Contribution: hommage à Me Papa Ndiaye. Par Fatima Sow

Contribution: hommage à Me Papa Ndiaye.  Par Fatima Sow

« J’étais certes couché sur mon lit d’hôpital. J’étais sous perfusion. Mais les droits de la défense m’ont appelé  à la rescousse de ces pères de famille  pour vous demander de leur accorder la liberté provisoire … »

Tels furent les propos tenus par Me Papa Ndiaye, moins de quarante-huit heures avant son décès, le 10 décembre 2009 plus précisément. Qu’est-ce à dire ? Chez certains, le mot métier doit être appréhendé au sens propre comme au figuré (du latin menestier, mistier qui signifie littéralement service).

Permettez-moi donc de me mettre dans l’obligation morale de tenir des propos sincères à l’endroit de cet homme exemplaire. Généralement, en Afrique plus particulièrement, on ne baptise une avenue, un stade, une école, une bâtisse publique par le nom symbolique d’homme illustre que lorsque ce dernier est mort. Certains pourraient donc s’en prendre à mon discours pour me reprocher de l’avoir tardivement formulé en guise de témoignage. Mais que ces détracteurs potentiels sachent que, si je n’ai pas eu le temps de le faire de son vivant, c’est parce que son décès a surpris plus d’un.
Ce natif du Cayor, comme il s’ enorgueillissait souvent, nous a privés à jamais de ses émouvantes plaidoiries. Il maîtrisait l’art de la harangue, de la réplique, avec un flot et une adresse verbale qui frisent la perfection préconisée par Nicolas Boileau dans son Art poétique (1674), lui qui tenait beaucoup au soin à apporter à la langue. Par conséquent :
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots, pour le dire, arrive aisément »
Pour achever de nous en convaincre, cet auteur classique ajoutait ces paroles que j’avais apprises par cœur au lycée :
« Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin. Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. »

Il suffit de remplacer le mot « auteur » ou « écrivain » par « avocat » et aussitôt on verra que Me Papa Ndiaye en avait fait une vertu. Pour moi, cela signifiait qu’on peut, même en disant des sottises, si bien les dire qu’elles ne paraissent plus sottes. Son art oratoire, sa diction renversante mettaient toute l’assistance sur la même longueur d’ondes, qu’on le veuille ou non, qu’on accepte ou qu’on conteste.

C’est parce que ce « prédicateur de la bonne justice » disait vrai mais disait bien aussi. Il vous employait de ces styles dont il a le secret, avec des mots de tous les jours mais denses comme Cicéron devant le forum ou encore (plus proche de nous) Hugo qui en avait l’habitude devant l’assemblée constituante comme dans ses écrits immortels. Comparaison n’est peut-être pas raison, mais Me Papa Ndiaye savait séduire son auditoire accroché à ses lèvres.

Hier (Ndlr: lundi) seulement, je relisais le dernier sermon du prophète Mouhammad (P.S.L). J’ai aussitôt, après lecture, fait la corrélation avec la dernière allocution de feu Me Papa Ndiaye à laquelle j’ai eu le privilège d’assister : des adieux voilés presque identiques !
Bien que présentant au visage des signes avant-coureurs d’un départ imminent (ce n’est qu’après coup qu’on s’en rend vraiment compte, surtout quand on se souvient bien mieux des paroles prononcées par cet hôte qui rentre chez lui : auprès de Dieu), il tenait à cette allocution comme à la prunelle de ses yeux. Il avait les traits tirés, menait une lutte sans merci contre une vague adversité mais, même avec des yeux un peu glauques, il voulait garder ceux-ci ouverts, lucides jusqu’au bout de l’effort…

Pourtant, ceux qui le connaissent se souviendront de l’homme discrètement élégant qu’il fut. S’ils avaient assisté à cette ultime audience, ils se rendraient compte que notre homme n’était que l’ombre de lui-même, lui naguère à la démarche altière, à la mine joviale, à l’habillement impeccable, lui avec sa savante et adroite façon de se mettre, du point de vue de la mode comme de la pensée, au juste milieu, à mi-chemin entre celle des siens et celle actuelle… Oui ! Il était la somme de tout cela, harmonisé avec parcimonie. Pour preuve, chaque fois que l’occasion le lui permettait, il retournait à Ndande et, armé d’outils de cultures agraires, s’adonnait généreusement à cette activité de cultivateur que le citadin ignore. Oui ! l’image vivante de l’homme moderne civilisé chez Senghor : la culture de l’universel !

Difficile, rare de trouver un témoignage qui irait à l’encontre de ces propos. Je vous en fournis deux seulement ; le premier est de Me Ousseynou NGOM. Celui-ci dit : « un avocat d’un autre genre. Racé, élégant, éloquent, voila un excellent plaideur, le meilleur, disons ». Le deuxième est du juge lui-même. Celui-là avoue : « il me respectait beaucoup ; en salle d’audience, dès qu’il y avait une confrontation avec un de ses confrères, si je lui disais de se calmer, il se calmait aussitôt ».
Réunir dans ce petit rectangle de papier tous les témoignages ne sera que répétition car tous renverraient à une unique conclusion : celle qui se lit dans ces deux !
Exactement comme il était inamovible sur un siège d’honneur qu’on lui avait réservé spécialement, il avait une certaine conception des droits inaliénables de la défense. Pour cela, il avait inventé des concepts bien à lui, ces deux en l’occurrence :
Le concept de proximité de détention par opposition à la détention de proximité. En effet, l’incriminé pouvait simplement être proche de l’objet du délit et être victimes sans en avoir été détenteurs ni propriétaires.
Le concept de globalisation processuelle des infractions par opposition au principe de la personnalité des peines. En effet, sa conception était bien différente, plus humanisée de cette loi à la limite « injustement juste ».
Et tant d’autres encore…
Avec la même énergie, il condamnait la loi portant criminalisation du trafic de stupéfiants, pour des raisons de commodité et de bonne administration (elle qui consistait plus à incriminer qu’à corriger). C’est d’ailleurs pour cette raison que l’article 130 portant sur la liberté provisoire était le cheval de bataille de Me Papa Ndiaye.

Le droit pénal le préoccupait plus que le droit civil pour une raison toute simple : pour lui, le criminel constitue le domaine d’expression par excellence du rôle social de l’avocat défenseur de la veuve et de l’orphelin. Eh oui ! Barreau et salles d’audiences correctionnelles seront orphelins de cette icône ; les orphelins et les veuves encore plus ; la justice sénégalaise perd une éminence…
Cependant, sous ce masque de fer, Me Papa Ndiaye est une enveloppe bien sensible. Papa Moussa Félix Sow ne dira pas le contraire, lui qui avait été témoin impuissant du spectacle d’abattement auquel s’était exposé Me Papa Ndiaye lorsque ce bâtonnier était venu lui présenter ses condoléances suite au décès de sa mère.
Eh bien, repose en paix à Ndande près de cette mère, toi le digne descendant du damél Amary Ngoné Fall. Que Dieu t’accorde une place de choix au paradis, havre de paix des bienheureux. Que le Tout-puissant veille Lui-même sur ta famille.
Je souhaite autant, sinon mieux que la même chose, à tous les avocats disparus (Mame Abdou Mbodj, Assane Sow,Mamadou Diop,Ibrahima Diallo, Gabriel Geni, Moustapha Diop, Aly Sarr et à Atoumane récemment arraché à notre affection… ).

3 COMMENTAIRES
  • oo

    Félicitations Fatima sow, tu as rendu un vibrant hommage à notre regretté maître papa ndiaye.
    Tu es très belle machallah

  • usa

    Ah oui, c’est vrai qu’elle est belle et intelligente machallah, car ce texte sort du coeur à voir les écrits.

  • vérité

    yow mome rafetegua dé

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