La réhabilitation des tirailleurs : enjeux mémoriels et politiques
La question du traitement des tirailleurs sénégalais et autres supplétifs, impliqués dans les répressions de révoltes anticoloniales et les conflits inter-impérialistes menés par la France, continue de soulever des interrogations complexes. La réhabilitation humaine et matérielle de ces soldats ne devrait pas être controversée pour ceux qui valorisent la démocratie et la sincérité. Cependant, la réhabilitation mémorielle, notamment l’attribution de la mention « Mort Pour la France », mérite d’être approfondie et nuancée, surtout avec la commémoration prochaine du 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye par l’armée française le 1er décembre 1944.
Cette mention a une portée double : un volet lié aux droits des conjoints et descendants, comme les pensions de réversion, et un autre volet symbolique portant sur l’innocence des tirailleurs, injustement accusés de crimes inexistants. Armelle Mabon, spécialiste du statut de « Mpf », exprime que cette réhabilitation représente un geste inédit depuis l’affaire Dreyfus, révélant les discriminations raciales dont ces soldats ont été victimes. « Thiaroye, c’est aussi une histoire du racisme », selon ses mots rapportés par nos confrères de Le Quotidien.
Politiquement, ces réhabilitations posent également la question du rôle des tirailleurs dans des guerres perçues comme impérialistes, telles que celles de 1914-1918. Nombreux sont ceux qui estiment que les tirailleurs se sont battus pour des causes qui allaient à l’encontre de leur propre libération. La Seconde Guerre mondiale, elle-même, malgré sa revendication antifasciste, comportait des enjeux de hiérarchie raciale restés présents dans les colonies et les armées, malgré les objectifs affichés des Alliés.
Au-delà du massacre de Thiaroye, la France a perpétré d’autres violences durant la période coloniale, comme à Sétif et à Madagascar, et a injustement cristallisé les pensions des tirailleurs après les indépendances, les forçant souvent à vivre dans des conditions précaires en France pour en bénéficier.
Certains, comme Maniang Fall, dont les propos ont été relayés par Le Quotidien, appellent à aller au-delà d’une simple réhabilitation matérielle : la remise des dettes contractées avec la France, l’abandon des intérêts économiques français en Afrique, et le retrait militaire complet du continent font partie des revendications formulées. Ces demandes s’inscrivent dans une perspective d’émancipation sociale et politique plus vaste, visant à dépasser les stigmates du passé colonial.
L’allègement du panier de la ménagère est bien plus une priorité que ce brouhaha autour d’une affaire certe tragique mais qui peut encore attendre.
Le jour où la France rendra compte on pourra le remettre au goût du jour.