Immigration clandestine à Kaolack : Plusieurs ‘’jakartamen’’ meurent en tentant l’aventure

À Kaolack, les vélos-taxis ne rapportent plus d’argent avec la rude concurrence. Beaucoup de ‘’Jakartamen’’ finissent par perdre la vie en tentant de trouver des lendemains meilleurs par l’émigration irrégulière.
Des conducteurs de vélos-taxis ont choisi de troquer leurs motos contre un avenir hors des frontières sénégalaises. Ils tentent le voyage en pirogue pour rejoindre illégalement des pays d’Europe. C’est un phénomène grandissant, qui est à la mode à Kaolack. L’émigration irrégulière, dans la zone du Saloum, bien que peu relatée dans la presse, a pris des tournures inquiétantes, en raison de la morosité économique qui touche de plein fouet les jeunes majoritairement convertis en conducteurs de motos-taxis pour tenir face à la rigueur de la vie. De braves jeunes, à défaut de trouver de l’emploi à Kaolack, région dépouillée de ses industries, exerçant dans plusieurs domaines, avaient créé une activité de transport urbain et périurbain dont la seule prononciation du nom rappelle la ville de Mbossé. Le transport par les motos-taxis, communément appelées ‘’Jakarta’’ dont les conducteurs sont identifiés sous le nom de ‘’Jakartamen’’. Bref, il s’agit d’une activité née pour combattre le manque d’emploi qui a fini de s’étendre dans toutes les régions du Sénégal.
Cependant, cette occupation jadis rémunératrice fait désormais des malheureux chez les milliers de jeunes vélos-taxis. Conséquence : face à la rude concurrence entre eux, les recettes générées par cette activité ont connu une chute. « On roule toute une journée sans empocher 5 000 F CFA », s’est désolé Pape dit ‘’Papis’’ trouvé à l’arrêt Cœur de ville, au centre de Kaolack.
C’est pourquoi, dit-il, beaucoup de ‘’jakartamen’’ ont vendu leur vélo-taxi pour prendre le chemin de l’émigration irrégulière. Le jeune raconte que ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Il dit avoir connu des amis qui sont clandestinement partis à l’étranger depuis deux ans. Des jeunes qui ont vendu leur engin bradé à 300 000 F CFA, puisqu’il suffit d’avoir 400 000 F CFA, selon lui, pour braver la mer à la recherche de lendemains meilleurs.
Cependant, il a déploré la mort de plusieurs de ces aventuriers. « J’ai cinq de mes amis qui ont réussi à rallier l’Europe, mais j’en connais aussi un qui est resté au fond de l’océan », a renseigné avec amertume Papis, qui précise que son ami El Hadj Mor est décédé l’année dernière et que les départs sont nombreux à Kaolack, car « à l’arrêt de la gare routière de Dakar, tous les anciens sont partis tenter une belle vie ailleurs, malgré tous les risques qu’ils encourent ».
Ainsi, Papis invite les autorités à trouver des solutions pour retenir les jeunes à Kaolack. Pour ce faire, il préconise la relance des industries kaolackoises qui ont depuis des années fait faillite et qui constituaient le poumon économique de la région Centre. Il a également évoqué la nécessité de faire du port de pêche de Kaolack, une niche d’emploi avec des stratégies fortes destinées à sa relance.
» Trois de mes amis ‘jakartamen’ sont morts au cours d’un voyage »
Des témoignages au sujet de ce drame de l’émigration irrégulière chez les ‘’jakartamen’’ fusent de partout. Voici celui, captivant, de Vieux Diop. Interrogé sur ce phénomène, il raconte qu’il y a un an, après la Korité, une pirogue a chaviré, avec seulement trois survivants. Parmi les victimes, trois sont des ‘’jakartamen’’ qu’il connaissait. Il renseigne que ces derniers venaient de se marier et qu’aussitôt après avoir compris que les vélos-taxis ne rapportent plus, ont choisi de s’évader en Europe par voie maritime. Malheureusement, ils ont péri, laissant derrière eux leurs épouses. L’explication que les ‘’jakartamen’’ donnent à cette fuite vers l’Europe est la cherté de la vie sans pour autant trouver une occupation pour y faire face.
Ainsi, considérant qu’il y a que le vélo-taxi qui s’offre aux jeunes comme activité, il est temps, d’après lui, que les autorités changent la donne par l’industrialisation pour résorber le chômage à Kaolack.
Cheikh : « Une pirogue est partie il y a un mois et plus de nouvelles »
À l’arrêt Mingué Thiam situé à Thiofak, non loin de Médina Baye, Cheikh Thiam, qui vient de sortir du célibat, est par contre affecté par le phénomène. Il rapporte que ce fléau fait des dégâts à Kaolack et que contrairement à ce que certains imaginent, l’émigration irrégulière est encore vivace. Les départs sont toujours organisés par des passeurs et plusieurs jeunes dont des ‘’jakartamen’’ sont candidats. Pour lui, l’émigration est si répandue dans le Saloum qu’en dehors de Kaolack, d’autres localités de la zone sont également concernées, comme Darou Mbitéyeen, Taiba Niassène, Keur Abibou et d’autres poches du monde rural. « Depuis un mois, une pirogue est partie, avec à son bord plusieurs membres d’une seule famille. Depuis lors, on n’a plus de leurs nouvelles. Pourtant, si tout se passe bien, un voyage clandestin par la mer ne prend pas plus d’une semaine », dit-il.
Il se dit outré par la situation qui le ronge, car il a appris que les passagers des deux pirogues qui avaient pris départ à la même période sont arrivés à quai. D’ailleurs, certains d’entre eux se sont photographiés pour les envoyer au Sénégal, mais la pirogue qui transportait sa famille est introuvable. Selon lui, si la situation est intenable, c’est parce qu’aucune nouvelle de l’embarcation ne lui est parvenue. Tout le reste de la famille est inquiet. Il ajoute que même ceux qui sont parvenus à arriver à bon port parmi les voyageurs irréguliers disent n’avoir aucune nouvelle de cette fameuse pirogue disparue, qui transportait des habitants issus de plusieurs familles du Saloum, dont des conducteurs de vélos-taxis. Il confie que le point de départ serait Mbour.
Ada Niang : « Avant-hier, un ami m’a appelé au téléphone pour me dire qu’il a été arrêté lors de son voyage«
Ada Niang est le président des conducteurs de motos-taxis de Kaolack. À l’en croire, Kaolack connaît, de même que les autres régions, ce phénomène depuis longtemps. Celui-ci persiste toujours et détruit des familles. Il indique qu’il y a trois jours, un de ses amis l’a appelé de l’océan pour lui dire que leur pirogue a été arraisonnée et les passagers ont été débarqués. Son ami, qui a été relaxé par chance, d’après lui, a raconté qu’une pirogue est parvenue à semer les gardes-côtes et ses occupants ont foulé la terre de leur rêve, même si le rescapé précise que selon les nouvelles qui lui sont parvenues, des victimes, dont des morts, ont été dénombrées dans cette embarcation.
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