Dentsu-Bal

Rendre gorge par devoir de mémoire ou au nom d´un espoir détourné ! (Par Dr. Madieumbe SENE)*

Rendre gorge par devoir de mémoire ou au nom d´un espoir détourné ! (Par Dr. Madieumbe SENE)*

En 2019, la COVID a pris de cours tout un monde qui ne s´était, jusque-là, pas préparé à une situation aussi inédite. Ainsi, au plus fort de la pandémie, l´Etat du Sénégal mit sur pied, en mars 2020, un dispositif de résilience dénommé Fonds Force COVID-19 dont l´objectif était exclusivement de soutenir et d´accompagner les secteurs les plus affectés par cette crise sans précédent, notamment la santé, les PME-PMI, les couches les plus démunies et les acteurs de l’économie informelle. Dans un élan de solidarité nationale, le budget de l’État, les donations de partenaires techniques et financiers, ainsi que les apports de philanthropes et d´entreprises ont été mis à contribution pour alimenter ce fonds qui représentait une bouée de sauvetage pour tout un peuple.
Néanmoins, tel un mirage, cet espoir a été abusivement détourné. En 2022, le rapport publié de la Cour des Comptes, a mis en évidence une gestion calamiteuse et opaque, accentuée par des illicéités, des surfacturations, des marchés (parfois fictifs) attribués sans appel d’offres et des dépenses inutiles ou injustifiées. Des produits alimentaires acquis à des prix onéreux et prohibitifs, du matériel médical de qualité douteuse, des bénéficiaires ¨fantômes¨ sont autant de facteurs illustratifs des dérives extrêmes dans l’utilisation de fonds, pourtant destinés à sauver des vies et à appuyer les plus vulnérables.
Une onde de choc causée par l´ampleur de la trahison de la confiance publique Après la publication du rapport qui a provoqué une onde de choc dans tout le pays, la quasi-totalité des sénégalais a considéré que ce Covidgate symbolise le détournement immoral et impudent de la douleur collective au profit d’intérêts personnels. Au moment où des familles entières étaient confinées ou mises en quarantaine, des vendeurs ou des travailleurs perdaient leurs gagne-pains, des patients manquaient d’oxygène ou d’accès aux soins, certains (ir)responsables ont profité de cette conjoncture exceptionnelle pour trahir la confiance de tout un peuple et s’enrichir sur le dos de la misère.
Au-delà d´une indignation collective légitime qui a fait les choux gras de la presse sénégalaise, les citoyens se sont levés comme un seul homme pour réclamer justice et reddition des comptes face à une telle forfaiture. Par ailleurs, des organisations syndicales et de la société civile, des associations citoyennes et des lanceurs d’alerte ont
exigé et continuent à exiger que les auteurs de ces détournements des deniers soient traqués et traduits devant les cours et tribunaux compétents, que les sommes indûment détournées soient recouvrées jusqu´au dernier centime, et que les enquêtes indépendantes déjà enclenchées se poursuivent pour situer toutes les responsabilités
collectives et individuelles.
Une blessure non pansée des familles affligées
En marge des chiffres et scandales, il ne faut pas perdre de vue l’aspect humain car beaucoup de pertes en vies humaines ont été enregistrées, des familles brisées et des destins barbotés. La COVID-19 a frappé de plein fouet notre pays faisant tomber, souvent dans l´anonymat et dans la douleur, des personnels médicaux (sans EPI), des enseignants en croisade pour transmettre le savoir, des pères et des mères de famille voués aux gémonies par des journalistes aux chroniques moralisatrices, friands de prébendes.
Des vies auraient peut-être pu être sauvées si ces fonds avaient été utilisés à bon escient. Des respirateurs en nombre suffisant, de meilleures conditions de travail avec des hôpitaux bien équipés, des infrastructures et matériel adaptés pour la protection des personnels de santé auraient dû être au cœur des préoccupations de nos autorités d´alors. Tout cela taraude encore l´esprit de la majeure partie des sénégalais et donne l´impression que le constat de détournements en pleine pandémie est une pilule encore plus dure à avaler.
Rendre hommage aux victimes et tirer les conséquences de ce scandale Les nouvelles autorités ont l´obligation morale d´honorer cet engagement tacite et de réussir ce pari qui consistent à traquer tous ceux-là (ces criminels) qui se sont ¨sucrés¨ dans le dos des sénégalais en pleine guerre contre un ennemi invisible. Aussi devrons-nous, au-delà de l´amertume, rendre un hommage marqué à toutes les victimes de cette pandémie au Sénégal. Par devoir de mémoire, elles méritent que justice soit rendue dans la transparence et le respect des droits humains plus qu’une simple indignation de circonstance.
Cette calamité sanitaire doit également être considérée tel un déclic nous poussant à en tirer les leçons d´une gestion scandaleuse. Il faudrait instaurer des garde fous et parer à toute éventualité en renforçant le dispositif de contrôle de nos ressources publiques, notamment en période de crise; en garantissant la transparence dans
l’attribution des marchés publics, avec une publication systématique des contrats et des attributaires; en promouvant une culture de la responsabilité, de l´imputabilité et de la reddition des comptes à toutes les échelles de l’administration publique; en élaborant des politiques de justice réparatrice, afin que les familles des victimes puissent au moins avoir ce sentiment de reconnaissance, de soutien et de réconfort.
Il ne s’agira pas seulement de sanctionner quelques personnes, mais de redorer le blason de l´État qui soustend le pacte de confiance le liant aux citoyens et qui était, jusqu´à récemment, rompu dans l´imaginaire populaire et la perception collective. Ce peuple qui a prouvé sa solidarité, sa maturité, sa résilience et son sens du sacrifice durant cette crise mérite en contrepartie des dirigeants irréprochables à tout point de vue, responsables et soucieux du bien-être collectif.
D´aucuns craignent une ouverture de la boîte de pandores mais c’est l’honneur de la République qui est en jeu dans ce Covidgate; d´où la nécessité de faire de la lutte contre la corruption, la concussion, le trafic d´influence, le détournement de deniers publics, l’impunité et la mauvaise gestion une priorité nationale et non un simple slogan.
En définitive, la COVID-19 a fini de révéler non seulement la force et la capacité de résilience du peuple sénégalais, mais aussi le talon d’Achille de certaines de nos institutions. Les scandales autour des Fonds Force-COVID-19 demeurent une trahison grave des principes de solidarité et de justice sociale. Par conséquent, il est impératif non seulement de dénoncer et d´exiger des comptes, mais aussi d´honorer la mémoire de celles et ceux qui ont trépassé dans cette pandémie. Que tous les sacrifices consentis ne restent pas vains. Qu’ils soient les germes d’un Sénégal plus juste, plus transparent, plus humain, prospère et souverain, en parfaite ligne avec le triptyque du Jubb, Jubbal, Jubbanti.

*MONCAP/ Enseignement Sup./Education/Form. Pro.
Spécialiste des Droits humains, Paix et Développement
durable et en intervention socio-éducative
Chargé de la Coopération et des Partenariats
IGEF/MEN
drmadieumbesene@gmail.com
madieumbe.sene@education.sn

3 COMMENTAIRES
  • Senior

    Vous avez tout dit docteur. Toutes mes félicitations ! Maintenant, c’est au régime de continuer sur cette lancée.

  • jean

    Rendre gorge » une violence verbale qui n’émeut plus venant d’un militant de pastef…tout est violence , les actions , la parole…..! Ah les frustrés!

    • Senior

      Le vrai frustré, c’est toi jean. Vous devriez être là à demander pardon au sénégalais.

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