Il y a des fissures qui ne font pas de bruit, mais qui emportent les fondations. Au Sénégal, la confiance entre les citoyens et les institutions de sécurité et de justice est en train de s’éroder, lentement mais sûrement, comme un vieux mur rongé par l’humidité. Et pourtant, la façade institutionnelle tient encore, droite, imposante, maquillée par les discours officiels. Mais à l’intérieur, tout sonne creux. La République semble avoir perdu ce qui lui donnait son sens : le lien de confiance entre l’État et ceux qu’il prétend protéger.
Des policiers qui frappent sans retenue. Des arrestations qui tournent à la tragédie. Des manifestants morts, des suspects disparus, des familles abandonnées dans l’incompréhension. Et face à cela, une justice qui souvent tarde, hésite, ou se tait. Il ne s’agit pas de cas isolés. Ce ne sont pas des dérapages exceptionnels. Ce sont les symptômes d’une maladie plus profonde : celle d’un pouvoir qui oublie que la force sans justice n’est qu’une forme déguisée de la peur. Et la peur, elle, n’engendre jamais la paix, seulement le repli, la défiance, la colère sourde.
La République sénégalaise, bâtie sur les idéaux d’équité et de sécurité, se retrouve prise en étau entre les exigences d’un ordre à maintenir et les droits d’une population qui ne veut plus subir en silence. Ce que révèlent les crises actuelles, ce n’est pas seulement un problème de méthode ou d’effectif dans les forces de sécurité. C’est une crise d’autorité morale. Quand une société commence à douter de la neutralité de sa justice et de la loyauté de sa police, c’est le contrat républicain lui-même qui vacille. Et quand la parole de l’État ne suffit plus à rassurer, c’est qu’elle a cessé d’être crédible.
Dans les quartiers populaires, les récits de brutalités policières circulent plus vite que les enquêtes officielles. Et dans les tribunaux, les décisions rendues sont parfois perçues non comme des actes de droit, mais comme des prolongements d’un agenda politique. Cette perception, même si elle ne reflète pas toujours la réalité des faits, façonne une vérité sociale puissante. C’est elle qui nourrit les résistances, les ressentiments, les tensions souterraines. L’État de droit n’est pas une abstraction juridique : il repose sur une conviction partagée que les institutions sont au service de tous. Quand cette conviction disparaît, même la loi devient suspecte.
On ne reconstruit pas la confiance avec des slogans ou des communiqués. Il faut des actes. Des sanctions claires contre les abus. Des réformes visibles. Une formation éthique constante des forces de l’ordre. Une indépendance réelle de la justice. Et surtout, une volonté politique ferme de remettre l’humain au centre de l’action publique. La police n’est pas l’ennemie du peuple. La justice n’est pas le bras d’un régime. Elles sont les garantes d’un pacte républicain qui dit à chacun : vous serez protégés, et si vous êtes lésés, vous serez entendus.
Aujourd’hui, ce pacte est en lambeaux. Il est temps de le recoudre. Sinon, ce ne sera pas une explosion soudaine qui emportera la République, mais un effritement progressif, un glissement silencieux vers une société où l’autorité ne sera plus respectée mais redoutée, où la loi ne fera plus foi, et où l’État ne sera plus qu’une forteresse assiégée par sa propre population.
La question n’est pas de savoir s’il faut restaurer l’ordre, mais quel ordre voulons-nous. Un ordre juste, partagé, respecté ? Ou un ordre imposé, vertical, aveugle ? À ce carrefour, le choix appartient à ceux qui gouvernent. Mais la vigilance appartient à tous.
Vieux Macoumba MBODJ*
Sociologue
Merci pour votre article.
Tant que la police, la gendarmerie et la justice n’auront pas rendu des comptes aux sénégalais nous les traiterons comme des ennemies.
Si un policier ou un gendarme était en feu je ne pisserai pas sur eux pour les éteindre, tellement ceux sont des êtres abjects et meprisables.