Conflits fonciers: La voie extrajudiciaire, un mode efficace et durable…*

« Au Sénégal, l’essentiel des alertes que je reçois au quotidien sur les risques de conflits viennent à plus de 90% du foncier, a dit le chef de l’Etat,  pour qui il convient de tenir dès lors en compte du potentiel économique des terres non immatriculées afin d’envisager un nouveau droit d’usage ». Ces propos tenus par le chef de l’Etat lors de la cérémonie d’ouverture du 31e congrès des notaires d’Afrique axé sur le thème : #déjudiciarisation, #foncier, #numérique montre que malgré la réforme foncière et l’acte 3 de la décentralisation, la sécurisation foncière tant recherchée n’est pas encore effective.

La mise en œuvre timide de l’acte 3 de la  décentralisation laisse entrevoir une augmentation des conflits fonciers. La gestion des revendications que la décentralisation  entendait  prendre en charge,   n’a pas  été  apaisée par le nouveau  code des collectivités locales. C’est le cas des conflits liés aux limites entre collectivités locales ,la mauvaise gestion de l’espace entre activités agricoles et pastorales, le confinement de l’élevage dans un espace réduit, l’avancée du front agricole, l’accaparement des terres. Il en est de même, de  l’accaparement des instances de décision par les anciens maîtres de terres, l’exclusion des jeunes, des femmes, des groupes vulnérables dans l’accès au foncier.

La sécurisation des droits fonciers est primordiale pour que la décentralisation réussisse. Or, la sécurisation foncière ne peut passer que  par une résolution effective des conflits  fonciers. En effet, comme la souligné le président de la république «  les réformes entreprises depuis 2012 tendent à apporter des corrections d’appui et adaptées dans le domaine de la justice.  D’autres réformes ont visé le désengorgement des rôles des tribunaux en permettant le concours d’autres acteurs, dans la résolution des litiges », a-t-il indiqué. Si, évidemment, ces modes extrajudiciaires ou modes alternatifs de résolution des conflits fonciers sont  pris  en compte  par les réformes foncières, il faut quand même noter qu’elles présentent des limites. Ce que révèle  l’analyse des  divers  documents fonciers  publiés par La Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF).

  1. L’importance accordée aux modes de règlement extrajudiciaires

On note une  certaine  considération accordée aux modes de règlements des conflits fonciers dans le document de politique foncière. En effet, il y est   recommandé d’augmenter le  nombre des maisons de justice[1] et de renforcer leur maillage sur le territoire national.  Cette  recommandation est formulée dans les   mesures d’accompagnement de la réforme foncière. En plus, la gestion des conflits est une préoccupation qui a été  consignée dans le document  d’orientation stratégique de la réforme foncière.

L’étude du document d’orientation stratégique de la réforme foncière  montre  que, dans les conclusions issues de l’évaluation de la gouvernance foncière, il est pris en compte vingt et un (21) indicateurs de gouvernance foncière. Ces  indicateurs sont regroupés en cinq(5) modules ou thématiques. Parmi ceux-ci la résolution des litiges et la gestion des conflits occupe la cinquième (5) place. L’évaluation de cette thématique recommandait d’assurer :

-La couverture complète des départements et leur maillage plus dense en maisons de justice ;

-La révision des procédures en vue de diligenter les décisions rendues par la justice ;

-la réhabilitation des modes alternatifs de règlements des conflits fonciers.

L’augmentation de nombre de maisons de justice et leur  maillage plus dense  sur l’ensemble du territoire national et la réhabilitation des modes alternatifs de règlement des conflits fonciers  comme recommandée dans le document d’orientation stratégique de la réforme foncière, montrent que la nouvelle politique foncière accorde une certaine importance à la médiation foncière. Certes, les modes alternatifs de règlement des conflits comprennent  les  méthodes autres que judiciaires, notamment la négociation, la conciliation, la médiation et l’arbitrage. Mais, d’une part,  la médiation est effectuée dans les maisons de justice[2]. Les expériences de médiation en institution judicaire comme  la médiation foncière, pénale et civile  dans les maisons de justice connait  un sucés croissant. D’autre part, la médiation  favorise  l’émergence de procédures, souples  et adaptées  à la régulation de notre société.

Cependant l’augmentation de nombre de maisons de justice et leur  maillage plus dense  sur l’ensemble du territoire national  demeurent insuffisants pour  les rendre plus efficace en matière de gestion du contentieux foncier. Il existe plusieurs dysfonctionnements liés aux au processus de règlement, aux  ressources financières et humaines. Les médiateurs dans les maisons de justice manquent  généralement de compétence  en matière foncière.

2.. Une  prolifération des instances de gestion des conflits fonciers 

La nouvelle  politique foncière insiste  sur  la mise en place de nouvelles intuitions pour mieux assurer une bonne gouvernance foncière, permettant de prévenir et de gérer les conflits fonciers. Elle prône la mise en place d’instances de gestion  foncière de proximité  à l’échelle inter-villageoise. Le recours à ces instances ayant une bonne maîtrise des réalités foncières au niveau local permettra de collecter une information fiable  sur les droits fonciers des exploitations familiales. Elle propose également la création  de commissions foncières de proximité qui permettront « aux collectivités locales de conduire un processus plus transparent de formalisation des droits des exploitations familiales, avec un minimum de risques de contestation et de conflit ». Ces structures  participent  en même temps à la gestion et à  prévention des conflits au niveau local.

 Il en est de même du conseil local de gestion foncière. Ce  conseil local de gestion foncière qui sera crée au niveau de chaque village  aura pour missions de : (i) participer à la gestion des terres de culture, des forêts villageoises, des zones de pâturage, des espaces halieutiques et des infrastructures communautaires ; (ii) contribuer à la prévention et à la résolution des conflits ; et (iii) de contribuer à l’élaboration d’un plan visant à promouvoir la gestion et le développement du terroir

La création de  comités villageois/inter-villageois de concertation[3]  rentre également dans ce cadre. Ainsi, il est précisé dans le document de politique foncière qu’il «  s’avère nécessaire de mettre en place un dispositif juridique et institutionnel local apte à répondre aux problèmes de gestion foncière et de sécurisation des droits des citoyens, tant en zone urbaine que rurale. Pour progresser dans cette voie, l’une des mesures d’accompagnement importante porte d’une part sur la création de bureaux fonciers communaux et de comités villageois/inter-villageois de concertation et, d’autre part, sur la généralisation de la tenue des registres fonciers, sous un modèle unifié. »

Toutes ces nouvelles instances qui participent à la gestion foncière, mais également aux règlements et à la prévention des conflits complexifient d’avantage le paysage institutionnelle des collectivités locales. A  ce niveau, on  note déjà la présence de beaucoup de structures de gestion et de prévention des conflits. C’est le cas des comités de gestion des conflits mis en place dans beaucoup de collectivités locales de la vallée du fleuve Sénégal par le MCA-S. C’est le cas également des commissions domaniales qui sont également compétentes dans ce  domaine. Il y’a également les comités de conciliation qui existent au niveau  des communes, des arrondissements et au niveau régional. Il s’y ajoute les instances locales créées par les plans d’occupation et d’affectation des sols (PAOS), comme les commissions zonale inter-villageois et inter-zonales. Il s’avère alors indispensable de rationaliser le fonctionnement de toutes ces structures.

Les possibilités de naviguer du système judiciaire à celui extrajudiciaire ou vice versa peut contribuer à l’imprévisibilité juridique et à la pérennisation de certains conflits. Ce pluralisme  juridique  laisse entrevoir l’importance de créer des passerelles entre la justice étatique et les procédés extrajudiciaires de résolution des litiges fonciers. Ce qui permettra de prévenir et de résoudre efficacement et durablement les conflits fonciers.

*Tabouré AGNE

Doctorant en Droit et gestion des collectivités locales

agnetaboure@yahoo.fr

1 COMMENTAIRE
  • Ibrahima DIENG

    Merci M.Agne,toujours pertinent et la plume suave

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