Le béton, le bitume et l’indiscipline des acteurs

Au Sénégal, chaque jour, une tragédie silencieuse frappe nos routes et nos quartiers, souvent sans crier gare, mais avec une force dévastatrice qui laisse derrière elle un lourd bilan de morts et de blessés. La scène se joue à huis clos, loin des caméras et des regards curieux, mais elle est d’une ampleur qui mérite notre attention. Accidents de la circulation, effondrements de bâtiments, des vies humaines broyées dans un enchaînement d’événements qui semblent se multiplier à l’infini, inéluctablement.
Dans ces drames, l’indiscipline se dresse comme la principale cause. Chaque jour, nos routes se transforment en champs de bataille où la vie humaine n’a plus de prix. Les conducteurs, piétons, motards, tous se partagent la responsabilité de cette dérive. La vitesse excessive, l’alcool au volant, le non-respect des priorités, les dépassements imprudents, la conduite sans permis… Des comportements qui se banalisent, alimentés par l’impunité et une société où chacun semble croire que sa propre sécurité n’a de sens que dans son propre intérêt. Mais à quel prix ? Combien de vies encore faut-il perdre pour qu’on prenne enfin conscience de l’importance de la discipline sur nos routes ?
D’un autre côté, c’est un autre mal qui gangrène nos sociétés : les effondrements de bâtiments. Une autre forme de négligence, mais tout aussi meurtrière. Les images de ces constructions qui s’effondrent comme un château de cartes, engloutissant des vies humaines sous des tonnes de béton et de fer, sont insoutenables. Si un vieux bâtiment, mal entretenu ou mal conçu, venait à céder sous le poids du temps, peut-être pourrions-nous encore, dans une certaine mesure, comprendre. Mais lorsque ce sont des structures récentes, sorties tout juste du chantier, qui se transforment en pièges mortels, c’est une autre réalité qui se dévoile : celle de la négligence systémique dans le respect des normes de construction.
Le constat est accablant. D’un côté, des ouvriers et des habitants qui payent de leur vie une indiscipline collective, de l’autre, une administration trop souvent défaillante, un État qui laisse filer l’horizon des responsabilités, des contrôles absents ou inefficaces. L’indiscipline des acteurs est omniprésente : constructeurs, inspecteurs, autorités locales, mais aussi citoyens eux-mêmes, coupables par omission ou par déni.
Alors, à qui la faute ? À l’État, pour son incapacité à exercer un contrôle rigoureux et constant ? Aux constructeurs, pour leur cupidité qui leur fait négliger la sécurité ? Aux conducteurs, pour leur inconscience derrière le volant ? Peut-être un peu de tout cela. Mais, plus encore, c’est la question de la responsabilité qui doit être posée, non pas en théorie, mais en acte.
Les récents effondrements doivent nous alerter, ne serait-ce que pour une simple raison : des vies humaines sont sacrifiées dans ce processus d’oubli et de négligence. Des vies, des familles entières brisées par des gestes quotidiens d’indiscipline. Nous avons trop longtemps fermé les yeux, et il est temps de réagir. Une prise de conscience est indispensable, non seulement pour protéger ceux qui vivent dans ces immeubles ou circulent sur nos routes, mais pour préserver ce qu’il reste de notre dignité collective.
Les autorités doivent sévir. Trop, c’est trop. Ce ne sont pas de simples chiffres que nous comptons, mais des vies humaines. La sécurité n’est pas un luxe, mais un droit fondamental. Un droit que l’on doit à chaque citoyen. Le code de la route, les normes de construction, doivent être respectés par tous. L’État, dans toute sa puissance, doit s’assurer que ce respect ne soit pas une option, mais une obligation. Et les contrôles sur nos routes et dans nos chantiers doivent être plus rigoureux, plus justes, plus républicains, dans le sens de l’intérêt général, et non de celui d’une poignée d’individus.
Car la corruption, ce cancer de nos sociétés, ne doit plus être tolérée. Ses métastases se sont déjà installées dans tous les secteurs de la vie sociale : la fonction publique, l’administration, le secteur informel… La corruption est une plaie béante, et il n’y a pas de guérison sans un combat sans relâche contre ce mal. Si elle n’est pas éradiquée, c’est tout le corps de la société qui risque de sombrer dans la décadence.
Et ce mal n’est pas propre à notre pays, ni à notre continent. Non, il touche l’ensemble de l’Afrique, des Comores à la Mauritanie, de Johannesburg à Dakar, en passant par les Grands Lacs. L’indiscipline, la négligence, et la corruption semblent tissées dans le même tissu, indissociables, comme une malédiction commune. Mais devons-nous vraiment accepter que l’Afrique soit synonyme de désordre, de chaos, d’irresponsabilité ? L’indiscipline est-elle vraiment le marqueur de notre identité collective ? L’égoïsme, ce cancer des sociétés modernes, est-il devenu notre nouvelle norme ?
L’espoir, cependant, ne doit pas être perdu. Il naît dans la force de cette nouvelle génération de dirigeants, de jeunes Africains conscients de leur rôle et de l’enjeu colossal qui se pose devant eux. Cette jeunesse est porteuse d’un patriotisme sincère, d’une volonté de changement. Elle est l’incarnation d’une Afrique qui se relève, qui veut changer son destin, qui rêve d’une autre manière de faire les choses. Un futur où l’ordre, le respect des règles et la discipline seront les pierres angulaires d’une société plus juste et plus équitable.
L’Afrique est l’avenir du monde, comme le disait si justement notre Premier ministre Ousmane Sonko. À nous de comprendre que le moment de l’action est venu. Pas demain, pas dans dix ans. Aujourd’hui. Les fondations de notre futur se construisent dans nos choix d’aujourd’hui. Et ce choix, plus que jamais, doit être celui de la discipline, du respect et de la responsabilité. Le temps de l’indiscipline est révolu. Le temps de l’action est arrivé.
Signé : Oeil de Cheikh