Cet article est un produit réalisé avec le mentorat de l’Académie africaine pour les enquêtes open source (AAOSI). Une initiative pour lutter contre la désinformation qui, depuis l’avènement des réseaux sociaux, minent nos démocraties. C’est un projet qui entre dans le cadre d’une initiative du Centre international des journalistes (ICFJ) et de Code for Africa (CfA). Et pour plus d’informations, merci de visiter http://academy.africa/aaosi.

Le phénomène des Fake News au Sénégal est devenu une réalité de plus en plus incontrôlable avec l’avènement des réseaux sociaux. Le principal opposant sénégalais, Ousmane Sonko et le Président Macky Sall, et ses lieutenants sont devenus des cas d’école. En effet, avec l’avènement des réseaux sociaux, les politiques ont, comme qui dirait, trouvé la méthode idéale pour abuser l’opinion. Ces leaders les utilisent  comme de destruction contre l’adversaire. Ainsi, faux comptes Facebook, montages vidéo, audio et photos etc., sont mis à contribution pour manipuler les populations. Pour gagner la sympathie de son leader ou détruire son adversaire, de fausses nouvelles sont charriées  sur les réseaux sociaux. Le plus flagrant est la bataille  sur internet, entre les tenants du pouvoir (la coalition Benno Bokk Yakaar) et Ousmane Sonko, figure principale de l’opposition. Une campagne de manipulation de masse pour, particulièrement influencer les votes, entre autres.

« À travers le phénomène des Fake news, les réseaux sociaux numériques sont-ils le nouveau curseur de pensée de l’opinion publique ? » Une interrogation de cairn.info qui reprenait un extrait de l’article de « The Agenda-setting Function of Mass Media » (McCombs et Shaw, 1972) qui définit la théorie de l’agenda setting en ces termes : 

« La fonction des médias n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser mais sur quoi ils doivent focaliser leur attention« . C’est ce que semblent avoir compris nos hommes politiques qui, pour réduire une certaine opposition « à sa plus simple expression« , n’hésitent plus, à travers leurs « services » de communication, à abuser de la propagande, foulant ainsi l’élégance politique. Place à la désinformation qui, rappelons-le, est une vieille histoire et la méfiance envers la presse est le premier vecteur permettant de donner le champ libre à la prolifération des rumeurs dans notre société. Et pas que ! Car l’opposition aussi n’est pas en reste et tente, vaille que vaille, de rendre la pareille au pouvoir qui, à travers une certaine presse, véhicule de fausses informations sur certains opposants, qu’il juge « farouches ». C’est dire qu’avec l’avènement des réseaux sociaux qui ont grandement contribué à propager la pandémie,  les Fake-News, la population subit de facto les contrecoups de la propagande cancéreuse. 

Morceaux choisis, la bataille médiatique entre les souteneurs du leader de Pastef, figure de proue de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko, et les partisans du président de la république,  Macky Sall qui se livrent une guerre sans merci  sur les réseaux sociaux, pour  influencer les votes. La guerre médiatique entre les deux camps (Ndlr : Ousmane Sonko et Macky Sall) a commencé à la veille des élections présidentielles… Le leader de Pastef a été taxé de tous les noms d’oiseaux : Salafiste, menteur, terroriste, rebelle, entre autres… Et lui aussi d’accuser  son adversaires de voleur, de vouloir truquer les élections et de détourner les deniers publics. Non sans s’attaquer vertement à Mamour Diallo dans l’affaire des 94 milliards, le frère de Macky, Aliou Sall, dans l’affaire Petrotim, etc. Même si les tenants du pouvoir parlent de manipulation car, selon eux, le “Patriote” n’a pas de preuves de ce qu’il avance.

 Place à la campagne médiatique qui a fait rage avant, pendant et après les élections présidentielles. Mais celle qui a sans doute marqué les esprits, c’est l’affaire Adji Sarr, la masseuse qui accuse Ousmane Sonko de l’avoir violée. Faisant ainsi naître la rocambolesque “Affaire Adji  Sarr-Ousmane Sonko”. Le Sénégal n’a plus d’yeux que cette histoire supposée de viol impliquant une grande figure de l’opposition qui crie au complot.

A cet effet, en plus des recherches sur internet, nous allons nous rendre sur le terrain à la rencontre d’autorités étatiques, responsables de communication (digitale et autres), aussi bien dans l’opposition qu’au sein des tenants du pouvoir, pour recueillir leurs avis, mais surtout leurs implications dans ladite. Nous allons par la suite faire une analyse de réseaux sociaux pour tenter de démasquer le réseau de comptes impliqués dans une campagne de désinformation  ciblant l’un des partis politiques et visant à manipuler l’opinion publique et à déstabiliser la démocratie au Sénégal. 

Rendu narratif des médias locaux 

Tout est parti le vendredi 05 février 2021. Et ce sont nos confrères du Journal “Les Echos”, repris par la suite par plusieurs sites d’information, qui donnent la nouvelle en exclusivité. “Ousmane Sonko accusé de viol et menace de mort” fait désormais la UNE des journaux. Place à un lynchage médiatique. Une aubaine pour le pouvoir que Sonko accuse de vouloir le liquider, d’envahir les médias pour l’attaquer.

Depuis, chacun y va de son commentaire. Et la manipulation a commencé avec l’identité de la masseuse qui accuse Sonko de l’avoir violée, à main armée. Une image d’une dame, jusque-là méconnue, circulait sur les réseaux sociaux comme étant Adji Sarr (Voir Photo). Et ils ont été nombreux, les sites et autres plateformes à avoir repris cette image, pensant même détenir l’exclusivité, dont le site internet Sendirect, avant, par la suite de se procurer la vraie image de la masseuse qu’ils intégreront, plus tard. Entre autres plateformes tombées dans le panneau, on peut citer le site internet, détenu par des journalistes, surleterrain.net, des chaines Youtubes, Et c’est seulement, après vérification vers le 08 février 2021 que certains sites d’informations ont découvert la supercherie avant d’alerter. C’est le cas de Senenews, entre autres sites.

Screenshot montrant une prétendue image de Adji Sarr circulant sur  les réseaux sociaux (Source: CfA/Sendirect)

Et même les internautes s’y mettent et réclament le visage de cette dernière. Car, pour la plupart d’entre eux, ce serait une manière de neutraliser Sonko et pour certains, une façon de divertir les Sénégalais concernant la polémique de déclaration de Patrimoine.

Screenshot montrant les commentaires des internautes qui réclament le visage de la masseuse  (Source: CfA/Senego.com)

Toutefois, malgré tous les commentaires, Ousmane Sonko a fait une sortie, qualifiée de “hâtive” par certains observateurs, pour dénoncer un “complot”. Et c’est sur sa page Facebook que le leader de Pastef avait fait part d’une note. 

Screenshot montrant la première déclaration de Ousmane Sonko, le soir même où la plainte de Adji Sarr a été annoncée (Source: CfA/Facebook)

Si Ousmane Sonko avait reconnu avoir fréquenté le salon de massage « Sweet beauté » à cause de ses « douleurs cervicales », il balaye d’un revers de main les accusations de viol et de menaces de mort. Raison pour laquelle le parlementaire a fait face à la presse pour donner sa version et accuser, encore une fois le régime en place qui, d’ailleurs, « avec la complicité » (voir aussi image) du procureur de la République d’alors, Serigne Bassirou Guèye, n’a pas raté le « Patriote » sur les réseaux sociaux. Et même le Procureur s’y serait prêté à ce jeu de « manipulation » pour tenter d’enfoncer « en falsifiant » certaines preuves.

Screenshot montrant les fausses images utilisées dans les PG d’enquête de la gendarmerie, par le Procureur Serigne Bassirou Guèye (Source:CfA/Xalaat Tv)

Complot, d’ailleurs étayé par le journaliste et chroniqueur, Pape Alé Niang, qui fut parmi les premiers à avoir divulgué le rapport d’enquête de la Section de Recherche de Colobane.

Sonko évoque ainsi son immunité parlementaire pour ne pas déférer à la convocation. Immunité qui sera levée le vendredi 26 février, au cours d’une plénière mouvementée, organisée à huis clos. Les choses s’accélèrent ainsi pour le principal opposant du régime en place. 

 Instigateurs de l’ombre 

Selon les “Patriotes”, l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr est un “Deal” qui se dessine davantage, vu la célérité avec laquelle le dossier a été « bâclé », “le faux certificat médical”, l’implication de Sidy Ahmed Mbaye, un proche parent d’un responsable apériste Maodo Malick Mbaye, entre autres incongruités. Son immunité parlementaire levée, Sonko reçoit un mandat d’amener, le 04 mars suivant, de la part du juge d’instruction Samba Sall chargé du dossier.

Revenons sur l’implication du procureur Serigne Bassirou Guèye, d’ailleurs remplacé, dans ce dossier qui a enregistré plus de 14 morts. En effet, après la fuite notée du PV d’audition de Adji Sarr, Ndèye Khady Ndiaye, entre autres, les images faussess dans ledit PV. En effet, les images obscènes présentées dans le dossier, pour justifier l’activité “illégale” chez Sweet beauté ont été tronquées.

Il s’agit d’images d’un salon de beauté, sur Facebook du nom de Sweet Massage qui, entre-temps, a changé de nom en Mina Massage. En comparant les images publiées dans cette page et les photos obscènes dans le PV présentées au Procureur de la République, il n’y a aucune différence. Alors que cette page n’a rien à voir avec celle de Sweet Beauté de Ndèye Khady Ndiaye, la patronne de Adji Sarr. 

Vraisemblablement capturées de la page Sweet Massage, devenue Mina Massage, ces images ont été intégrées dans le PV de la gendarmerie pour lester les accusations de proxénétisme contre l’ex-patronne de Adji Sarr. Lequel PV a été envoyé aux députés de l’Assemblée nationale pour justifier la levée de son immunité parlementaire.

En réalité, la page Facebook de Ndèye Khady Ndiaye se nomme Spa Sweet beauté spa et ne comporte aucune image ou proposition obscène pouvant renvoyer à la prostitution.

Screenshot montrant la vraie page Facebook de Sweet Beauté de Nddèye Khady Ndiaye, l’ex-patronne de Adji Sarr (Source: CfA/ Facebook)

Une affaire qui, malgré les événements du 11 mars, entraînant la mort de plus 14 sénégalais, l’affaire Sonko-Adji fait toujours les choux gras de la presse sénégalaise. Particulièrement avec ces enregistrements supposés entre la masseuse Adji Sarr et Mamour Diallo qui, selon Sonko a une dent contre lui pour avoir révélé l’affaire dite des 94 milliards. Un enregistrement qui pourrait disculper Sonko et étayer cette thèse du complot https://www.youtube.com/watch?v=wcDiqpDzWwU.

Rendu des réseaux sociaux

Sur Twitter, ce phénomène a généré 61262 tweets et retweets avec pour pic d’activité observée, tel qu’indiqué dans le graphe d’activité ci-après, dans la période comprise entre le 01/03/2021 et le 31/03/2021 et représentant 23% des publications globales sur twitter. 

Screenshot montrant l’évolution des publications sur Twitter (Source: CfA/Meltwater)

Cette période de pic correspond à la convocation d’Ousmane Sonko par la justice, son arrestation pour trouble à l’ordre public et son inculpation pour viol et menaces de mort.

L’analyse du réseau de retweets ci-après pour caractériser la dynamique d’activité sur twitter a conduit à l’identification de 4 clusters clés grâce à l’algorithme basé sur l’optimisation de modularité. Chacun de ces clusters a agi en chambres d’écho pour amplifier certaines narratives. 

Réseau de retweet (Source: CfA/Python/Gephi)

Clusters

Cluster rose est constitué de 11267 uniques comptes twitter,  organisés autour du compte twitter central ye_abdou et ayant produit 11539 retweets. Les comptes ont retweeté 3 tweets du compte ye_abdou. Ces tweets évoquent un prétendu complot de Macky Sall contre Ousmane Sonko, une prétendue justice arbitraire contre l’opposition et des prétendues exactions et tueries commises par les policiers sur les manifestants.  

Cluster rose (Source: CfA/Python/Gephi)

Image montrant les tweets retweetés dans le cluster (Source: CfA/ Haut droit, Haut gauche, bas/twitter)

Cluster vert est constitué de 4318 uniques comptes twitter,  organisés autour de 4 comptes twitter centraux, leumiine, sergehopejordan, doctorlove475, abdoulmbaye2019, et ayant produit 7297 retweets. Les tweets amplifiés par le cluster réfutent les allégations d’appel à l’insurrection par Ousmane Sonko, évoquent la manipulation des médias et des réseaux sociaux par le régime de Macky Sall contre Ousmane Sonko.   

Cluster vert (Source: CfA/Python/Gephi)

Image montrant quelques tweets retweetés dans le cluster (Source: CfA/ Haut droit, Haut gauche, bas/twitter)

Cluster bleu est constitué de 3053 uniques comptes twitter,  organisés autour de 3 comptes twitter centraux, nath_yamb, theplk, cheikhfatma24, et ayant produit 4075 retweets. Les tweets amplifiés par le cluster évoquent une ingérence de l’occident en faveur de Macky Sall et une campagne de désinformation de masse orchestrée par les médias occidentaux.  

Cluster bleu (Source: CfA/Python/Gephi)

Image montrant quelques tweets retweetés dans le cluster (Source: CfA/ droit,  gauche/twitter)

Cluster orange est constitué de 1752 uniques comptes twitter,  organisés autour de 4 comptes twitter centraux, albadaradi, cherifsadio, waangrin, timatall et ayant produit 3142 retweets. Les tweets amplifiés par le cluster évoquent le non-respect de la constitution et une mauvaise gestion de l’Etat du Sénégal, dont l’affaire Sonko est entre autres révélateur, et appellent la population à une manifestation déterminée pour mettre fin à ces dérives.  

Cluster orange (Source: CfA/Python/Gephi)

Image montrant quelques tweets retweetés dans le cluster (Source: CfA/ droit,  gauche/twitter)

Profiling des Comptes influents dans le réseau

Pour analyser le niveau d’automatisation au sein du réseau nous avons procédé au profiling des tops 15 comptes amplificateurs et influents du réseau. 

Top 15 des comptes influents (par in-degree centrality) dans le réseau 

Top 15 des amplificateurs du réseau

Le profiling des amplificateurs et des comptes influents du réseau indique une automatisation (utilisation des comptes robots) significative des comptes pour l’amplification des narratives pro-Sonko ou anti-Macky Sall. Certains de ces comptes ont été suspendus par Twitter.

Image d’un amplificateur automatique suspendu par Twitter (Source: CfA/Twitter)

Le profiling indique également que certains comptes ayant amplifié des narratives anti-Macky Sall ont changé de nom d’utilisateur. Ainsi, le compte senegalfreedom est passé Dawudaba2, le compte Khalifaaseck est passé à mbayebabacar869

Sur Facebook, ce phénomène a généré 155674 posts par 2706 unique pages Facebook et 5954 unique groupes Facebook. L’analyse de la localisation des administrateurs des pages  indique que les pages ayant participé à amplifier ce phénomène sur les réseaux sociaux étaient principalement administrées principalement depuis le Sénégal, la France et les Etats-Unis. 

Diagramme indiquant la répartition de la localisation des administrateurs des pages (Source: CfA/python)

L’analyse de la date de création des pages ayant amplifié ce phénomène sur Facebook indique que 190 pages Facebook ont été créées en 2021, dont 116 entre Janvier et Avril 2021. Le diagramme ci-après indique parmi les 116 le top 15 des pages les plus actives à amplifier ce phénomène.

Diagramme indiquant les pages les plus actives parmi les pages nouvellement créées  (Source: CfA/python)

L’analyse de ce top 15 pages indique qu’il s’agit en majorité des pages partisanes contre le régime de Macky Sall  et appelant à des manifestations pour le respect de la constitution et de la justice.

Image montrant un post d’une des pages de ce groupe (Source: CfA/Facebook)

In fine…

Pour ainsi dire que cette affaire est loin de connaître son épilogue, ou comme qui dirait, une issue heureuse soit pour Sonko, qui n’en n’a pas fini d’en découdre av ec le régime en place, soit le Président Macky Sall qui, selon certains analystes politiques est en train de perdre davantage l’électorat jeune. Un électorat qu’il veut, tant bien que mal récupérer, particulièrement depuis l’avènement de mars dernier qui a enregistré 14 morts.

Screenshot montrant les 14 morts lors des émeutes de mars 2022 (Source: CfA/ sentract.sn)

Car, malgré, de temps à autres, l’agitation du dossier Adji Sarr au niveau de la justice, la guerre entre les deux camps (Yewwi Askan Wi – Benno Bokk Yakaar) se poursuit en cette période préélectorale où tous les coups sont permis, du moins du côté de la mouvance présidentielle accusée, “en complicité avec le Conseil constitutionnel”, de vouloir éviter la cohabitation à l’Assemblée national en invalidant la liste des tutilaires au scrutin proportionnel  de la principale force de l’opposition. 

Screenshot montrant la manifestation de Yewwi A    skan Wi le 08 juin 2022 (Source: CfA/ JeuneAfrique)

D’où des manifestations de Yewwi Askan Wi, avec particulièrement celle du 17 juin où plusieurs opposants ont été arrêtés, pour la plupart des députés, puis placés sous mandat de dépôt, sans la levée  de leur immunité parlementaire. Il s’en suivit  le concert de casseroles et de klaxons, le mercredi 22 juin 2022 initié par Ousmane Sonko qui annonce une grande manifestation aussi le 29 juin 2022 qui risque d’être encore plus chaude.

Wait and see !!!

Screenshot montrant Ousmane Sonko lors du concert de casseroles qu’il a initié le 22 juin 2022 (Source: Page Seneweb)