Il y a deux ans disparaissait le Pr Yoro Fall… Par le Pr Moustapha SAMB*

Du Cayor à l’Unesco

Mon approche va consister à relater la biographie de Yoro illustrée par des anecdotes informelles issues du milieu social et familial. Je parlerai de son enfance, de sa jeunesse, de sa vie d’universitaire et celle professionnelle. Je compte vraiment insister sur le côté social, son environnement thiessois, son éducation et sa socialisation.
Nous insisterons sur les humanités islamiques à travers l’école coranique et son importance pour l’éducation dans la famille de Yoro. Nous visiterons sa jeunesse à travers son passage à Saint-Louis à travers le Lycée Charles De gaulle. Bien entendu, on ne peut pas parler de Yoro sans faire allusion à son talent d’historien, l’un des meilleurs de sa génération qui a beaucoup contribué à éclaircir une bonne partie de l’histoire africaine, de l’histoire de l’humanité. Une petite anecdote : « Quand le savant Cheikh Anta Diop disait que l’Egypte est la mère des civilisations africaines, Yoro, pour le taquiner disait que l’Egypte est plutôt la fille des civilisations africaines. C’est ainsi que Cheikh Anta, l’illustre savant africain disait que le jeune Yoro est un espoir et un sujet intéressant qui mérite d’être suivi pour l’élucidation de l’histoire africaine ».
Yoro Fall, Archéologue, Médiéviste, a été le rapporteur de la Commission chargée de réécrire l’histoire générale du Sénégal. C’est donc une approche qui retrace la vie exceptionnelle de Yoro Fall, de sa ville natale de Thiès en passant par Saint-Louis, la Sorbonne, l’Université Cheikh Anta Diop avant d’atterrir à l’Unesco où il a exercé plusieurs fonctions notamment celle de Directeur de la région ouest africaine avant de prendre une retraite bien méritée. Patriote ardent, Yoro a converti son temps de retraite à un nouvel engagement au niveau de l’espace public sénégalais notamment au niveau du M23 et de tous les combats qui devaient aboutir à la deuxième alternance au Sénégal le 19 Mars 2012.
L’enfance à Thiès

Le Professeur Yoro Fall est né à Thiès dans les années 50, à l’aube des indépendances et au crépuscule de la colonisation. Thiès fut une ville cosmopolite, un nœud ferroviaire et routier mais aussi une ville de garnison, puisqu’il y avait trois ou quatre camps militaires dont une base aérienne française, l’une des plus importantes de l’Afrique de l’Ouest. Il y’avait aussi le chemin de fer Dakar-Niger, ce qui expliquait la présence des Maliens, des Voltaïques, des Béninois, des tirailleurs de 17 pays francophones. Les structures d’éducation étaient très fortes basées sur la famille aussi large que possible, le lignage, l’initiation, le voisinage et la socialisation. A trois ans, Yoro entame ses études coraniques. A sept ans c’est autour de l’école française du nom de Bambara garçon et Yoro fait partie de la première génération de cette école. Le corps enseignant de cet établissement était issu de l’école normale William Ponty, qui a formé beaucoup de grands leaders, de grands intellectuels africains et même des chefs d’Etat comme Houphouët Boigny, Modibo Keita et Abdoulaye Wade.
La jeunesse à Saint-Louis

Après avoir réussi l’entrée en sixième, Yoro fut orienté à Saint louis notamment au Lycée Faidherbe au moment où Saint-Louis était la capitale du Sénégal et de la Mauritanie. Saint-Louis était quand même entrain de cesser d’être la capitale de la Mauritanie avec la création de Nouakchott. Ainsi il poursuit ses études à Saint- Louis en continuant à apprendre le Coran. A l’école française Yoro qui était interne au lycée se faisait appeler Oustaz par ses camarades tandis que chez le Maitre coranique on l’appelait écolier. Ces derniers fréquentaient à la fois l’école française et le daraa (enseignement islamique) et les cornistes qui réunissaient exclusivement ceux qui n’apprenaient que le Coran.
Saint-Louis était une commune française en plein exercice et les Saintlouisiens étaient aussi des citoyens français avec le droit de vote. En 1789 pendant la révolution française Saint Louis avait même envoyé une lettre de doléances, cette ville qui était fortement islamisée était aussi plus anciennement française que des villes françaises comme la Savoie, le Comté de Nice ou la corse.
Le proviseur était français, le censeur et les programmes sont aussi français. L’ensemble du corps professoral était français. Ahmadou Mokhtar Mbow était le seul professeur noir à l’époque, avant de devenir plus tard le premier Ministre de l’Education sous Senghor puis Directeur Général de Unesco. Seule la littérature française était enseignée.  Les poèmes de Senghor n’étaient pas enseignés même s’il fut à l’époque Président de la République du Sénégal. A 16ans, Yoro animait une émission à la radio qui s’intitulait « jeunesse et culture ». La grève de mai 1968 a commencé au Sénégal plus tôt qu’en France. Puisque la grève a commencé en mars au Sénégal. Yoro étant délégué des étudiants et dirigeant du mouvement des élèves avait fait à l’époque fait la prison.
Mai 68 était les premières réactions épidermiques face au pouvoir néocolonial qui s’installait au Sénégal et les désillusions face aux indépendances. Cette année d’emprisonnement a coïncidé avec le baccalauréat, ce qui fait que Yoro a passé le bac en prison avec les menottes qu’il réussit malgré tout avec brio en 1969

Séjour en France

Après le bac, Yoro s’envole pour Paris afin de poursuivre des études supérieures en histoire et géographie, d’archéologie puis à la Sorbonne à l’Ecole des Hautes Etudes.

Avec la possibilité de faire un double cursus, Yoro fait des études de droit, d’économie, mais fondamentalement des études d’histoire et d’archéologie et d’historien spécialiste du moyen âge. Yoro s’est familiarisé avec les techniques extrêmement patientes, dures et composites de l’archéologie. Il arrive à Paris dans les années 70 marquées par la fin du Gaullisme et l’avènement de Pompidou. C’est une période de bouillonnement intellectuel même si c’est avant l’internet et l’ordinateur. Après la licence, à cette période, l’étudiant pouvait même travailler et être salarié. La carte de séjour n’était pas instituée.

A Paris, Yoro fut un des reporters du journal ‘Lutte ouvrière’. Il soutient plusieurs thèses mais c’est la thèse d’histoire qui lui a permis de devenir professeur et d’embrasser une carrière universitaire. Il enseigne à la Sorbonne pendant quelques années mais finit par opter de rentrer au Sénégal. Il a préféré rentrer au bercail au moment où il pouvait rester en France. Le patriotisme mâtiné par un militantisme politique très fort a eu le dessus sur lui. D’ailleurs, son séjour à l’UCAD est entrecoupé par des enseignements dispensés dans les universités étrangères comme Paris 1, le Portugal, l’Espagne, où il enseigne l’archéologie et l’histoire médiévale.
Avec l’africanisation des cadres, il intègre la Faculté des Lettres et plus tard devient le chef du département d’histoire. Il quitte subitement l’Université de Dakar à cause, en partie, de l’immixtion intempestive des autorités étatiques dans le fonctionnement de l’enseignement supérieur. Après quelques mois Yoro est recruté par l’Unesco.

Le Séjour à l’Unesco

Yoro intègre ainsi l’Unesco sans soutien politique sous le règne de Pérez Décuaillard à partir de 1994-1995 et fut affecté dans la commission Culture et Développement et travaille sur les questions liées à la diversité culturelle. Anthropologue, Historien et Spécialiste des cultures africaines, il créé un centre Unesco au Liban, à Accra et finit par être directeur de la philosophie et de l’éthique à l’Unesco.
Il prend sa retraite à l’Unesco et devient un des leaders du Mouvement M23 qui a joué un rôle important dans l’alternance démocratique au Sénégal. D’ailleurs, il avait écrit un livre qui s’appelait M23. En 2017, Yoro a voulu se présenter à l’élection présidentielle en tant que candidat à l’époque, et j’étais moi-même chargé de gérer sa communication. Malheureusement, sa candidature n’a pas été validée par le Conseil Constitutionnel par insuffisance de signatures, rejet que nous n’avions jamais accepté à l’époque.

Que reste-t-il à dire…

Le professeur Yoro Fall naviguait allègrement, avec une aisance ahurissante dans les eaux troubles de l’histoire africaine disait son jeune frère l’inspecteur de l’Education, Masseck Birane Seck, dans un de ses brillants témoignages sur Yoro au Quotidien National le Soleil. Pour lui, il fait partie de cette armée noble, aux exploits quotidiens, jamais chantés, soldats jamais décorés. C’est cette prouesse extraordinaire que l’UCAD vient de réussir sous l’œil vigilant de la grande communauté universitaire, de ses collègues, de sa famille, de ses enfants bref de l’histoire et des contemporains.

Avec Yoro Khary Fall, l’Afrique  a perdu un homme de valeur, de grande facture intellectuelle, un savant fertile dont l’histoire est avare, un patriote très soucieux du devenir du continent et du respect des libertés des peuples, de leur dignité et surtout de la promotion de l’éthique dans la diversité culturelle. Ces facteurs semblent être des éléments de base, incontournables, pour l’émergence économique et le développement socioculturel du continent.

*Maître de conférences au Cesti
tafasamb@yahoo.fr

5 COMMENTAIRES
  • Gérard Ndione

    Mon professeur à l’ucad membre du m23 que la terre te soit légère Amen !

  • mansour

    c un savant

  • Lamine

    Une plume averti, excellent témoignage sur un grand africain

  • Lamine

    Une plume averti, excellent témoignage sur un grand africain

  • Lamine

    Une plume avertie, excellent témoignage sur un grand africain

Publiez un commentaire