Lors de son discours au Centre de Formation Judiciaire (CFJ), à l’occasion d’une conférence de deux jours portant sur le thème « La justice pénale internationale », le directeur Souleymane Teliko a déclaré que « la justice ne se réduit pas aux institutions qui l’incarnent. Elle représente avant tout un symbole, un idéal qui transcende les frontières et les époques ».
« L’idée d’organiser une conférence sur la justice pénale internationale peut, de prime abord, sembler susciter des doutes : que peut-on encore dire qui n’ait déjà été dit sur un sujet tant traité, disséqué et analysé sous de multiples angles ? », s’est interrogé Souleymane Teliko. Il a toutefois tenu à expliquer que, comme l’écrivait Georges Clemenceau à propos de la justice militaire — « La justice militaire n’est pas une justice » —, certains questionnent si le qualificatif international ne retire pas à la justice pénale ses attributs essentiels de véritable pouvoir. Ces interrogations prennent appui sur de nombreux griefs formulés à l’encontre des juridictions internationales, notamment :
- l’absence de forces de police pour exécuter leurs décisions ;
- les suspicions, fondées ou non, d’instrumentalisation par les puissances politiques ;
- la lenteur des procédures ;
- le coût jugé exorbitant de leur fonctionnement.
Tout en reconnaissant la légitimité d’une partie de ces critiques, le magistrat a estimé qu’elles ne sauraient justifier une remise en cause de la légitimité d’un édifice bâti au prix d’efforts de générations éclairées et volontaristes. Il a insisté : « Ce serait perdre de vue que la justice ne se réduit pas aux institutions qui l’incarnent. Elle représente avant tout un symbole, un idéal qui transcende les frontières et les époques ».
Souleymane Teliko a rappelé que c’est en vertu de cet idéal — celui d’une société internationale où la force du droit prime sur le droit de la force — que les juges du Tribunal de Nuremberg, dans leur décision historique, ont prononcé cette célèbre phrase :
« On a fait valoir que le droit international ne vise que les actes des États souverains et ne prévoit pas de sanctions à l’égard des délinquants individuels. Mais ce sont des hommes et non des entités abstraites qui commettent les crimes dont la répression s’impose comme sanction du droit international. »
Après les procès de Nuremberg et de Tokyo, le processus de construction de la justice pénale internationale s’est poursuivi, avec notamment la création dans les années 1990 de tribunaux pénaux internationaux ad hoc : le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993, puis le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) en 1994.
Toutefois, les dysfonctionnements relevés dans le fonctionnement de ces tribunaux ont conduit la communauté internationale à envisager d’autres modèles juridictionnels, donnant naissance aux juridictions hybrides. Ces dernières incluent :
- le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (2002) ;
- le Tribunal spécial pour le Liban (2007) ;
- les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE) (2012) ;
- la Cour Pénale Spéciale de Bangui (2015).
Parmi ces juridictions de « troisième génération », deux se distinguent particulièrement par leur lien avec l’Afrique :
- La Cour Pénale Spéciale de Bangui, chargée de juger les auteurs de crimes graves commis en République centrafricaine depuis 2003 ;
- Les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE), établies pour enquêter et juger les crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.
Ces juridictions hybrides visent à renforcer les systèmes judiciaires nationaux auxquels elles sont rattachées, en formant des experts locaux et en alignant les procédures nationales sur les normes internationales d’une justice indépendante et impartiale.
C’est dans cet esprit que le CFJ, avec le soutien du ministère de la Justice, a organisé cette rencontre. L’objectif est de favoriser une meilleure appropriation par les acteurs de la justice des règles et pratiques consacrées par ces juridictions.
Dans un monde marqué par la mondialisation et l’interpénétration des systèmes juridiques, le CFJ, fidèle à sa mission, entend placer au cœur de ses objectifs pédagogiques les idéaux de la justice pénale internationale et la lutte contre la culture de l’impunité.