Quand l’insécurité assure la sécurité et l’anarchie, l’autorité !

NDOUMBELANE, UN PAYS A L’ENVERS ?

Légende et Parabole pour lire ce texte : lorsqu’on rapporta au singe que l’être humain lui reprochait d’être l’animal le plus dévastateur, il répondit : « certes c’est vrai, mais il y a un détail qu’il a oublié de vous dire, c’est que c’est lui l’animal qui me ressemble le plus ! ». Et puis le singe d’ajouter « si vous ne me croyez pas, demandez à la souris d’où lui vient sa faculté de rongeur. Elle vous avouera que c’est parce qu’elle a longtemps habité chez les hommes qu’elle a beaucoup appris d’eux ». À y regarder de plus près, le signe est parfois la métaphore parfaite de certains hommes politiques : dans les sphères du pouvoir, il agissent comme des hordes de singes. Le singe sait très bien que le champ de banane qu’il dévaste avec son clan est la propriété d’autrui, mais il est ainsi fait qu’il ne peut voir au-delà de son insatiable envie de se servir sans besogner. Quand on gouverne pour assouvir des desseins personnels, on est à l’école du singe, animal politique pilleur et usurpateur par excellence.

Gouverner les hommes requiert, selon Platon, l’honneur « aidos » et la justice « dikè » : les gouvernants de Ndoumbélane ont-ils ces vertus ? Qu’arrive-t-il alors à un peuple qui a commis l’imprudence de confier son destin à des hommes sans honneur ni sentiment de justice ? Je vais vous le dire : à ce peuple il arrive la perte de la foi en lui-même, en ses qualités. Il s’enfonce dans la misère morale et économique, perd son immunité et devient la proie à toutes sortes de menace. C’est d’abord son intérieur qui implose, le fragilise et l’offre en pâture aux prédateurs extérieurs.

Les Egyptiens et Grecs avaient beaucoup de génie, ils ont créé les plus œuvres de civilisation lorsqu’ils furent sous l’autorité des « dieux », c’est-à-dire d’hommes aux qualités exceptionnelles. Mais quand l’honneur et la justice lâchèrent les hommes qui les dirigeaient, ces civilisations se sont écroulées à la manière d’un château de cartes. Un peuple bien gouverné est fort, productif, inventif et très endurant. Mais quand les gouvernants sont apathiques, vindicatifs, borgnes, vicieux, sans caractère et complètement dépourvus de vertu, la meilleure performance du peuple est la simulation de ce qu’il n’est point : tapalè rek. Ainsi Ndoumbélane est le royaume du paraître, du faux, du vice qui prend les dehors de la vertu.

À Ndoumbélane, on simule la croissance économique, la sécurité, le bien-être, l’émergence, la justice, les diplômes, le savoir, … et, par conséquent, la VICTOIRE. À Ndoumbélane on ne rend pas la justice au nom du peuple, on la rend au nom (et selon le vouloir ou plus exactement selon le caprice) d’un homme. À Ndoumbélane, comme à Athènes à l’époque des sophistes, le beau-parleur, a les clefs des cœurs et, par conséquent, celles de la cité. Dox ci sa kow xel : ce n’est pas seulement de l’argot (langage de convention, circonstanciel, utilisé à l’origine par les malfaiteurs pour opérer discrètement) ; c’est plutôt une culture. À Ndoumbélane, le pouvoir politique et celui religieux sont littéralement infectés par des sophistes d’un genre nouveau : ils ensorcellent les jeunes et les adultes de balivernes.

Ndoumbélane est le pays des paradoxes, où ce sont des criminels qui sont chargés de veiller sur les prisons où sont incarcérés les honnêtes gens. Ne soyez donc étonnés d’être constamment déroutés par la crise endémique qui rythme la vie des habitants de ce pays. La femme la plus belle et plus féconde ne pourra jamais engendrer si elle fait le pari de se marier à un impuissant. C’est la même chose pour un pays sans bons dirigeants : le manque d’exemplarité des leaders produit le même effet destructeur sur la société que le virus sur l’organisme.

Qu’arrive-t-il à un pays où on confie la sécurité à des hommes qui incarnent eux-mêmes l’insécurité ? Dans la langue française l’expression « homme de tenue » est synonyme d’agent des forces militaires ou paramilitaires. Mais ce n’est là qu’apparence : un homme de tenue sans tenue ignore le sens de la tenue qu’il porte. La tenue, c’est d’abord la correction, la dignité dans la conduite ; mieux, la tenue, c’est le soin dans le style (la parole, la gestuelle, la façon de marcher et la mine). La tenue d’un militaire ou d’un gendarme ne saurait se réduire à l’uniforme qu’il porte, car celle-ci n’est rien d’autre que la figuration extérieure d’une chose plus essentielle à savoir, une envie d’être serviable et policé.

Un homme de tenue, c’est comme un juge, c’est comme un enseignant, c’est comme un gouvernant : quand il n’est pas nanti du sentiment de l’honneur, il devient un agent de la racaille au moment où la communauté attend de lui qu’il se comporte comme un ange. Quand des mis en cause dans une affaire de drogue impliquant un organisme chargé justement de lutter contre la drogue prétendent donner des leçons de morale dans une société, c’est que celle-ci est malade. La crise sécuritaire reflète toujours une crise d’autorité : il y a une absence d’autorité à Ndoumbélane à cause peut-être d’une « folklorisation » excessive de l’autorité. « badoola xamul ndiowaan… ».

Heureusement que les citoyens de Ndoumbélane ont de l’humour : ils ont créé un verbe qui ne s’applique qu’aux faiseurs de spectacle, à savoir l’artiste et l’homme politique. C’est le verbe « diazakaliser ». Bientôt certaines émissions télé seront victimes de la conjugaison de ce verbe. Bientôt certains hommes de média seront diazakalisés. Une ville entière acceptera-t-elle de réviser le sens de ce verbe en lui donnant un contenu positif ? Pourvu qu’elle ne soit pas elle-même diazakalisée par ses habitants ! C’est vrai que présider aux destinées d’une ville diazakalisée par ses habitants ne doit pas être chose malaisée. En tout cas quand on convoite le pouvoir d’une ville aussi pleine de mouches, on devrait commencer par demander conseil à celles-ci. Or les mouches sont les spécialistes incorrigibles de la diazakalisation : dès que leur proie est « asséchée », elles diazakalisent les lieux. Ce serait après tout drôle d’être maire d’une ville diazakalisée quand on se nomme …

* Le Casse-pied de Ndoumbélane
Alassane K. KITANE

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