Gouvernement : Vers une Transformation Systémique ou Rupture Systémique ?

Le nouveau régime a tenu son premier conseil des ministres le mardi 9 avril 2024. Le Président Bassirou Diomaye Faye a demandé au gouvernement dirigé par le Premier Ministre Ousmane Sonko de mettre en œuvre une politique inspirée par le « Projet de Transformation Systémique du Sénégal », décliné en cinq orientations. Ces dernières doivent s’élever en axes prioritaires de l’action gouvernementale. Sur la base de ce projet, le Président a demandé de finaliser, avant la fin du mois d’avril 2024, le plan d’actions du gouvernement, avec un agenda précis de réalisation des objectifs fixés.
Mais, qu’est-ce qu’une transformation systémique ? Quelles différences entre transformation systémique et rupture systémique ? Le regroupement de plusieurs ministères sectoriels est-il cohérent ? La composition du nouveau gouvernement est-elle adaptée au portage du projet ? Bref, quelles sont les forces et les faiblesses du nouveau gouvernement ?
La transformation systémique et la rupture systémique sont deux concepts distincts qui ont des implications différentes :
La transformation systémique implique un changement en profondeur dans un système existant tout en conservant ses fondements essentiels. Elle vise à améliorer ou à réformer un système sans remettre en question radicalement sa structure ou ses principes fondamentaux. Elle peut impliquer des réformes institutionnelles, des changements de politiques ou des ajustements significatifs tout en maintenant la continuité et la cohérence globales du système.
Quant à la Rupture systémique, elle implique un changement radical ou une interruption complète du système existant, remettant en question ses bases et ses structures fondamentales. Elle vise à abolir ou à remplacer un système existant par un nouveau système radicalement différent. Elle peut être motivée par la nécessité de changer fondamentalement les paradigmes, les valeurs ou les structures d’un système considéré comme obsolète, inefficace ou injuste.
Le Président de la République, en optant pour une transformation systémique, a choisi la voie qui consiste à améliorer le système existant tout en le préservant dans ses grandes lignes, en lieu et place d’une rupture systématique qui vise à remplacer complètement un système par quelque chose de nouveau et différent.
La transformation systémique, bien qu’elle puisse apporter des avantages significatifs, comporte également des faiblesses et des défis. Une transformation systémique peut permettre de moderniser les structures politiques et administratives, améliorant ainsi leur efficacité et leur capacité à répondre aux besoins de la société. Elle offre également l’opportunité d’introduire des innovations dans la gouvernance ou des approches innovantes dans la gestion des affaires publiques. En réformant les processus électoraux, par exemple en remplaçant le CENA par une CENI, et les institutions politiques, une transformation peut favoriser une meilleure représentativité des différentes voix et perspectives de la société. Une réforme systémique bien menée peut renforcer la légitimité des institutions et des processus politiques, augmentant ainsi la confiance des citoyens envers leur gouvernement.
Face aux nouveaux défis économiques, sociaux, environnementaux et technologiques, une transformation systémique peut permettre de mieux adapter les politiques et les institutions pour y faire face. Cependant, les transformations systémiques peuvent rencontrer une forte résistance de la part des acteurs politiques, des élites ou d’autres groupes ayant un intérêt au maintien de l’ancien système, ce qui peut entraver la mise en œuvre des réformes.
Ces réformes sont souvent complexes à mettre en œuvre et peuvent nécessiter des ressources financières importantes, ainsi qu’une coordination étroite entre différents acteurs et institutions. Une transformation rapide et radicale peut parfois entraîner des déséquilibres ou des tensions dans le système politique, notamment si les changements ne sont pas bien planifiés ou s’ils ne prennent pas en compte les réalités locales.
Pendant la période de transition, il peut y avoir une certaine instabilité politique et sociale, notamment si les réformes ne sont pas accompagnées de mécanismes de gestion de cette transition et de consolidation des nouvelles institutions. Les transformations systémiques peuvent parfois être réversibles, surtout si les conditions politiques ou sociales changent, ce qui peut compromettre les gains réalisés par les réformes.
Le gouvernement actuel, caractérisé par un regroupement de plusieurs ministères sectoriels et composé de 25 ministres et 5 secrétaires d’État, répond-il à ces nouvelles exigences ?
Le gouvernement couvre un large éventail de secteurs, ce qui témoigne d’une tentative de prise en charge des besoins diversifiés de la société. Les membres du gouvernement semblent avoir de bons profils intellectuels adaptés dans leurs domaines respectifs, ce qui peut être bénéfique pour la gestion efficace des portefeuilles ministériels.
La présence de secrétaires d’État pour des domaines spécifiques comme le développement des PME/PMI et les coopératives montre une volonté de couvrir des aspects importants du développement économique. Chaque ministre et secrétaire d’État peut se concentrer sur son domaine spécifique, ce qui peut favoriser une expertise approfondie et des actions ciblées dans chaque secteur.
Par exemple, le ministre de l’Éducation M. Moustapha Guirassy, gérant un établissement d’enseignement supérieur certifié ISO qualité, dispose normalement d’une expertise approfondie dans ce domaine.
Avec un nombre réduit de ministres et de secrétaires d’État, la coordination et la gestion des activités gouvernementales peuvent être simplifiées, favorisant potentiellement une prise de décision plus rapide. Une équipe gouvernementale réduite peut faciliter une communication claire et cohérente des politiques et des initiatives gouvernementales auprès du public et des parties prenantes. Elle peut potentiellement réduire les coûts financiers liés aux salaires, aux frais administratifs et au fonctionnement des ministères.
Cependant, elle peut également entraîner une surcharge de travail pour chaque ministre et secrétaire d’État, surtout s’ils doivent couvrir un large éventail de responsabilités. Par exemple, un domaine comme l’environnement et la transition écologique pourrait nécessiter une attention plus large et plus soutenue du fait de l’immensité des tâches à accomplir.
La transition écologique et l’environnement sont deux concepts liés mais distincts. On note une certaine complémentarité entre ces secteurs. La transition écologique est un processus d’adaptation de nos pratiques et de nos systèmes pour répondre aux défis environnementaux et favoriser un développement durable, tandis que l’environnement représente l’ensemble des éléments naturels et des écosystèmes que nous cherchons à protéger et à préserver à travers cette transition.
Mais, la prise en charge de la transition écologique nécessite de nouvelles structures ou une réorganisation des structures existantes. Or, l’on sait que le ministre de l’environnement compte déjà 6 directions. En plus, ce secteur est transversal et concerne presque tous les ministères, on conçoit alors l’ampleur de la tâche qui attend M. Daouda NGOM. On peut alors se demander si ce secteur ne nécessiterait pas un secrétariat d’État.
L’ampleur des tâches et le manque d’expérience gouvernementale des ministres pourraient retarder et même limiter la capacité du gouvernement à aborder efficacement les défis complexes et interconnectés. Cela peut entraîner des lacunes dans la coordination entre les différents secteurs, compromettant ainsi l’efficacité des politiques globales. De plus, on pourrait noter des doublons ou une confusion dans les responsabilités. La présence de ministères ou de secrétariats d’État pourrait conduire à des chevauchements, comme par exemple, la microfinance et l’économie sociale et solidaire avec l’économie et le plan.
Un gouvernement avec un petit nombre de membres peut parfois entraîner une centralisation excessive du pouvoir entre les mains de quelques individus, ce qui peut affecter la reddition de comptes et la transparence.
Ainsi, une transformation systémique offre des opportunités importantes d’amélioration de la gouvernance et de réponse aux défis contemporains, mais elle nécessite une planification minutieuse, une large consultation des parties prenantes, et une gestion prudente des risques associés au changement.
Un bon gouvernement, dit-on, est un « gouvernement qui fait la volonté du peuple dans le respect des lois et de la justice ».
Il se doit de prendre en compte ses forces et ses faiblesses et de faire du « Jub-Jubal-Jubanti », c’est-à-dire la probité morale, un principe fondamental. Un gouvernement qui combine compétence et probité morale est mieux équipé pour répondre aux attentes du peuple, gérer efficacement les défis nationaux et promouvoir un développement durable et équitable, et donc répondre efficacement aux exigences d’une transformation systémique.
Dr Tabouré AGNE
Président commission Politique MTN
agnetaboure@yahoo.fr