« Société civile et société politique au Sénégal : Demain, l’Islam »

S’il est des parties du monde où l’idée que le fait religieux est en recul, le milieu sénégalais semble en constituer l’exception. En effet, au Sénégal, la crise de l’ordre maraboutique n’est pas fonction de la sécularisation de la société. Elle n’est pas non plus nécessairement fonction de la fin de l’Islam confrérique, d’autant plus que la classe maraboutique classique n’y représente pas, à elle seule, l’Islam, encore moins l’Islam confrérique. Également, il faut rappeler la montée des Imams, la place de certains prêcheurs des médias dans la société, la montée de l’Islam Wahabite et Salafite ainsi que l’émergence des courants réformistes au sein des confréries.

Cela étant, la société civile sénégalaise reste islamisée, malgré la crise de l’Islam confrérique. L’Islam sénégalais est devenu un cadre de référence, un langage à travers lequel la société pense, agit et se transforme. Son influence dans la société augmente de jour en jour. En conséquence, il ne pourrait manquer d’être déterminant dans l’historicité socio-politique, d’autant plus que la profondeur historique de l’Islam est un point important à considérer dans l’analyse de l’avenir des sociétés islamiques contemporaines.

Également, il faut noter que la distance de l’État vis-à-vis de la société civile au Sénégal est liée à son caractère étranger qui lui est congénital. Cela remonte au temps colonial. Arrivé à l’indépendance, l’élite politique locale n’a pas réussi la réconciliation. Elle s’est toujours contentée de la caution de l’élite confrérique dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le contrat social sénégalais. Si on arrive aujourd’hui à se poser la problématique de la remise en cause de ce contrat social et de l’exigence de sa renégociation, il est évident que la société civile voudra bien s’appuyer sur son état social pour fonder un État endogène et légitime, vu les liens intimes entre les sociétés civiles et leurs systèmes politiques. Et de ce point de vue, force est de reconnaître que l’état social sénégalais est foncièrement influencé par l’Islam.

Donc, partant de l’idée qu’« à côté de chaque religion se trouve une opinion politique qui, par affinité, lui est jointe », nous estimons que la société politique sénégalaise à venir sera essentiellement marquée par l’Islam. Quant à dire qu’on aura un État islamique comme société de remplacement, nous ne saurions être péremptoire. En revanche, il est prudent de dire qu’au regard de notre étude sur l’Islam au Sénégal et sur la société sénégalaise, la future société politique sénégalaise sera foncièrement marquée par une influence islamique.

Toutefois, il n’y a pas besoin d’imposer l’Islam comme système politique. Il est juste à approfondir la conscience islamique chez les musulmans, toute société politique n’étant que le prolongement d’une société civile aboutie. Si les Sénégalais arrivent à se fondre foncièrement dans la culture musulmane, ils s’imposeront eux-mêmes un État en rapport avec leur volonté de vivre ensemble. Toute imposition de système politique, sans ancrage civil nécessaire, ne serait qu’un État taillé sur mesure et éloigné de son peuple qu’il ne pourra gouverner que par la force, la ruse et la terreur.

Dans ce sens, Alexis De Tocqueville soutient : « Laissez l’esprit humain suivre sa tendance, et il réglera d’une manière uniforme la société politique et la cité divine ; il cherchera, si j’ose le dire, à harmoniser la terre avec le Ciel ». Dans le même ordre d’idées, Émile Durkheim avance : « Il ne s’agit plus de poursuivre désespérément une fin qui fuit à mesure qu’on avance, mais de travailler avec une régulière persévérance à maintenir l’état normal, à le rétablir, s’il est troublé, à en retrouver les conditions si elles viennent à changer. Le devoir de l’homme d’État n’est plus de pousser violemment les sociétés vers un idéal qui lui paraît séduisant, mais son rôle est celui du médecin : il prévient l’éclosion des maladies par une bonne hygiène et, quand elles sont déclarées, il cherche à les guérir. »

De ce point de vue, toute imposition d’un système politique apparaîtra comme une sorte de révolte utile à ses instigateurs, mais non productive pour la société, dans l’histoire, la révolution est préférable à la révolte. La première s’appuie sur les masses populaires et se déroule de manière planifiée et progressive, alors que la seconde s’appuie sur un groupe de personnes au nom de tous. Celle-ci est l’œuvre de rebelles voulant imposer le changement vaille que vaille à une masse inconsciente. C’est aux Sénégalais de choisir entre la révolution et la révolte. Mais, il sied aux intellectuels de les aider à faire le bon choix et les guider vers des lendemains meilleurs.

* Par Docteur Cheikh Tidiane MBAYE
Spécialiste en sociologie des religions
Enseignant à l’UCAB (Sociologie de l’entreprise ; Ethique des affaires)
Président Think Tank GARAB
Responsable pédagogique CLUB RMS
Chroniqueur Rewmi TV

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