WhatsApp et la dégradation de l’image de la femme… Au cœur d’une série de scandales sans précédent (Reportage)

L’image de la femme s’écorne de jour au jour. Des violences faites sur elle, la diffusion de chansons et clips jugés obscènes est de plus en plus décriée par des organisations qui militent pour la restauration de l’image de la femme et des associations pour les valeurs humaines. Au Sénégal, cette réalité a trouvé un allié inattendu : les réseaux sociaux. «L’audio de 27 minutes », « Iphone7 », « enregistrement d’une nuit de noce » et « Dash Plan », voici le résumé des affaires de mœurs qui secouent le Sénégal depuis plus de deux mois.

Ces quatre graves affaires ont pour dénominateur commun l’atteinte à la dignité de la gent féminine. Elles ont pour source de diffusion et propagande les réseaux sociaux, notamment « WhatsApp », sont propagées ensuite sur les autres plateformes et malheureusement relayées par des sites d’informations.

Retour sur les quatre affaires qui secouent la toile

Pour le premier cas, vite surnommé «l’audio de 27 minutes », il met en scène une femme mariée et son amant qui ont pris le soin d’étaler leur plan de rencontre d’abord à Toubab Dialaw (village situé sur la Petite-Côte, au sud de Dakar, entre Bargny et Popenguine). Ils ont, ensuite, atterri dans une auberge pour finir en pleine forêt avec comme prétexte le Magal de Touba (célébration de l’anniversaire, dans le calendrier musulman, du départ en exil au Gabon du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, dit Serigne Touba). Les deux amoureux ont concocté ce plan sur le réseau social WhatsApp dans un audio qui dure 27 minutes 43 secondes.

Pour le second cas baptisé « Iphone 7 », c’est un fichier audio qui met en scène un jeune homme et sa « petite amie ». Le jeune homme est au téléphone avec un de ses amis. Grace à l’aide de son complice, il met en place une stratégie pour coucher avec cette fille en lui promettant un Iphone 7 qu’elle ne verra jamais.

Le cas « enregistrement d’une nuit de noces » est ce qu’il convient d’appeler une cuisine interne puisque c’est entre des mariés. Cet audio de 2 min 37 secondes met en scène un homme, Habib, en pleins ébats avec une dame. Selon les informations qui accompagnent ledit audio, la scène a été enregistrée par son propre mari, le nommé Habib, lors de leur nuit de noces. L’audio serait partagé par une amie très intime de la fille.

Le dernier scandale, le plus gros, est un groupe sur WhatsApp intitulé « Dash Plan » regroupant près de 300 numéros téléphoniques de filles supposées être de « mœurs légères ». Ces numéros se
partagent sur ledit réseau social comme des cartes de visite ou carnets d’adresse depuis plus de deux mois à Dakar. Reportage dans les rues de Dakar

Jeudi 29 novembre, la journée commence avec une nouvelle qui coïncide avec notre sujet : le projet de loi n°28/2018 portant Code des Télécommunications électroniques a été voté dans sa majorité par les députés à l’Assemblée nationale, ce mercredi 28 novembre 2018 dans la soirée. Il n’en reste que sa promulgation. A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) où nous promenons nos micros pour interroger les étudiants sur les nombreux scandales qui secouent la toile, les gaz lacrymogènes et les jets de pierres semblent être nos premiers interlocuteurs. Des étudiants s’affrontent encore avec des forces de l’ordre. Cette fois-ci, ce sont des étudiants orientés dans le privé qui se révoltent … à cause des frais impayés par l’Etat à des établissements privés. Ils ont barré l’avenue Cheikh Anta Diop d’où les affrontements avec les forces de l’ordre. Visiblement notre sujet avec l’atmosphère présente n’ont aucun lien. Un peu loin à côté du restaurant Argentin au cœur de l’Université, nous retrouvons un groupe de jeunes qui accepte de livrer à cœur joie à nos interrogations.

« Je parlerai plus de l’audio de 27 minutes qui, ma foi, est une scène qui se passe très souvent dans les couples. Dans le cas d’espèce, cela fait du bruit parce que c’est atterri dans les réseaux sociaux. Je pense que la femme a été manipulée et cela peut arriver à toute femme n’ayant pas un esprit de discernement assez avancé. Je déplore le partage dans les groupes de discussions WhatsApp, sur facebook et même dans les sites connus d’informations. Ce qui est certain le mari de la dame est cocufié et il ne lui reste qu’à demander le divorce dans les brefs délais. Après tout c’est une honte », souligne d’entrée de jeu, Khalifa Sarr, étudiant en Année de Master à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (FASEG).

Des propos qui semblent être partagés par son camarade Adama qui préfère aborder la fameuse affaire « Iphone 7 ». « J’ai écouté la conversation sur l’Iphone 7 et dès le premier jour, j’ai tiré une conclusion simple : la perversité de nous les hommes et le matérialisme des jeunes filles. Nous sommes prêts à tous et elles aussi. » Des propos qui ont suscité un éclat de rire de ce groupe de 4 jeunes hommes.

« Je m’explique ! Je dis que l’homme est pervers parce qu’il a pris le soin d’enregistrer leurs conversations et avait l’intention de tout balancer sur WhatsApp après. Bien évidemment la fille s’est faite avoir par ces deux hommes complices au téléphone parce qu’elle avait l’intention d’avoir cet Iphone 7 pour être à la mode. A malin, malin et demi ».

De quoi faire réagir Birane T qui ne semble pas partager les avis de son alter-égo. Pour lui, la fille est une victime qui aurait agi par amour pour cet homme qui serait son petit-ami. Le timide du groupe s’est contenté de rire et n’a voulu laisser aucun mot dans cette discussion.

Pour sa part, Aissatou que nous retrouvons près de l’amphi de l’ISEG à la Faculté des Sciences juridiques et politiques (FSJP) se désole de la publication de liste des filles supposées être de mœurs légères. Elle invite par ailleurs les siennes à plus de vigilance dans leurs fréquentations. Pour cette fille, teint noir, véritable nymphe, cheveux naturels sur la tête, les réseaux sociaux ont fini par semer des consolations dans les familles sénégalaises. « Imaginez un prétendant qui retrouve sa petite amie dans cette fameuse liste. Ou encore un père ou une mère de famille qui tombent sur le nom et le numéro de sa fille dans la liste dite ‘Dash Plan’. Vous voyez, c’est des pans entiers d’une vie qui s’écroulent », regrette notre interlocutrice.

Justement concernant cette fameuse liste, Dr Pape Guèye, commissaire de police, chef de la division spéciale de cybersécurité que nous retrouvons au siège de la Division spéciale de cybersécurité, ce vendredi, 30 novembre, donne plus de précisions sur les présumés auteurs. Il annonce par ailleurs l’arrestation de (10) dix personnes. Selon ses dires, ces arrestations ont été rendues possibles grâce à l’expertise du Capitaine Alexandre de la police française et conseiller spécial du directeur de la police judiciaire détaché auprès de la division spéciale de la cybercriminalité.

Ses dix (10) présumés, tous des Sénégalais, dont la plupart sont des élèves, étudiants, restaurateurs et footballeurs, ont été localisés et alpagués à Dakar.

« Ils ne sont pas des informaticiens mais ont des connaissances en informatique. Ils utilisent des techniques de l’ingénierie sociale. Cette technique consiste à exploiter la faille humaine. En matière de cybercriminalité, on peut utiliser une faille technologique tout comme une faille humaine. On profite de la négligence de la personne pour avoir ce qu’on veut », renseigne Dr Pape Guèye qui nous souffle que les enquêtes sont en cours pour démasquer les autres composants du réseau.

Le Modus operandi, selon le commissaire Pape Guèye

« Les malfaiteurs avaient créé des groupes sur les réseaux sociaux notamment WhatsApp. Ils collectaient les données personnelles des jeunes filles qui présentaient comme étant de mœurs légères. Ces filles subissaient des chantages soit ils leur proposaient une partie intime, soit ils demandaient à ces victimes de l’argent pour pouvoir retirer les données à caractère personnel diffusées à travers les réseaux sociaux. »

Nos tentatives de discussion avec les victimes … sans succès

Elles, leurs familles et proches sont sur la défensive. C’est le constat amer que nous avons fait après une série de tentative de joindre des victimes. Une large majorité des numéros sont résiliés d’autres sur répondeur automatique. Notre aventure s’est tournée mal lorsque nous avons joint une certaine A.L  sur la liste. C’est un homme qui a pris l’appel et n’a pas voulu écouter tout en nous prévenant de ne plus rappeler le numéro. Sur près de vingt-deux (22) numéros téléphoniques contactés, un (1) a pu répondre à notre appel.

« Il faut privilégier le dialogue »

Mame Mactar Guèye de l’ONG Jamra, une organisation islamique qui lutte pour les valeurs musulmanes explique cette vague de scandales sur les réseaux sociaux et opte pour le dialogue, la
sensibilisation et la formation.

«Au lieu de réprimer, je pense que l’Etat en partenariat avec les organisations des Droits de l’Homme avec la société civile de manière générale devrait essayer de mettre au point des modules de sensibilisation, je dirai même de formation pour que les jeunes sachent que les réseaux sociaux peuvent être très utiles pour s’informer, pour se rapprocher, rapprocher les différents membres d’une communauté, d’une même famille, d’une même classe, d’une même école… Plutôt que de s’en servir comme des outils de destruction massive. Parce que des destructions, on ne les compte plus puisqu’il y a des ménages qui ont volé en éclat. Vous parlez tout d’heure de ce fameux audio de 27 minutes où une épouse a été trompée et un mari automatique cocufié qui, certainement en souffre beaucoup. On ne compte plus également les familles qui sont déstabilisées. Quand on pense à cette fameuse liste de 300 jeunes supposées être faciles. Il y a des pères de famille qui ont rompu avec leurs enfants. Je pense que ce n’est pas la bonne méthode. Il faut essayer de les écouter, de les encadrer. Nous notre position a été toujours la formation plutôt que la répression parce qu’on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras… On ne peut plus arrêter l’explosion des réseaux sociaux », a accepté de se confier à nous Mame Mactar Guèye de l’Organisation islamique Jamra, plus tôt le mercredi 28 novembre. (L’intégralité des échanges avec Mame Mactar Guèye en audio).

 

Que pensent les sociologues 

Moustapha Mbaye, Sociologue et administrateur du cabinet 3M communication estime que les réseaux sociaux sont devenus des dépotoirs à ciel ouvert. Leurs accessibilités sans aucune formation
ni connaissance est la source de certaines dérives constatées. Ils sont devenus des plateformes de commérage et de dénigrement.

« Le rôle de gendarme que joue l’oncle dans la communauté n’existe pas dans l’espace numérique »

« Si vous observez bien, tous ces scandales qui écornent l’image de la femme sont relayés et partagés par des femmes. Autrement dit, elles vulgarisent à dessein leurs tares. Cela s’explique du fait que la mutation de la place publique au réseau social s’est opérée. Malheureusement, le rôle de gendarme que joue l’oncle dans la communauté n’existe pas dans l’espace numérique. Les excès se multiplient parce qu’elles ne connaissent pas la puissance de ces réseaux. Par conséquent, c’est à elles, d’abord de protéger leur image en s’informant de plus sur les inconvénients de ces réseaux mais aussi augmenter leur vigilance. Le véritable problème avec l’essor de la technologie, c’est que notre société est toujours prise au dépourvu, elle consomme sans filtre et sans modération », conseille le jeune sociologue.

Des dérives sur les réseaux sociaux qui, selon le sociologue et responsable du cabinet 3M et chargé de communication de African leaders factory initiative (ALFI), ne doivent pas donner un feu vert à la restriction de l’accès à l’internet.

« Je ne pense pas que cette loi réglera le problème mais elle peut être une épée de Damoclès pour certains. Parce que c’est un secteur ouvert et personnel à la fois. N’oublions pas que le tiers de la population sénégalaise est composé d’analphabètes, qui font partie des utilisateurs de ces réseaux. Il serait plus pertinent de mener des campagnes de sensibilisation au niveau national pour une éducation aux réseaux sociaux afin de limiter les dégâts, avant de penser à la censure. »

L’image de la femme est toujours victime de nombreux stéréotypes. Parfois, il arrive que la femme soit, dans les médias (réseaux sociaux y compris) ou plus simplement dans les mentalités, rabaissée à un objet de désir ou de fantasme. Un mal que les associations sénégalaises et des organisations non gouvernementales (ONG) devraient s’associer pour redonner cette image d’antan à la femme sénégalaise. Malheureusement ces associations à l’instar de l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), se murent dans un silence assourdissant. Nos tentatives de rencontres avec ces dernières ont été des rendez-vous sans suite.

Reportage réalisé par Ankou Sodjago

 

COMMENTAIRES
    Publiez un commentaire