Pourquoi Daech appelle désormais à manifester contre Hollande

Dans une vidéo publiée dimanche, deux djihadistes français appellent les populations occidentales à manifester contre « François Hollande et Barack Obama » pour éviter les attentats. Un changement de discours qui témoigne des difficultés rencontrées par le groupe terroriste sur le terrain.

Pour la première fois, le message n’est pas adressé aux sympathisants de Daech mais « au peuple démocrate », au « peuple kuffar » (mécréant, NDLR). L’organisation Etat islamique (EI) a publié dimanche une nouvelle vidéo de propagande mettant en scène deux djihadistes français.

Vêtu d’une chemise bleue et d’un bandeau marron pour l’un, d’un treillis militaire pour l’autre, ils se félicitent des attentats d’Orlando (Etats-Unis) et de Magnanville (Yvelines) et appellent les « Européens » et les « Occidentaux » à manifester contre leurs dirigeants politiques. »Sortez, Ô vous les populations. Et dites à François Hollande et à Barack Obama de démissionner. Car leur politique extérieure ne fait que vous tuer doucement », vocifère le premier, identifié par les spécialistes du djihadisme comme un jeune originaire de Montreuil (Seine-Saint-Denis). « Si vous tuez les musulmans alors nous tuerons les mécréants et ce sera sur vos terres », poursuit-il.

« D’un califat territorialisé, on reviendra à un concept »

Malgré la tonalité belliqueuse, le discours confirme le changement de stratégie dans la communication du groupe terroriste. En suggérant qu’il existe une voie pour éviter les attentats, il reconnaît implicitement que les frappes de la coalition internationale en Irak et en Syrie menace gravement l’existence de son califat autoproclamé en juin 2014. »D’ici fin 2016, le groupe devrait retourner à la clandestinité, comme Al-Qaïda. D’un califat territorialisé, on reviendra à un concept, à un djihad individuel et externalisé », pronostique une source policière antiterroriste. Dans tous ses territoires conquis en effet, l’EI recule

Le groupe a perdu Fallouja en Irak, résiste difficilement à Syrte en Libye et est parvenu de justesse à repousser une offensive à Raqqa, son fief historique. Les hauts dirigeants du groupe ont bien pris conscience de la réalité militaire. Fin mai, à l’occasion du début du Ramadan, le porte-parole de l’EI, Abou Mohammed Al-Adnani avait déjà adapté son discours et admis, à demi-mots, que la phase d’expansion était derrière eux. « Pensez-vous que vous serez victorieux et que nous serons défaits si vous prenez Mossoul, Syrte ou Raqqa et même toutes les villes, et que nous retournons à notre condition initiale? Sûrement pas! » avait déclaré le cadre de Daech, selon des propos traduits par Le Monde.

« La dynamique de victoire de l’EI est cassée »

De source policière antiterroriste, l’EI a commis là « une incroyable erreur de communication ». Car cet aveu public de faiblesse ne peut que dissuader les potentiels recrues de rejoindre les sentiers du djihad. Dans sa récente propagande, le groupe a d’ailleurs cessé de montrer, de manière artificielle, des scènes idylliques de la vie ordinaire et appelle plutôt ses fanatiques à rester chez eux pour commettre des actions isolées. Larossi Abballa, le terroriste de Magnanville, l’a bien compris: dans sa séquence morbide, il regrette que la France ait « fermé les portes de la hijra », le fait d’immigrer vers une terre d’islam.

« Il y a plus qu’une fébrilité chez l’EI. Sa dynamique de victoire est cassée. Sous sa forme clandestine, il sera compliqué pour le groupe d’attirer des familles s’installer dans le désert irakien. Mais la menace terroriste ne disparaîtra pas, bien au contraire », souligne David Thomson, spécialiste des mouvements djihadistes, soulignant que de nombreux combattants animés par un désir de vengeance pourraient revenir sur le sol européen.

« Une génération de terrorisme encore »

Acculé géographiquement, Daech espère-t-il vraiment imposer un retrait des troupes occidentales en Irak et en Syrie, voire négocier une trêve? Dans la vidéo publiée dimanche, l’un des djihadistes fait référence au cas de l’Espagne, forcée par l’opinion publique de se retirer de la coalition en Irak après les attaques meurtrières de Madrid en 2004. « Il est irrationnel d’imaginer la France ou les Etats-Unis se retirer. L’appel de l’EI arrive bien trop tard, il a déjà perdu trop de territoires », analyse Mathieu Guidère, universitaire spécialiste de l’islam.

En revanche, poursuit le chercheur, il n’est pas exclu que des djihadistes tentent de refonder « le califat » sur ses braises: « La graine est désormais semée dans les esprits, comme quand Ben Laden est arrivé dans les années 1980 avec l’idée du djihad, une référence ancestrale. Quelqu’un tentera probablement de recommencer en apprenant des erreurs. Il y en a pour une génération de terrorisme encore. »