« Takussanu Ndar: L’élégance saint-louisienne à l’épreuve du temps

Vieille tradition saint-louisienne qui remonte au temps colonial, le « Takussanu Ndar » n’est plus ce qu’elle était à cause des contingences de la vie. Toutefois, l’esprit demeure encore.

« Les dimanches à Bamako, c’est le jour de mariages », chante le couple malien Amadou et Myriam dans un de ses célèbres tubes. Mais dans la capitale du Nord du Sénégal, l’on pourrait dire « Les 17 heures à Saint-Louis, c’est moment de promenades » ou plus exactement du « Takussanu Ndar ». Une vieille tradition saint-louisienne qui remonte à la période coloniale.

D’ailleurs, dans une de ses chansons intitulée « Ndar », Youssou Ndour disait : « on m’a beaucoup vanté le « Takussanu Ndar », mais, ce que j’ai vu lorsque j’y étais, a dépassé mes espérances ». Mais, aujourd’hui, un tour aux deux jardins situés de part et d’autre du Pont Faidherbe et de la place peut laisser indifférent tout visiteur. Point de particularité par rapport aux autres jardins et places publics du pays. Des couples par-ci, des personnes du troisième âge par-là, des jeunes. « Ils y sont plus pour profiter de la brise venue du fleuve », pense Astou Ndiaye. Une conviction qu’elle fonde sur les confidences de sa grand-mère. « Est-ce qu’on peut parler réellement de Takussanu Ndar », se demande-t-elle. Avant de rapporter : « ma grand-mère m’a dit qu’autrefois, à 17 heures, elles se mettaient sur leur 31 avec une touche de maquillage, juste du crayon et du talc, éventail en main, marchant en groupes pour se rendre à la place Faidherbe ».

Des propos confirmés par le communicateur traditionnel Makhou Mbengue. « À l’époque, à 17 heures, les habitants se paraient de leurs beaux habits pour se retrouver à la place Faidherbe pour passer d’agréables moments. Les femmes portaient des camisoles ou des robes. Les hommes mettaient des costumes ou des boubous « bakha » ou autre, assortis de « marakiss » (babouches) et casque « Edgan » pour se diriger ici. En partant, ils disaient ‘’je me rends au « Takussanu Ndar’’ » renseigne le président des communicateurs traditionnels de Saint-Louis.

Selon ses explications, le site, situé devant la Gouvernance, abritait d’abord un marché. Avec l’arrivée des colons, le marché a été transféré et le lieu baptisé « Place Savane » puis « Place Faidherbe ». Actuellement, le maire Mansour Faye, après quelques rénovations, l’a nommé « Place Bayeux Ndar ». Des concerts y sont organisés actuellement.

Une survivance du passé ? Tout porte à le croire d’après les explications du communicateur traditionnel. En fait, d’après M. Mbengue, avec le « Takussanu Ndar », les gens ne se limitaient pas à échanger dans la gaieté et la bonne humeur, mais l’animation musicale y avait sa place. « Puisqu’il n’y avait pas beaucoup de magnétophones et que les gens n’avaient pas l’opportunité d’écouter la musique comme c’est le cas avec les téléphones portables, on amenait un magnétophone. Si certains discutaient, d’autres dansaient », indique le communicateur traditionnel avec un brin de nostalgie.

Au-delà du paraître, un comportement
Il est conforté par Makhou Sène, délégué de quartier de Guet Ndar. L’homme, trouvé sous une tente installée derrière des pirogues arraisonnées sur les rives du fleuve, est nostalgique des temps où il voyait le défilé de femmes se rendant à la place Faidherbe. « On dirait qu’elles se rendaient à une cérémonie. Or, c’était pour assister au Takassanu Ndar.

Sur place, les gens discutaient autour du thé tout en grignotant des cacahuètes et autres amuse-gueules. Certains hommes en profitaient pour lire le Coran. De ce fait, personne n’avait l’occasion pour dévier », dit avec passion l’homme sous les hochements de tête des autres qui étaient avec lui. « Maintenant, les temps ont changé. Auparavant, je n’osais pas porter ça le soir. Il nous était inconcevable de mettre le même habit tout un après-midi, car à 19 heures, nous étions obligés de nous changer », dit Daouda Fall, en secouant les épaules de son « djellaba » gris.

Le président du Conseil local de la pêche artisanale (Clpa) pointe du doigt la pauvreté qui affecte de plus en plus les populations plus préoccupées par leur survie. « Regardez le cadre de vie avec toute cette saleté. Cela ne rime pas avec « Takassanu Ndar ». Car, le « Takussanu Ndar », au-delà du paraître, c’était aussi un comportement puisque personne n’osait marcher en dehors des trottoirs », confie cet acteur de la pêche.
Trouvée dans un groupe de femmes en train de griller de l’arachide, Soukeyna Teuw reconnaît que les difficultés de la vie ne permettent pas de passer le « Takussanu Ndar », comme le faisaient leurs aïeules. Pour la transformatrice, le « Takussanu Ndar », c’est plus des valeurs. « Ces valeurs, les Saint-Louisiennes les ont toujours, car elles sont de véritables bosseuses, respectent et aident leurs époux », dit la femme vêtue d’un voile sans maquillage. Un appart différent de celles qu’avaient les Saint-Louisiennes à pareille heure.

 le Soleil.sn

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