GUERRE AU YÉMEN: L’option géopolitique risquée de Macky Sall, par Mouth Bane

GUERRE AU YÉMEN: L’option géopolitique risquée de Macky Sall, par Mouth Bane

Dans un contexte sous régional voire africain marqué par la menace terroriste, le Président de la République, Macky Sall qui a réaffirmé, jeudi à Dakar, le «soutien total» du Sénégal à la coalition internationale dirigée par l’Arabie Saoudite pour combattre les rebelles houthis, au Yémen.

«J’ai beaucoup échangé avec le roi d’Arabie Saoudite Salman Ben Abdelaziz sur des questions de paix et de sécurité internationales, en abordant notamment la situation qui prévaut au Yémen qui fait face à une attaque de groupes armés qui ont renversé l’Etat sur place. Mais nous réaffirmons notre soutien total à la coalition », a notamment dit le chef de l’Etat. Selon lui, la déstabilisation du Yémen peut conduire  «à une déstabilisation totale de la sous-région et au-delà. C’est une grave préoccupation de notre part et nous soutenons la coalition pour un rétablissement de l’ordre constitutionnel au Yémen », a laissé entendre Macky Sall qui semble oublier que Boko Haram risque aussi de déstabiliser la sous-région sans qu’il n’apporte son «soutien total» à la première puissance économique de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria.

Après analyse, l’on se demande si ce discours du président sénégalais est juste symbolique. Ou bien est-il résolument engagé à soutenir l’Arabie Saoudite dans sa guerre contre les rebelles houtis ? Ira-t-il jusqu’à envoyer des soldats  au front ? Quelles que soient ses intentions avouées ou cachées, le président Sall révèle au grand jour son ignorance des risques qui  pèsent lourdement sur ce probable soutien «actif ? » qu’il compte apporter à la coalition dirigée par Riyad. L’engagement de l’armée sénégalaise à Saana sera très lourd de conséquences. Le Yémen n’est ni la Casamance encore moins le Mali, la Centre Afrique, le Congo ou la Côte d’Ivoire. Le Yémen est ce pays semi-désertique régenté par des rebelles houtis qui ont une culture guerrière séculaire.

Ce qui se passe en terre yéménite entre soldats loyalistes et rebelles houtis est le prolongement de la rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Riyad veut rester maître du Moyen Orient et cela passera par l’affaiblissement de l’influence de Téhéran.  Dans cette guerre, le Sénégal n’a pas sa place. En tenant ces propos, le président Sall expose son pays. Yémen est un «pays producteur de terroristes» (PPT). Rappelez-vous que les frères Kharachy qui avaient attaché «Charlie Hebdo » ont été formés par les terroristes d’Aqpa. Et plusieurs jeunes sénégalais anciens étudiants en France ont rejoint l’Etat islamique et l’Aqpa. Le Sénégal n’est pas à l’abri d’attaques terroristes comme ce qui s’est passé à l’université de Garissa au Kenya ou au restaurant «LaTerrasse» au Mali. Le président Sall prend des décisions inutiles aux conséquences dangereuses qui menacent même la stabilité du pays, et à des moments inopportuns.

Pour ses intérêts géopolitico-stratégiques,  l’Arabie saoudite a lancé une opération militaire au Yémen impliquant plus de dix pays, dont ses alliés du Golfe et l’Égypte, pour contrer l’avancée de la milice chiite, qui a contraint le président yéménite Hadi à fuir. L’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie et le Soudan composent cette coalition. Le Maroc et le Pakistan quant eux examinent la demande du royaume saoudien.

Tous ces Etats qui se sont engagés dans cette bataille l’ont fait pour renforcer leurs liens avec  Riyad qui cherche à freiner l’hégémonie chiite. Presque tous sont directement concernés par cette crise politique. L’Arabie Saoudite et ses alliés voient la main de Téhéran derrière cette offensive houtis. En plus, en intervenant au Yémen, Riyad a violé le Droit international comme l’avait fait la Russie en Crimée.

Par ailleurs, l’intelligence géopolitique commande au président Macky à se préoccuper d’abord des menaces immédiates qui tapent à nos frontières. La case du voisin nigérian a pris feu. Le président Sall devrait jeter son regard sur ce qui se passe autour de lui avant de secourir les victimes qui sont hors du Continent africain. Aujourd’hui les véritables menaces sont Aqmi (Mali), Boko Haram (Nigéria, Niger, Cameroun, Tchad) et les Shébas (Kenya, Somalie, Erythrée).

En 2012, Aqmi avait conquis les villes de Gao, Tombouctou, Kidal avant d’attaquer la ville stratégique de Sévaré. Directement concerné par cette crise malienne au vu de la position géographique du Sénégal par rapport à ce pays, le président Macky Sall, par la voix de son ministre des Affaires Etrangères Mankeur Ndiaye, avait d’abord refusé d’envoyer des soldats sénégalais pour soutenir le Mali. Par la suite, il reviendra sur ce refus  injustifiable et incongru.

Peut-on aujourd’hui admettre l’envoi de soldats sénégalais au Yémen  alors que nos voisins nigérians, nigériens, tchadiens et camerounais sont assaillis par les sanguinaires de Boko Haram ? Plus de 30.000 morts de 2002  à nos jours. La bande sahélo-sahélienne (de Dakar au Kenya) est traversée par des crises sécuritaires aux conséquences soupçonnées.  Avant-hier, les Shébas ont tué 147 étudiants dans l’université de Garissa à Kenya. Le Gouvernement sénégalais s’est totalement détourné de ce carnage kenyan. Pas de marche, pas de communiqué, pas de déclaration officielle du gouvernement sénégalais pour apporter le «soutien total» du peuple sénégalais à ces  africains. Et pourtant les 07 français  morts lors de l’attaque de «Charlie hebdo » avaient mobilisé le président François Hollande et ses «sous-préfets » africains.

Comment Macky peut-il devoir envoyer des soldats au Yémen en traversant le Niger, le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, la Lybie, le Mali   fortement secoués par les hommes de Mokhtar Bel Mokhtar, de Aboubacar Shekau et d’Abel Malick Droudel ? A-t-il étudié les risques et les conséquences désastreuses de l’envoi de soldats sénégalais au front yéménite ? Le Président Sall sait-il que même l’Arabie saoudite qui a engagé la guerre n’a pas osé envoyer ses troupes au sol ? Or c’est une lapalissade de dire que si les soldats sénégalais sont engagés dans cette guerre, ils seront déployés au sol pour affronter les rebelles houtis aguerris, super armés et qui maitrisent plus le théâtre d’opération.  Ces chiites «Zaïdites » ne sont pas des enfants de cœur.

Une émergence économique sans sécurité- surtout régionale- est une utopie. L’émergence du Sénégal sera compromise tant que  le Nigéria, le Niger, le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, le Mali, la Mauritanie resteront plongés dans une insécurité béante. L’environnement des affaires s’accommode à un climat serein et apaisé.

A notre humble avis et jusqu’à preuve du contraire, nous considérons que la déclaration de «soutien total» du président Sall à l’Arabie Saoudite dans sa guerre au Yémen n’est sous-tendue que par un objectif strictement diplomatique. Autrement, ce serait une grosse bourde. Pensons africain avant de penser Moyen-Orient.

Mamadou Mouth BANE

Journaliste/Spécialisé aux Renseignements

Mastère d’Etudes Diplomatiques Supérieures

Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Dakar

3 COMMENTAIRES
  • Yamar Seck

    amna lou nou doye

  • MOL

    rude bataille hier a oussouye entre les rebelles de cesar atoube badiatte et l armee senegalaise
    :emoshoot:

  • Dibor

    Merci Mr Bane..! j'ajouterai tout simplement puisqu'il s'agit d'une guerre géopolitique, se mettre contre l'Iran, c'est aussi se mettre contre La puissante Russie, La Chine, la Corée du Nord, l'Inde, Sud Afrique etc… Le Sénégal n'a pas sa place et doit avant tout penser africain en cherchant une solution commune avec tous les autres pays africains pour le sécurisation du continent. Boko Haram, Aqmi et autres sont la… Si toutes fois le président mêle les sénégalais dans cette guerre, nous verrons sans tarder les conséquences à travers la Gambie et le mfdc, car ces pays que nous combatterons peuvent bien financer ces derniers

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