directeur de son Système d’Information (SDSI 2022-206), en cohérence avec ses missions et sa stratégie globale de développement, conformément à la lettre de politique sectorielle du Ministère.
L’objectif est d’améliorer les relations avec usagers de la DGB, et d’assurer la mise en place de solutions de dématérialisation des processus visant à réduire les délais de traitement des dossiers et à améliorer l’efficacité et la productivité des directions métiers et l’automatisation des tâches au sein de toutes les directions, à travers différentes applications :
– la plateforme de gestion de l’information financière, SYSBUDGEP, qui assure la préparation et l’exécution budgétaire, qui a connu des évolutions significatives avec de nouvelles fonctionnalités et des modules permettant aujourd’hui d’avoir une meilleure prédictibilité sur l’exécution budgétaire avec l’implantation des plafonds d’engagement des dépenses, de retracer avec précision certain types de dépenses comme celles effectuées à travers les ressources d’hydrocarbures, d’avoir une meilleure programmation et un suivi de l’exécution des investissements publics, en temps réel, ainsi que celles des dépenses sensibles et prioritaires ;
– une plateforme de suivi des financements extérieurs, pour renforcer la qualité de la gestion des portefeuilles de projets des différents partenaires techniques et financiers, notamment, le suivi des décaissements, l’analyse des performances des projets en termes d’exécution financière ;
– une plateforme dédiée à la comptabilité des matières, en lien avec l’application du décret n° 2018-842 du 09 mai 2018 relatif à la comptabilité des matières appartenant aux institutions constitutionnelles, aux ministères, aux collectivités territoriales, aux établissements publics nationaux et locaux, aux agences et aux autres organismes assimilés soumis aux règles de la comptabilité publique.
En outre, nous sommes en train de travailler sur une plateforme collaborative et de gestion électronique de documents, d’archivage et de gestion des courriers pour renforcer les échanges avec les milliers de partenaires et usagers avec lesquels nous interagissons au quotidien.
D’autres innovations et solutions concerneront également la mise en place d’une plateforme de E-Learning et d’une bibliothèque numérique, la mise en oeuvre d’une plateforme BI – Reporting interne, l’intégration des processus de missions d’audits et de contrôle interne.
Au plan interne, nos différents services sont en train de se moderniser davantage avec la mise à niveau des applications au plan technologique qui gèrent la Solde et les Pensions. Parallèlement le processus de dématérialisation de certains actes se poursuit avec la mise en place des plateformes E-solde, E-pension qui permettent aux usagers de disposer, de consulter et d’éditer leurs bulletins en ligne, de procéder au dépôt d’actes administratifs et ultérieurement de pouvoir assurer la prise en charge des actes relatifs à leur prise en charge médicale en ligne.
La DGB est également en train d’améliorer sa communication, au regard du flux important d’informations qu’elle génère. Je rappelle que la loi de finances, qui est produite et soumise au Parlement comprend 10 documents annexes à savoir :
– le Document de Programmation Budgétaire
et Economique Pluriannuelle (DPBEP) ;
– le document « voies et moyens » ;
– le document sur les risques budgétaires ;
– les Documents de Programmation
Pluriannuelles des Dépenses/Projets
Annuels de Performance
– le Programme Investissements Prioritaires
(PIP) ;
– le Rapport économique et financier produit
par le ministère en charge de l’Economie ;
– le Budget « Genre » ;
– le budget « En Bref »
– le Budget « Citoyen »
Tous ces documents y compris les lois de finances sont publiés et mis en ligne. En outre, nous publions le rapport trimestriel d’exécution budgétaire (RTEB), les lois de règlement ainsi que toutes lois ou actes réglementaires relatifs à la gestion budgétaire.
Nous sommes en train de finaliser un plan de communication pour mieux atteindre toutes nos cibles, en utilisant à chaque fois que de besoin, les canaux les plus appropriés, notamment en utilisant toutes les palettes sur les nouveaux outils de communication. Le budget devra être accessible aux élèves depuis l’école élémentaire ainsi qu’aux personnes non alphabétisées, à travers des supports de communications adaptés. C’est un devoir de transparence.
9- Nous ne pouvons pas conclure cette interview, sans évoquer le fait que le Sénégal sera un pays producteur de gaz et de pétrole. Des ressources budgétaires sont naturellement attendues par l’Etat. Qu’est-ce que cela vous inspire en tant que Directeur général du budget et quel impact ses ressources peuvent-elles avoir dans la politique budgétaire de l’Etat ?
Beaucoup de choses. Nous devons tout d’abord rendre Grâce à Dieu et prier pour que ces richesses profitent à notre pays et à sa population. C’est aussi une belle opportunité de donner plus d’impulsion au développement du pays et d’accélérer notre marche vers l’émergence, tant souhaité.
Il n’est pas inutile de rappeler que les ressources pétrolières et gazières constituent un patrimoine national. Elles appartiennent au peuple conformément à la Constitution. Il convient donc de les gérer dans la transparence, de façon à générer de la croissance économique et à promouvoir le bien-être de la population. L’exploitation des gisements de pétrole et de gaz naturel occupera une place importante dans l’économie nationale et ouvrira de meilleures perspectives économiques et sociales surtout en termes d’accroissement de l’investissement public national.
Aussi, est-il important de préserver l’économie nationale des aléas liés à la fluctuation des recettes et de tenir compte de la durée de vie des gisements d’hydrocarbures et des obstacles structurels, blocages ou goulots d’étranglement de toute nature afin que les ressources attendues impactent fortement notre économie.
C’est ainsi qu’un modèle consensuel de gestion vertueuse et optimale de la manne financière issue de ces ressources a été adopté à travers la loi n° 2022-09 du 19 avril 2022 relative à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures qui définit les principes directeurs de la politique budgétaire et financière. Il faut se féliciter de la haute vision du Chef de l’Etat, qui a su obtenir l’adhésion de tous sur les modalités de gestion transparente de ces ressources.
En effet, la loi en question prévoit la budgétisation intégrale, dans les lois de finances, des recettes tirées de l’exploitation des hydrocarbures ; la transparence dans la gestion des ressources d’hydrocarbures par la création de deux Fonds : un Fonds intergénérationnel destiné à tenir disponible, pour les générations futures, une épargne constituée et rentabilisée à travers des placements et un Fonds de stabilisation ; l’interdiction de toute cession anticipée des ressources d’hydrocarbure (il est exclu toute hypothèque sur ces ressources) ; la reddition sur tous les actes posés dans la gestion de ces recettes.
Concernant la répartition des ressources, la loi prévoit un maximum de 90% des recettes prévues chaque année pour abonder le budget général, permettant de financer principalement des projets et programmes prioritaires d’investissement public.
De la même manière, un minimum de 10% est prévu pour abonder le Fonds intergénérationnel. Pour finir, le surplus de recettes constaté à la fin de chaque trimestre, résultant de la différence entre les recettes projetées et les recettes effectivement encaissées, va constituer le Fonds de Stabilisation.
Parallèlement, le Sénégal est en train d’élaborer un schéma directeur du pétrole et du gaz afin d’identifier les filières qui développeront l’économie locale et qui apporteront de la valeur ajoutée en termes de création d’emplois et de diversification de l’activité économique intérieure ; l’objectif étant la création d’une chaine de valeur du pétrole et du gaz. Chaque option sélectionnée fera l’objet d’une stratégie de financement et d’implémentation.
Au niveau du Ministère des Finances et du Budget, les dispositions adéquates ont été prises pour la gestion transparente des ressources issues de l’exploitation des hydrocarbures, en termes de programmation budgétaire, de suivi de l’exécution des dépenses retenues et de reddition des comptes, à travers les lois de finances.
Mais, je dois ajouter que les ressources pétrolières et gazières, l’économie pétrolière doivent contribuer à la poursuite de la transformation structurelle de l’économie et la diversification des moteurs de la croissance, d’investir dans la qualité de nos ressources humaines et d’accélérer notre processus d’industrialisation. C’est cela qui nous permettra de bâtir une économie plus résiliente, capable générer de la richesse et des emplois. C’est cela le véritable enjeu.
10- Votre dernier mot ?
En adoptant le nouveau cadre de gestion budgétaire de l’Etat résultant de la LOLF 2020-07 du 26 février 2020 et de ses textes d’application, le Sénégal a fait le choix de moderniser la gestion des finances publiques et s’aligner sur les meilleurs standards. C’est un défi que nous devons relever ensemble par notre engagement pour traduire ces dispositions dans les nouvelles pratiques des administrations.
La nouvelle LOLF a fait le pari de la responsabilité et de l’imputabilité, de la liberté d’action des gestionnaires publics et de l’efficacité de la dépense. Il ne s’agit plus seulement de dépenser conformément aux règles mais surtout, sur la base des priorités des politiques publiques, d’allouer les ressources budgétaires de façon optimale en vue de satisfaire aux objectifs fixés à l’action publique.
Chaque franc qui est dépensé, les sénégalais doivent en connaître les raisons et les destinations, car en définitive, la finalité des politiques publiques est de répondre à leurs préoccupations et de satisfaire leurs attentes. C’est à cela que devront tendre tous nos efforts. Merci
Interview réalisée par le magazine trimestriel « LE BUDGET » de la Direction Générale
Propos recueillis par Amadou Hafaz DIOP DAP /DGB
Avec Dakartimes