« Sommes-nous dans une république de la jungle ? » (Par Dr El Hadji Séga Guèye, Sociologue)

Dans la loi de la jungle, l’animal le plus faible n’a aucune garantie contre la toute-puissance du plus fort.

Il n’existe aucune garantie de protection contre les faibles. De la même manière, une république, garant de la protection des citoyens, bascule dans l’anarchie, lorsque l’État utilise sa force de manière aveugle, pour réprimer les plus faibles, avec des prétextes d’une légèreté déconcertante.

Le maintien de l’ordre se confond alors avec le goût de la tyrannie et d’honnêtes citoyens privés de liberté, semblent être les joués du système : le cas du journaliste Pape Alé Niang, Fadilou Keita, les acteurs de la « farce spéciale » et tant d’autres.
La stratégie gouvernementale qui se joue devant nos yeux consiste à affadir les partis d’oppositions les plus tenaces et à affaiblir les porteurs de voix discordantes, par tous les moyens possibles, quitte même à saper la cohésion nationale, jusqu’à ce que les individus ne soient unis par aucun intérêt commun pour ensuite imposer leur diktat.

Ce n’est pas parce que le gouvernement du président Macky avait manqué de force, en perdant son action sur le contrôle de la sécurité des citoyens, aux évènements de février et mars 2021, qu’il s’est senti affaibli. C’est l’abus de force qu’il avait utilisé de gré contre un citoyen lambda qui l’a fait affaiblir. Le régime en place, têtue comme une mule, continue toujours à habiller la vérité des charmes d’un mensonge judiciaire.

Accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque sans limite, fut-il un procureur ou un juge, est la meilleure manière de semer les dérives d’une tyrannie institutionnelle. Pour connaître le degré de fiabilité de la justice d’un peuple, il faut surtout étudier son état social. Or, la perte de sérénité de la justice se répercute forcément sur la température sociale.

Tous ceux qui étudient les révolutions et les mutations sociales savent que les États périssent naturellement par impuissance ou par tyrannie. Dans le premier cas le discrédit et le manque de légitimité conduisent à la perte du pouvoir ; dans le second cas le pouvoir est balayé de force par la vindicte populaire.

L’anarchie naît presque toujours de la tyrannie ou de son inhabilité : kidnapping de personnes contre leur gré pour les soumettre à la justice, prise de décision dans la frénésie, mesures judiciaires incohérentes et disproportionnées, impunité et détournement de deniers publics, un médecin gynécologue (Dr. Alfousseyni Gaye) persécuté pour avoir fait son travail. Cerise sur le gâteau, toute une république se laisse berner follement par une marionnette (Adji Sarr) au vu et au su de tout le monde !

La servilité et la bassesse, au profit de la grégarité des désirs de quelques âmes basses vénales, n’ont jamais atteint un niveau critique aussi inquiétant au Sénégal. Il ne faut surtout pas confondre la stabilité et la force, la capacité de résilience d’un peuple et le maintien de l’ordre, la grandeur et la couardise. À trop vouloir se rendre puissant, on verse dans la tyrannie et dans l’anarchie.
Le pouvoir du peuple mettra fin au pouvoir de la tyrannie !

Lorsque la passion de la justice sociale prenne le pas sur l’instrumentalisation de la justice, aucun discours, aucune force, aucune menace n’est capable de la freiner. La force populaire est la seule vérité valable de toutes les constitutions. La loi judiciaire contre la justice sociale, le pouvoir du peuple contre les dérives judiciaires !

Si la justice délimite les confins du droit de chaque peuple, le pouvoir du peuple en toute souveraineté, est au-dessus de toutes les institutions, de toutes les lois écrites. Le pouvoir du peuple est infiniment supérieur à chaque pouvoir individuel puisqu’il est une synthèse des forces individuelles. Point de décision individuelle en matière de limitation des mandats !

Si le peuple refuse d’obéir à une loi injuste, il ne dénie point à la justice le droit de sévir, il appelle seulement à sa souveraineté au nom des principes même de la justice. C’est ainsi que le peuple reprend en main ce qui lui revient de droit, par la révolte, pour enfin établir les bornes de la tyrannie.

Pour rappel, nous savons tous comment la révolte tunisienne a débuté. Elle est partie d’une banale affaire. Le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, au centre de la Tunisie, un jeune vendeur, Mohamed Bouazizi, s’immole par le feu après que sa marchandise ait été confisquée par la police. L’acte désespéré de Bouazizi, qui « préfère mourir plutôt que de vivre dans la misère », provoque la colère parmi les habitants de Sidi Bouzid : des dizaines de personnes manifestent devant le siège du gouvernorat. Le mouvement social s’étend spontanément à d’autres municipalités du pays malgré la répression.

Avec l’implication d’autres acteurs, associations et mouvements sociaux, la révolte atteint Tunis, la capitale, le 20 décembre 2010, avec environ mille citoyens exprimant leur solidarité avec Bouazizi et les manifestants de Sidi Bouzid. S’ensuivent des émeutes dans tout le pays. D’autres suicides ont suivi ainsi que des manifestations de grande ampleur réprimées dans le sang, dans le centre et le sud-ouest du pays.

Les manifestations insurrectionnelles vont néanmoins continuer, engendrant une révolution qui conduit au départ de Ben Ali en Arabie saoudite le 14 janvier 2011 et à la désignation d’un nouveau président.
Le point de convergence entre la situation qui prévaut au Sénégal et l’élément déclencheur de la révolte en Tunisie constitue la rupture. Il y a une rupture de liens entre les protestataires et leur gouvernement. Cette rupture se manifeste par la polarité qui existe entre les institutions et la société. En Tunisie, le général Ben Ali avait mis en place une politique fondée sur une tyrannie sécuritaire et répressive à la fois. Les tortures et les emprisonnements étaient monnaie courante.

Dr El Hadji Séga GUEYE
Sociologue

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