« El Hadji Mouhammad Sakhir Ndieguene, parcours d’un érudit intègre des temps modernes »

De par les vieilles sagesses, il est dit que « le parachèvement du travail d’un érudit s’illustre par le défi d’un fils à assurer la pérennité de sa mission tels une marque de fabrique, un héritage séculaire ». Tafsir Ahmadou Barro a vu cette sagesse prendre tout son sens dans l’œuvre de son fils El Hadji Amadou Sakhir Ndieguene, plus connu sous le nom de Mame Aladji qui usa de stratégies originales pour mener à bien sa mission. Érudit, savant et visionnaire, Mame Aladji a marqué son temps depuis sa tendre jeunesse sous l’aile de son père jusqu’à ses derniers instants dans le grand salon de sa résidence principale, trônant majestueusement sur sa chaise pliante en direction de la Mecque. Ce lion, de par son itinéraire, convaincra le monde avant de revenir s’affirmer comme l’un des dépositaires légaux et attitrés de la voie Tîdjâne au Sénégal et ses environs. Premier khalife de Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene, il fut un soufi authentique et rassembleur qui, avec l’aide de ses frères, sœurs, proches et disciples de la famille, porta le flambeau de la mission de ses ancêtres. Par ailleurs, il a su écouter et exploiter les sages paroles et conseils de son père pour se situer avec la plus grande certitude.

Mame Aladji est né dans un contexte de défi. Il constituait une partie du puzzle de la réussite spirituelle de son père, une preuve immuable du saint homme pour la pérennité de ses œuvres dans la voie de l’Islam. Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene avait entrepris le projet de construction de la petite mosquée de la cité de Keur Mame El Hadji peu de temps après son installation dans la ville de Thiès. Dans ce projet, il bénéficiait de l’apport mystique et passionnel de la plupart des dignitaires religieux comme coutumiers du Sénégal. Dans cette même logique, il reçut une prédiction de taille qui émanait de son ami Seydina Limamou Laye, et qui parlait de la venue au monde d’un enfant, d’un fils qui assurerait la relève et surtout, consoliderait les acquis enclenchés tels que la gestion de la cité, une fidélisation des non-croyants et le maintien d’un Islam pur. Ainsi, un jour très ordinaire, pendant qu’il était occupé dans les travaux, Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene recevait la bonne nouvelle : sa première épouse Sokhna Aminata Faye, originaire de Yoff, venait de mettre au monde un fils, le successeur du legs patriarcal. Il est important de noter que ce garçon n’était pas le premier né, mais bien évidemment le deuxième, car son premier fils, Mouhammad Kabîr, a très vite quitté ce bas monde. Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene donnait le nom de Mouhammad (Amadou) Sakhir Ndieguene à son futur khalife, en reconnaissance au prophète Mouhammad (PSL). Cette naissance est approximativement datée autour de l’an 1890 à Thiès si l’on se réfère à la tradition orale. Il faut noter que sur sa pièce d’identité établie par l’administration coloniale, sa date de naissance serait 1895. Et enfin, il y a d’autres sources orales qui soutiennent que cette naissance est datée vers 1885.

Très tôt dans sa jeunesse, Mame Aladji s’est vu initié dans le cercle familial et religieux. Toujours proche et très complice de son père, il débute son enseignement coranique dans ses quartiers. Plus tard, son père décide de l’envoyer parfaire son éducation un peu partout dans la sous-région. Si au départ, l’objectif est une scolastique parfaite, le non-dit est cependant une connaissance du monde, une découverte de la multi-culturalité du monde, la diversité des peuples, des conceptions de la vie diverse, des visions antagonistes de la religion. En somme, il s’agit pour un père trop attaché à sa progéniture de visiter le monde pour devenir ensuite un érudit ouvert d’esprit et instruit grâce à ses nombreux voyages. Le jeune Mame Aladji entreprit un long voyage de la vie. Sa première station fut le village de Thiakh, situé dans l’arrondissement de Ndindy (région de Diourbel) auprès de son maître El Hadji Birane Niang. Il s’inscrit ainsi dans une dynamique d’une hégire, d’un exil, mais cette fois-ci volontaire. Il suit ainsi le principe de la logique de la découverte qui est un cheminement typique des grands érudits. Ces derniers, dans l’endurance et la résilience dans l’inconnu se forgent, s’éduquent, capitalisent, mais surtout s’accomplissent et accomplissent un destin et un parcours inéluctable avec une portée purement sacrée dans la spiritualité. Auprès de ce dernier, il a su affiner et asseoir les enseignements de son père. Dès ses premiers jours, on le voit s’ériger en responsable, et mieux, il s’arroge des responsabilités en étant le répétiteur agréé d’un groupe d’élèves venus d’autres contrées pour la même cause. Il devient le précepteur principal de l’école coranique.

Parallèlement à ses enseignements, Mame Aladji se distinguait entre autres dans les champs, s’engageant, à chaque récolte, à remplir les greniers de son maître en guise de reconnaissance et de gratitude pour les services offerts. Au fil des années, à l’image de son père Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene, il deviendra une autorité incontournable du village de Thiakh. El Hadji Birane Niang lui avait confié toutes les responsabilités de l’école. Il professait, il parlait en son nom et devenait aussi son envoyé spécial attitré. L’on nous apprend ici les premiers pas de Mame Aladji d’une vie loin du cercle familial, loin des privilèges maternels. À cet âge, il avait déjà commencé à dégager une autorité de fer et un art de gestion qui lui conférait le titre de vertueux et de pieux. Il entreprit son retour avec un âge de maturité très avancé. Son père qui avait vu partir un jeune homme retrouve ainsi un homme mûr, pétri d’une plénitude universelle, c’est-à-dire une connaissance de l’ailleurs dans divers domaines et contextes. Et pour finir, Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene, compléta avec beaucoup de minutie son éducation religieuse comme ce fut le cas avec la plupart de ces enfants.

Un jour, la famille de Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene reçut la visite de la progéniture d’El Hadji Omar Tall, en l’occurrence, l’érudit Serigne Mourtada Tall. Cette visite de courtoisie n’était pas fortuite, car de prime abord, la demeure de Keur Mame El Hadji est par excellence un lieu de transit, un point de chute de la famille d’El Hadji Omar Tall. Voilà donc la raison qui a fait que Serigne Mourtada Tall, en partance pour la Mecque, est passé dans son havre spirituel avant de continuer son chemin. Tafsir Ahmadou Barro Ndieguene, en fin connaisseur, demanda à son fils de recevoir la litanie Tîdjâne des mains de ce saint homme ainsi que tous les honneurs qui vont avec. Serigne Mourtada Tall a été initié à la Tîdjânia par son grand frère, Thierno Ahmadou Cheikhou Tall, qui lui, a été initié par El Hadji Omar Tall. Mame Aladji se voyait ainsi attribuer la litanie Tîdjâne et recevait dans la foulée le grade de dignitaire dans la religion musulmane. La consécration ne fut pas des moindres, car par ricochet, on découvrit plus tard que Serigne Mourtada Tall avait comme mission de venir élever le saint homme parmi les khalifes de Cheikh Ahmed Tîdjâne Chérif sur terre. Il lui fit connaître par la même occasion le glorieux nom caché du Seigneur (SWT). Mame Aladji acquiert en une soirée tous les grades confondus de la voie Tîdjâne. Il faisait partie des pôles qui planaient sur la plus haute station de la Tîdjânia. Il l’affirmait en ces termes : « Au premier jour de ma consécration, je reçus pendant cette nuit la visite de tous les pôles de la Tîdjânia, ils venaient tous magnifier mon investiture et m’accueillir dans ma nouvelle famille d’ascètes ». À ce jour, Mame Aladji avait un guide, un chef religieux autre que son propre père ; mais loin d’être un aveu d’insubordination ou d’inaptitude, ce fut un acte d’allégeance à la famille d’El Hadji Omar Tall et permit de garder ainsi le lien de parrainage liant les deux familles. Fidèle au pacte d’allégeance, il est donc très normal, voire pertinent, que Mame Aladji, légitimement, reçoive des mains de Serigne Mourtada Tall la consécration, car selon la lignée et à l’image de son père, l’authenticité n’est plus à démontrer. Par le biais de son père, Mame Aladji offrit à Serigne Mourtada Tall un cheval et des cadeaux en guise de reconnaissance. Serigne Mourtada Tall rendit l’âme quelques années plus tard, laissant son disciple Mame Aladji sans maître spirituel. Par respect des principes de la Tîdjânia, Mame Aladji devait choisir un nouveau maître pour perpétuer sa mission dans la religion musulmane. C’est ainsi qu’il fit allégeance à son père afin de renouveler sa foi et son appartenance à la Tîdjânia.

À la disparition de son père en 1936, il devint à l’unanimité son khalife alors qu’il n’était âgé que de 46 ans. Avec l’aide de la famille, des disciples et dignitaires, il réussit à poursuivre la mission de son père en usant de stratégies et de visions à la hauteur des plus grands hommes de ce monde.

* Groupe de Réflexion et d’Initiatives de la Hadara Ndieguene (GRIN)

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