Emigration clandestine : « Voici une partie de la vérité » (Par Aly Khoudia Diaw)*

Emigration clandestine : « Voici une partie de la vérité » (Par Aly Khoudia Diaw)*

Nous suivons, avec amertume et regrets, la vague d’émigration clandestine ou irrégulière, qui endeuille le Sénégal, malgré la vague d’indignation qui accompagne ce « fait » de société. Si nous avions décliné toutes les invitations pour en parler, c’est que malgré l’émotion et la tristesse que nous ressentions tous les jours, nous ne voulions pas accompagner la recherche de buzz et d’émotions caractéristiques du sénégalais d’aujourd’hui, mais surtout par le fait qu’un sociologue risque de sombrer dans la généralité s’il veut traiter d’une question assez importante alors qu’il n’a que quinze à vingt minutes dans un plateaux TV pour le faire. Donc il y’avait une difficulté à en parler, en mettant de côté l’émotion, le buzz, le tollé, le mimétisme très prisés par les radios et TV au détriment de la réalité des faits. Ensuite certains demandaient non seulement les causes, mais aussi les solutions pour arrêter l’émigration irrégulière ici et maintenant. Honnêtement je pense que chacun a donné sa part de vérité, préconisé des solutions et même fustiger l‘attitude du gouvernement. En ce qui me concerne, je pense que tout le monde peut débattre des causes et des solutions, et on le fait toujours, mais il faut d’abord lever les équivoques (cartographie des causes primaires), poser le problème (de quoi traite-on) et enfin tenter une explication. Pour moi, voici une partie de la vérité.

Donc plateaux radios et TV en ont parlé à longueur de journées, pour non pas comprendre les fondements de l’irrégularité du problème, mais surtout pour donner ici et maintenant les causes, parfois les raisons qui expliquent l’émigration irrégulière. Or, En sociologie, on ne réfléchit pas comme ça. Ce n’est pas l’émigration irrégulière qui nous intéresse ici, mais « l’irrégularité de l’émigration ». Et dans la démarche, il faut conceptualiser entre les méthodes explicatives et les méthodes compréhensives car il y’a une différence entre « expliquer » et « comprendre ». Ici il ne s’agit pas d’expliquer parce que nous avons compris, mais de comprendre d’abord pour expliquer ensuite.

Qu’est-ce qu’expliquer ? Qu’est-ce que comprendre ?

Le premier vous renverrait à une approche de l’individualiste méthodologique alors que la seconde approche poserait le problème de l’émigration irrégulière selon une approche holistique du problème et ou les « parties » ne seraient pas la somme du « tout », mais plutôt que le « tout » aurait une conscience particulière qui lui donnerait une autre réalité. Pour faire plus simple, il faut comprendre que la mentalité des groupes n’est pas celle des particuliers, elle a ses lois propres.

Un phénomène social ne s’explique pas par ses manifestations individuelles, ni même par ses répercussions psychologiques, comme nous l’a enseigné le grand maitre Emile Durkheim. Il faut aller chercher l’explication par un autre phénomène social qui le précède et sur la base de laquelle on peut établir des rapports de causalités. En d’autres termes, La cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents. J’ai bien dis fait social, “fait” comme phénoméne car la condition ici est que le phénomène que vous traitez soit un phénomène constitutif d’un « type social », c’est-à-dire qu’il soit typographié comme un phénomène social. Donc, il faut bien caractériser si le problème que vous traitez (ici l’émigration clandestine) est-il un fait social d’abord?

Si c’est non, ça n’intéresse pas la sociologie, mais si c’est oui, il faut dire si le phénoméne social ainsi défini est “normal” ou “pathologique”. Ensuite suivront toutes les autres régles de la méthode qui permettent aux sociologues de comprendre un phénoméne social et de l’expliquer. ET surtout de faire la difference entre une “réalité sociale” et “un phénoméne social”. Sinon tout ce que vous direz n’entrerait pas dans le champ de la réflexion sociologique. Nous avons choisi librement de traiter l’émigration (le concept) sans qualificatif, comme une réalité sociale.

Relevé de causes primaires à l’échelle individuelle : Traduction non exhaustive

« Dama beug tékki
« Dama beug téral sama yaye »
« Deuk bi dafa méti »
« Deuk bi amoul ligguey »
« Liguey bi dokhatoul »
« Amatouma yaakkar fi »

Qu’est- ce que vous allez dire aux acteurs ?

On retient ici la sémiologie en vigueur quand il s’agit de convaincre les acteurs de rester.

– Ne partez pas : ça n’a pas de sens, ils veulent partir.
– C’est trop dangereux : ils le savent ou pas, mais ils ont l’information que c’est faisable d’autant plus que d’autres y sont arrivé. Alors pourquoi pas eux. Donc vos propos n’ont aucun effet sur eux.
– C’est un suicide : Non, un amateur, un chroniqueur de TV ou un wakhsakhateur, bref quelqu’un du sens commun peut tenir cette affirmation, mais un socio-anthropologue ne dira pas cela car ce n’est pas la définition que nous avons du suicide. Voici ce que Durkheim dit du suicide : « On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même, et qu’elle savait devoir produire ce résultat ». Conclusion logique : les jeunes qui partent ne se suicident pas. L’acte qu’il pose ne dit pas clairement qu’ils vont mourir. D’autant plus que certains arrivent sains et sauf à bon port. En l’espèce on ne peut pas dire que les jeunes se suicident dans la mesure ou leur tenacité à partir est renforcée par ceux ou celles qui arrivent à destination, appellent leurs familles, font du SNAP avec leur téléphone pour montrer qu’ils ou qu’elles sont bien arrivé (ès).

– Vous pouvez réussir ici : ça devient difficile à croire par ces temps qui courent sauf si vous êtes politicien. Les activités que mènent ces acteurs relèvent toutes du secteur informel et ne sont encadrés, sécurisés, encouragés et promus par aucune loi. Ne jamais oublier que désormais au Sénégal, « thiono Day réer borom ».

– Il faut persévérer : S’il n’y a pas d’espoir au bout, inutile. La persévérance est ressentie en termes d’impact lorsque l’individu sent dans son vécu quotidien, des signes d’améliorations de ses conditions socio-économiques d’existence qui, à termes, vont lui permettre de réaliser ses rêves. Et dans le contexte africain pour ne pas dire sénégalais, le rêve n’est ni d’inventer une formule mathématique, de découvrir des remèdes contre le diabète ou la tension, ni même de proposer un nouveau curriculum de l’éducation, mais juste d’avoir de l’argent, de se marier à 4 femmes, d’avoir un véhicule, de construire plusieurs immeubles, d’amener père et mères à la Mecque, et au bout de 10 ans d’accumuler toutes les maladies du monde et de préparer sa mort. Parce que dans le contexte sénégalais, on ne réussit pas pour soi- même, on réussit pour les autres, pour la communauté, pour le voisin d’immeuble et pour le rival de quartier.

– L’Europe n’est plus comme avant, les conditions sont très dures de nos jours : ils vous répondront alors pourquoi ceux qui sont là- ba ne rentrent pas et ceux qui sont ici veulent tous partir. « Noumou mana mèl mo tanné fi ».

Nous remarquons qu’à chaque fois que nous essayons de convaincre le citoyen sénégalais de rester ici, il nous oppose un argumentaire difficilement rejetable. L’Europe est un construit social bâti sur l’image d’un eldorado d’où rien ne manque et qu’il suffit juste de se pencher pour ramasser les fruits. Cette construction sociale a été renforcée au fil des années par les premières vagues d’émigrants qui ont réussi avec de belle maisons, de belles voitures, de belles femmes et un luxe apparent manifeste lorsqu’ils venaient en vacance pour quelque jours et au cours desquels toutes l‘attention du quartier était tournée vers eux. Cette image, de nos jours, est difficilement incollable.

Quel type d’émigration?

On distingue généralement deux types d’émigration, celle choisie et celle subie. L’émigration choisie, c’est quand un professionnel (noter bien que j’ai dit un professionnel, ça peut être aussi un travailleur ou quelqu’un qui est spécialisé dans tel ou tel domaine d’activité), en activité ou non, doté de compétence, choisit librement d’aller voir ailleurs, soit pour renforcer ses revenus, soit pour renforcer ses compétences, soit pour des questions de mobilité professionnelles, soit par amour ou estime de soi, soit par précarité dans son lieu de travail. Dans les ministères et entreprises nous le faisons tous les jours et généralement les pays hôtes sont demandeurs car le professionnel débarque avec une compétence recherchée. L’émigration subie, c’est quand la personne, professionnelle ou non, en activités ou pas, décide de quitter son pays en mettant en évidence les questions de conjoncture, de chômage, de désillusion, de découragement, ou de tout autre état mental et physique et ou de survie qui l’oblige ou le place en position d’émigration forcée.

A votre avis, de quel type d’émigration est- il question ici ?

Le profil de ceux ou celles qui émigrent est important dans la mesure où elle détermine le type de besoin. Si généralement au Sénégal ce sont des jeunes (entre 18 et 35 ans), c’est normal car c’est l’âge ou la personne (je ne dis pas le sénégalais) se découvre des possibilités, des envies, des motivations et des besoins à assouvir et sent dans sa biologie, la capacité de les affronter. Je ne fais pas non plus de différenciation entre les jeunes hommes et les jeunes femmes dans la mesure où il n’y a pas de différence de contexte. Ils subissent tous le même contexte, la même conjoncture et la même réalité socio- économique ambiante (c’est-à-dire le vécu quotidien). La démarche que nous proposons ici est, au-delà de ce que chaque sénégalais ou qu’il se trouve et quelque soit son rang et sa position peut donner comme explication de ce phénomène (généralement c’est le principe du pluralisme causal), nous tenterons nous de poser le problème autrement en faisant l’inverse, c’est-à-dire convoquer ici le le Principe de l’unicité causable. Pour ce faire, un cadre conceptuel bati au tour des “état de consciences” suivants (La cupidité, l’échec des ménages, l’incidence de la polygamie, le martyr de la répétition quotidienne, etc.) sera algorithmé. Ce sera l’objet de la deuxième partie
A suivre

* Par Aly Khoudia Diaw
Socio-anthroplogue

2 COMMENTAIRES
  • L'analyste

    Immigration est un phénomène difficile à comprendre. Certains ont leur métier et d’autres ont leur fonction mais cela n’empêche ils partent vers d’autres cieux.eyx tous en quittant leur foyer ils ont des millions pour assurer leur périple. Mois même je suis immigré avec des milliers de citoyens africains ici mais tout ce qui nous fait quitter l’Afrique n’est rien d’autres que LA PARITE DES MONNAIES DES MONNAIES.jetais agent des eaux et forêts, je gagnais mon salaire mais malheureusement c’était trop peu pour subvenir aux besoins de la famille. Arrivé aux États-Unis, je gagne seulement 600 dollars par semaine c’est à dire 2400 dollars par mois qui équivaut à 1200000 fcfa ,j’arrive à régler les problèmes de la famille, j’ai déjà construit une belle villa et je suis à l’aise ici. Je me suis rendu compte que si le dollars avait la même valeur que le franc CFA, oublient si le franc CFA avait un taux plus élevé que le dollars je ne quitterais jamais mon Pays. Tant que percevoir un petit salaire à l’étranger est beaucoup mieux que percevoir un salaire moyen en Afrique l’immigration serait très difficile à gérer. Au Sénégal un salaire de 1000000fcfa est pour une certaine catégorie de fonctionnaires et aux États-Unis 1000000fcfa est le plus bas salaire payé .

  • Cheikh

    Un toubab xénophobe a insulté les africains en ces termes dont nous devons nous en méditer
    Je le cite
    Vous les africains vous faites des enfants en quantité industrielle avec des parents irresponsables , incapables d’assumer leur devoir parental ET des gouvernants ne sauraient leur offrir des emplois alors la seule alternative c’est d’envoyer ces enfants pour qu’ils envahissent les pays européens

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