L’histoire du Daaka: Naissance et héritage d’une retraite spirituelle unique en son genre

Dans quelques heures, le cœur spirituel du Sénégal battra au rythme du Daaka. Médina Gounass, cette cité religieuse nichée dans l’arrondissement de Bonconto, département de Vélingara, région de Kolda, s’apprête à accueillir la l’édition 2025 de cet événement d’une profondeur spirituelle incomparable. Ce qui n’était, il y a encore quelques jours, qu’une simple brousse va se métamorphoser en un village éphémère de foi et de dévotion, où des milliers de fidèles convergeront pour vivre une expérience transformatrice.
L’histoire du Daaka de Médina Gounass est indissociable de celle de son fondateur, Thierno Mouhamadou Seydou Bâ, appelé aussi Thierno Siradji Diin ou Thierno Mawdo. Né en 1900 dans le village de Thikité, dans le département de Podor au nord du Sénégal, cet érudit a parcouru un long chemin spirituel avant de poser les fondations de ce qui allait devenir l’un des plus importants rassemblements religieux de la sous-région.
Formé auprès de grands maîtres comme Thierno Moussa Camara à Ganngel, Thierno Yéro Baal Anne à Nguidjilone et Thierno Hameth Baba Talla à Thilogne, il a ensuite poursuivi son cheminement spirituel à Kolda, où il a rencontré Seydi Aladji Thiam et Thierno Ahmed Barro, qui ont profondément influencé sa vision de l’islam.
C’est en 1935 que Thierno Mouhamadou Seydou Bâ fonda Médina Gounass, une cité religieuse qui allait rapidement devenir un phare de la spiritualité islamique dans la région. Mais l’histoire du Daaka proprement dit ne commence qu’en 1942, lorsque Thierno institue cette retraite spirituelle qui, à l’origine, ne concernait qu’un cercle restreint de disciples et de proches.
Cette initiative s’inscrivait dans une double démarche : d’une part, une quête spirituelle profonde inspirée de la tradition soufie de la khalwa (retraite), et d’autre part, une préoccupation plus pragmatique liée à l’autosuffisance alimentaire de la communauté naissante.
En effet, comme le rapporte notre doyen dans le Dental, Hamidou Abdoul dit Daye Niang, le terme « Daaka » désignait initialement les endroits où Thierno Mouhamadou Seydou Bâ s’installait temporairement pendant quelques jours pour défricher des terres. Cette pratique lui avait été inspirée par son guide El Hadji Thierno Aly Thiam, qui avait l’habitude d’aller dans différents endroits avec ses disciples pour s’adonner à la prière, mais aussi pour défricher des champs et trouver des terres cultivables.
Thierno savait qu’il était là pour longtemps et qu’il fallait nécessairement avoir une autosuffisance alimentaire : il avait entrepris d’abord de s’installer et de trouver les moyens de son existence en défrichant, en faisant de l’agriculture et de l’élevage. C’est ainsi que plusieurs villages ont été créés autour de Médina Gounass, à partir des sites défrichés lors de ces premiers « Daaka ».
Pendant près de deux décennies, de 1942 à 1960, le Daaka est resté un événement relativement restreint, organisé de façon irrégulière tous les deux ou trois ans. Ce n’est qu’à partir de 1960 que Thierno a décidé d’élargir cette pratique à un public plus large, ouvrant les portes de cette expérience spirituelle à tous les fidèles désireux d’y participer.
Un tournant décisif s’opère en 1962, lors du Daaka d’ouverture, tenu sur un site situé entre les localités de Médina Pakkaan et Médina Gounass. C’est à cette occasion que des disciples, profondément touchés par l’expérience vécue, demandèrent au marabout d’annualiser la manifestation, arguant de son caractère inédit et de son originalité.
Ces fidèles firent valoir que le Daaka leur avait permis de se détacher du monde pour un long moment de recueillement, une expérience qu’ils souhaitaient pouvoir renouveler chaque année. Sensible à cette requête, Thierno Mouhamadou Seydou Bâ accepta, et c’est ainsi que le Daaka devint un rendez-vous annuel dans le calendrier spirituel de la communauté.
Quant au site actuel, son choix remonte au début des années 1970. La retraite s’est tenue en permanence sur le site actuel à partir de 1972. Thierno Mouhamadou Seydou Bâ est revenu plusieurs fois sur le site du Daaka et, d’après les témoignages, c’est à la quatrième fois qu’il s’y est installé, parce qu’il était à la recherche d’un lieu idéal.
Le lieu choisi n’est pas anodin : situé dans une vallée entourée par deux collines au nord et au sud, à dix kilomètres de Médina Gounass, il présente, selon la tradition, une certaine ressemblance avec les plaines entre Mina et Mouṣdalifa, où les pèlerins transitent lors du Hajj à La Mecque.
Thierno nomma ce site « Abi Sama’oun », en référence à la ville créée par Cheikh Ahmet Tidiane Chérif, le fondateur de la confrérie tidjaniya, lorsqu’il avait quitté Aïnoumadi (Algérie) pour s’installer à Fès (Maroc). Ce choix toponymique souligne l’inscription profonde du Daaka dans la tradition tidjanite et la volonté de son fondateur de créer un lieu de spiritualité authentique, en harmonie avec la nature.
Lorsque Thierno Mouhamadou Seydou Bâ s’éteignit en 1980 à Dakar, il laissa derrière lui un héritage spirituel et matériel considérable. C’est son fils, Thierno Amadou Tidiane Bâ, qui reprit le flambeau en tant que Khalife, perpétuant la tradition du Daaka et veillant à préserver l’essence spirituelle de cet événement unique. Sous sa direction, le Daaka continua de croître en importance et en rayonnement, attirant chaque année davantage de fidèles venus de tous horizons.
Aujourd’hui, le Daaka de Médina Gounass s’affirme comme un phénomène religieux majeur, témoignant de la pérennité de l’héritage spirituel de Thierno Mouhamadou Seydou Bâ. Ce qui était à l’origine une pratique restreinte est devenu, au fil des décennies, un rendez-vous incontournable pour des milliers de fidèles en quête de ressourcement spirituel et de connexion avec le divin.
À la veille de l’ouverture du Daaka, alors que le Khalife Thierno Amadou Tidiane Bâ et les fidèles s’apprêtent à prendre le chemin de ce sanctuaire temporaire, c’est toute une tradition spirituelle qui se renouvelle et se revitalise, perpétuant l’héritage précieux de Thierno Mouhamadou Seydou Bâ.
