Divulgation de la propriété effective des entreprises extractives : que vise le Président de la République ?

Dans son adresse à la nation de ce 3 avril 2024, le Président de la République du Sénégal pour
son premier message au Peuple sénégalais a laissé entendre lors de son allocution que : « …en
plus de la mise en ligne déjà effective des contrats miniers, pétroliers et gaziers, sur le site de
l’ITIE Sénégal, je ferai procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises
extractives, conformément à la Norme ITIE… ».
Dès lors, il importe de s’intéresser au thème centrale de cette déclaration : la divulgation de la
propriété effective des entreprises extractives. Cette mesure tirée de l’exigence 2.5 de la normae
ITIE, consiste à permettre au public de prendre connaissance des personnes qui possèdent et
contrôlent en dernier ressort les entreprises opérant dans les industries extractives du pays, en
particulier celles identifiées par le groupe multipartite comme étant à haut risque, afin de
contribuer à dissuader les pratiques inappropriées et corrompues dans la gestion des ressources
extractives et de contribuer au suivi de la propriété des personnes politiquement exposées.
Pourtant, dans le cadre de la mise en œuvre de cette exigence phare, le Sénégal a adopté le
décret n° 2020-791 relatif au Registre des Bénéficiaires Effectifs (RBE) du 19 mars 2020.
Le décret susvisé a donc permis la création du Registre des Bénéficiaires Effectifs qui est
chargé de recevoir les déclarations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés, entreprises
individuelles, GIE, entreprenants et autres entités immatriculées ou déclarées au Sénégal
intervenant dans la chaîne de valeur du secteur extractif.
Le RBE est placé sous la surveillance du juge en charge du Registre de Commerce et de Crédit
Mobilier (RCCM) et peut être tenu sous forme électronique. Au sens dudit décret, le terme «
bénéficiaire effectif » désigne la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent,
directement ou indirectement, la personne morale ou physique immatriculée ou déclarant son
activité. En aucun cas, il ne peut s’agir d’une personne morale.
Doivent être ainsi déclarées comme bénéficiaires effectifs :
-toutes les personnes physiques qui détiennent, directement ou indirectement, au moins 2% du
capital ou des droits de vote de la société déclarante ;

– toutes les personnes physiques qui exercent, par d’autres moyens, un pouvoir de contrôle sur
les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société déclarante ou sur
l’assemblée générale de ses associés ou actionnaires.
A défaut d’identification, selon les deux critères précédents, les bénéficiaires effectifs sont les
personnes physiques qui occupent directement ou indirectement, notamment par l’intermédiaire
d’une ou plusieurs personnes morales, la position de représentant légal de la société déclarante.
Le Registre contient diverses informations dont notamment l’identité de l’entité immatriculée
ou déclarée, les prénoms et nom complets, nationalités, pays de résidence, numéro
d’identification nationale, date de naissance, adresses du domicile et résidence des bénéficiaires
effectifs ainsi que la date d’acquisition de la propriété effective.
En conséquence, le registre est tenu conformément à la réglementation sur la protection des
données personnelles.
Tout bien considéré, l’accès au registre n’est réservé qu’aux personnes jouissant d’un intérêt
légitime et sur demande adressée au juge commis à la surveillance du RBE. Toutefois, les
informations portant sur les déclarations relatives aux bénéficiaires effectifs sont transmises
sans délai ni contrepartie financière, à leur demande, à certaines autorités de l’Etat. Dans le cas
de figure, ces dernières adressent directement leur demande au greffe compétent qui leur
transmet une copie de la déclaration sur les bénéficiaires effectifs après en avoir informé le
juge commis à la surveillance du Registre des Bénéficiaires effectifs.
Ces autorités sont :
– les magistrats et les officiers de police judiciaire dans le cadre de leurs fonctions ;
– le Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor ;
– le Directeur général en charge du Budget ;
– le Directeur en charge des Mines ;
– le Directeur en charge des Hydrocarbures ;
– le Directeur général des Douanes ;
– le Directeur général des Impôts et Domaines ;
– le Président du Comité national de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries
extractives ;

– le Président de l’organe chargé de la lutte contre la Fraude ;
-le Président de l’organe chargé du traitement de l’Information financière.

Au regard de tout ce qui précède, il convient de se demander si par l’expression « je ferai
procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises extractives  » le Président de
la République entend exposer aux yeux du grand public le Registre des Bénéficiaires Effectifs?
Si c’est bien de ça qu’il s’agit, alors quelle en sera la finalité ?
Une extrême mesure de transparence !
Quoique louable, cette mesure laisse paraître deux équivoques : l’opportunité de la mesure et
l’efficacité de la mesure.
Même s’il est nettement visible que la tendance actuelle vise un libre accès des citoyens au
RBE pour la transparence et la lutte contre le blanchiment de capitaux, la corruption et les
conflits d’intérêts. Il ne faut pas tout de même minimiser les revers d’une telle mesure surtout
sur la protection des personnes. En ce sens, le 22 novembre 2022, la Cour de Justice de l’Union
Européenne a jugé que le libre accès du public aux informations portées au registre des
bénéficiaires effectifs des sociétés est illicite. Par sa décision, la CJUE a clairement rappelé
que l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur européen (la lutte contre le
blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) ne peut justifier des mesures constituant
des ingérences graves dans les droits fondamentaux des individus si lesdites mesures ne sont
ni limitées au strict nécessaire ni proportionnées à l’objectif poursuivi.
Encore qu’au Sénégal, le décret encadrant le RBE ne prévoit pas un libre accès du public aux
informations contenues dans ce dernier. Donc, ne serait-il plus approprié d’engager les services
compétents de l’Etat pour l’audit du registre et particulièrement pour l’identification des
personnes politiquement exposées qui sont sujettes aux conflits d’intérêts ?
D’ailleurs, la norme ITIE précise : « Il est exigé des pays de mise en œuvre de demander une
divulgation complète de la propriété effective des personnes politiquement exposées, quel que
soit leur niveau de propriété ».

Outre mesure, même si la divulgation des RBE peut permettre l’identification des conflits
d’intérêts dans le secteur extractif, elle n’en permet pas directement la résolution.

Il faut dire que la lutte contre les conflits d’intérêts dans le secteur extractif sénégalais reste
encore timide, malgré l’avènement de nouveaux codes (pétrolier et minier).
Certes, dans chacun de ces codes, il existe des articles qui traitent des conflits d’intérêts mais
force est de constater que leur consistance est discutable.
Le code minier, à son article 32 traitant du conflit d’intérêt dispose : « Il est interdit à tout
fonctionnaire ou agent de l’Etat en service dans l’administration publique de prendre
directement ou indirectement un intérêt dans une entreprise de recherche ou d’exploitation de
substances minérales sur toute l’étendue du territoire ». S’agissant du code pétrolier, ce n’est
qu’à l’article 67, à son alinéa 5 que l’on retrouve une disposition interdisant les conflits d’intérêts
et dont la teneur suit : « Aucun fonctionnaire ou salarié d’une société publique ne doit détenir
des intérêts ou droits ni dans une société détentrice d’un permis ou contrat pétrolier ni dans
toute société sous‐traitante, directement ou indirectement, de celle‐ci ».
En revanche, en Guinée le législateur du code pétrolier semble plus ferme en matière de conflits
d’intérêts à l’article 11 du code pétrolier guinéen nous pouvons lire : « ll est interdit à tout
membre du Gouvernement, fonctionnaire, agent de I’administration ou autre employé de l’Etat,
sous peine de sanctions, de posséder ou de tenter d’acquérir des intérêts financiers directs ou
indirects dans des entreprises détentrices de Droits Pétroliers et leurs sous-traitants ».
Même si au Sénégal de façon éparse, d’autres dispositions permettront plus ou moins de
consolider le cadre juridique de la prévention des conflits d’intérêts dans le secteur extractif
dont notamment l’article 55 de la Constitution. il suffit de prendre connaissance de l’article 11
du code pétrolier guinéen pour se convaincre du fait que le cadre juridique de la prévention des
conflits d’intérêts, au Sénégal, exclut plusieurs agents de l’Etat.

Alors, jusqu’où ira la mesure ?

Mouhamadou SARR, Juriste d’affaires.

3 COMMENTAIRES
  • SYLLA

    C’est manifestement de la fausse naïveté que de poser la question à savoir jusqu’où ira-t-on?
    Il est important dans l’œuvre de salubrité morale à réaliser dans la gestion des biens publics que l’on aille jusqu’au bout, faire la transparence totale.
    Au fait, qui a peur de la transparence voulue et attendue par les populations ?

    • Mamadou

      Transparence ou xamal nit, autrement dit une forme de voyeurisme. La vraie transparence commence par changer les lois et règlements qui permettent telle ou telle action, qui donnent telle ou telle possibilité à tel ou tel individu et les remplacer par d’autres qui permettront de voir la pertinence de la démarche enclenchée pour la transparence. Car si une loi ou une règle existent qui autorisent un Sénégalais de tirer profit de son statut d’employé de l’Etat, c’est à cette loi ou cette règle qu’il faut s’en prendre et non à celui qui en tire profit. Je crois que le mot divulgation dérange par cela seul qu’il rime dans le contexte actuel avec dénonciation. C’est pourquoi nous sommes impatients de voir tous les textes relatifs à l’exploitation minière dépoussiérés et réajustés par le Président et le gouvernement, pour s’insérer dans la dynamique de refondation qui s’est enclenchée le 24 mars 2024.

    • Rk

      La transparence est capitale, en effet, pour ne pas flouer les pauvres populations.
      Mais indiquer le domicile de personnes traitant de grosses affaires c’est les mettre en danger de cambriolage ou d’enlèvement.
      Mesure à appliquer avec discernement.

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