Chanvre indien ou chanvre d’Afrique ?

« Chanvre africain » ! Oh non, pardon ! « Chanvre indien » : je voudrais dire.. Quel lapsus ! Et quel abominable lapsus ! Mais ce n’est pas abominable tant que ça. En effet, l’Inde a des tonnes de droits de nous en vouloir, nous les africains qui sommes en phase d’être les tout nouveaux premiers producteurs et trafiquants mondiaux des herbes maudites. Oui, l’inde, en cette lointaine Asie méridionale, nous épiant avec un œil dédaigneux et nous désignant d’un doigt accusateur, a le plein droit de nous en vouloir, pour la simple raison que nous continuons encore à lui attribuer la paternité de la production, en cachette et en quantité suffisante, de la maudite herbe dont nous produisons pourtant plus que n’en produit le pays de Gandhi, et dont les victimes africaines sont plus nombreuses que les victimes indiennes. L’inde a le plein droit de nous traduire devant la justice universelle tant que nous ne cesserons de parler de « chanvre indien », enlieu et place de « chanvre africain ».

Ce chanvre que nous voyons tous les jours défiler sur les écrans de télévision est beaucoup plus africain qu’indien. C’est surement par pudeur factice ou par innocence hypocrite que l’on ignore royalement l’africanité des produits maudits.

Les africains sont des adultes doués de raison. Mais ils œuvrent inlassablement à user de leur superbe intelligence dans de mauvaises directions. L’offense aux indiens est impardonnable, pour avoir qualifié d’ « indien » ce maudit produit agricole.
Certainement le « chanvre indien » fut appelé d’antan ainsi parce que l’Inde l’aurait produit la première. Mais les énormes quantités que nous en cultivons et que nous en commercialisons sur le marché mondial clandestin, nous font occuper une place de choix dans l’échiquier international des activités commerciales illégales et illicites.

Les données ont donc radicalement changé. La situation a fortement évolué aussi bien en Inde qu’en Afrique. L’Inde s’est retirée depuis longtemps de la place de premier producteur mondial du chanvre, si d’ailleurs elle l’a jamais occupée dans son existence historique. Ce n’est plus la production en séries de mauvaises herbes qui la préoccupe. L’Inde a dépassé ses objectifs visés dans tous les domaines de noblesse. Elle a réalisé des prouesses économiques et technologiques qui lui assurent à coup sûr l’émergence et le développement. Arrêtons donc de l’insulter en parlant de « chanvre indien ». De surcroît, selon les pronostics des instances internationales, l’Inde deviendra, dans quelques décennies, si les tendances actuelles se confirment, la première puissance économique mondiale. Quant à l’Afrique, le seul défi qu’elle a en face d’elle est le défi de la survie et celui des palabres à l’arbre, afin de sortir du gouffre.

L’Inde a maintenant d’autres défis, plus nobles et moins scandaleux, à relever; elle a d’autres chats à fouetter que de souiller la planète et la tête pensante de la jeunesse mondiale avec la production et la commercialisation du chanvre d’Afrique. Le baroud d’honneur indien est de nous avoir cédé volontiers la première place dans la production et le commerce des maudites herbes.

Que le lecteur veuille encore bien me pardonner ce maudit lapsus : « chanvre d’Afrique » qui me colle à la langue ou à la plume, selon la perspective où l’on se situe, et qui vraiment, à la longue, deviendra inexorablement une habitude, une seconde nature, pour reprendre à mon propre compte la belle expression d’Aristote.
J’exige de mon aimable lecteur qu’il me prodigue de bons conseils et qu’il me convainque, avec de bonnes raisons et d’arguments valables, de la nécessité de me débarrasser, pour de bon, des lapsus trop répétés de ce genre, et de me tenir strictement à ce langage métaphorique qui consiste à dire « chanvre indien », en lieu et place de « chanvre africain » au sens propre de l’expression. Il n’est secret pour personne que le langage en sens propre rétrécit le champ d’action phonatoire, alors que le principal trait de la métaphore est d’offrir « une pluralité d’interprétations ». Ici en réalité, il n’y a rien de caché ou de mystérieux comme sens. Il n’y a rien à voiler avec une série infinie de métaphores et de métonymies ; tout est clair comme l’eau de source. Dites : « chanvre indien », et du coup, vous êtes à la fois injustes et complaisants : injustes envers l’Inde et sa haute technologie, et complaisants à l’égard de l’Afrique et « son » chanvre.

Une contribution de Babacar Diop

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