Censure de séries télévisées : « Jamra, arrête ton cirque ! » (Par Mamadou AMAT et Papa Samba KANE)

La présence de Jamra sur tous les fronts ne plaît pas à tout le monde. Selon les journaliste Mamadou Amat et Pape Samba Kane, c’est la sanction du public et de la critique qui doit tout réguler, et non pas une organisation confessionnelle, quelle qu’elle soit. Ils pensent les Sénégalais suffisamment libres et responsables des chaînes qu’ils choisissent de regarder.

Nous vous délivrons in extenso leur contribution

Liberté d’expression, liberté de presse, liberté de pensée, liberté de création, bref liberté sous toutes tes formes et toutes tes déclinaisons, nous te sentons orpheline.
Depuis un certain temps, l’Ong Jamra a instauré la censure systématique sur des séries télévisées n’ayant pas son assentiment, bien aidée en cela par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Des ailes lui ayant poussé sur le terrain de la censure à la diffusion, l’organisation veut maintenant étouffer dans l’œuf la création cinématographique en investissant son administration. Elle a annoncé en grande pompe, comme à son habitude, avoir signé une convention avec la direction de la Cinémato­graphie. Celle-ci, on le sait, à travers le Fopica, finance la production de films.
Nous n’aborderons pas ici les aspects juridiques de la question. Ce n’est pas évident que les règles de fonctionnement de la direction de la Cinémato­gra­phie, fixées par une Adminis­tration laïque, l’autorisent à signer quoi que ce soit avec une organisation brandissant des critères religieux pour valider ou invalider un scénario. Mais si notre ami Babacar Diagne, président du Cnra, du haut de son expérience, cède presque toujours devant l’activisme débordant de Jamra, on voit bien d’ici l’embarras du tout nouveau directeur de la Cinématographie. Bref !
Jamra, ainsi donc, place ses pions un à un. Et de plus en plus de gens, notamment au sein de l’intelligentsia, y compris politique, et aussi malheureusement de la presse, semblent trouver normal que Mame Makhtar Guèye, leader autoproclamé (parce qu’il n’en est pas le président) de Jamra, remette systématiquement en cause des acquis obtenus, voire arrachés, de haute lutte au fil des ans dans un pays, le Sénégal, que son rayonnement culturel a souvent placé aux premiers rangs des grandes Nations du monde. De Tokyo à Berlin, en passant par Budapest et Paris – depuis Senghor -, Khar Mbaye Madiaga, Doudou Ndiaye Rose, Ndèye Khady Niang, Baba Maal, Youssou Ndour, Sembène Ousmane ou encore Djibril Diop Mambety ont porté haut l’étendard du pays tant qu’au Japon, on danse le mbabas ou le jaxaay comme à Médina-Sabakh ou à Yeumbeul. Touki bouki de Mambety est aujourd’hui classé, par la Fondation Martin Scorsese, parmi les cent meilleurs films du patrimoine cinématographique mondial. Or dans ce film, réalisé en 1973, une des scènes-culte, sinon la scène-culte, montre un homme dans la force de l’âge, debout sur le siège d’une voiture décapotable, nu, de dos, le poing levé, sur fond sonore d’un bàkk célèbre de notre làmb (patrimoine musical de cette lutte traditionnelle qui nous est spécifique avec son rituel athlético-poétique). Des empereurs, des rois et reines, toutes sortes de chefs de grands Etats, ont applaudi le Sénégal, d’Occident en Orient, à travers le monde, grâce aux ballets La Linguère ou à l’Ensemble lyrique traditionnel de Sorano ou de sa troupe théâtrale, et de danses, que la censure bigote qualifierait aujourd’hui de «perverses». Or ce dynamisme culturel nous a valu des amitiés utiles sur la scène diplomatique mondiale, avec toutes leurs implications aux plans économique et commercial.
La culture, disait Senghor, est au début et à la fin de tout développement. La brûlante actualité, avec la débandade militaro-diplomatique de la coalition occidentale en Afghanistan, en offre une illustration saisissante. Si l’Amérique domine le monde aujourd’hui, ce n’est pas grâce à sa force militaire, mais au blue-jean, au western, à Michael Jackson, à Harvard University, à Rihanna… A sa Culture donc (Grand C), et dans sa grande diversité que son cinéma, langage universel, a répandue dans le monde. La culture – plus profondément influente que le canon – quand elle s’installe vingt ans quelque part, aucun groupe armé n’arrive à l’en déloger. Les Talibans ont vite fait de chasser ce qui restait chez eux de l’Armée américaine, mais ils auront plus de mal avec le mode de vie adopté par une bonne partie de la jeunesse afghane née ou ayant grandi au cours des vingt dernières années d’occupation et d’influence culturelle occidentale. Toutes les concessions que les nouveaux maîtres de Kaboul sont en train d’aligner pour gouverner sans heurts ingérables tiennent à cette problématique. La force que représente sa culture pour un Peuple, certes «ouvert aux apports fécondants des autres cultures», est à entretenir et promouvoir plutôt que d’être étouffée, mise sous l’éteignoir par une censure… unilatérale – c’est le moins que l’on puisse dire.
Nous sommes le pays de Boucounta Ndiaye «Ndaga yàxal na may nelaw», et tous ces jeunes, musiciens, cinéastes ou «performers», ne sont que les continuateurs d’une tradition dont les racines sont ancrées bien loin que cet instrumentiste et chanteur de génie dans notre culture. Que, parmi ces jeunes créateurs, certains puissent être maladroits ou manquer du talent nécessaire pour rendre tout cela avec élégance, soit ! Mais alors, comme dans tous les pays du monde, c’est la sanction du public et de la critique qui doit tout réguler. Et non pas une organisation confessionnelle, quelle qu’elle soit, qui ne fédère pas – y a-t-il besoin de le dire ? – tous les Sénégalais. Allons-nous continuer de fermer les yeux sur le danger qui nous menace ainsi, au lieu d’ouvrir l’œil sur l’urgente nécessité qui se présente à nous de mettre un terme à cette fuite en avant, et avant que la situation ne dégénère inexorablement ? Allons-nous continuer d’accepter qu’un Torquemada tropical nous dépouille entièrement du peu de liberté qui nous reste après qu’il a réussi à subjuguer le Cnra et, dernièrement, la direction de la Cinémato­graphie, voire la Dsc (Division spéciale de la cybersécurité) de la Police nationale qui lui acceptent tout ce qu’il leur impose ? Allons-nous continuer de laisser à Mame Makhtar Guèye le soin de décider tout seul du contenu de nos programmes audiovisuels, c’est-à-dire redéfinir la politique culturelle du pays de Léopold Sédar Senghor, David Diop, Birago Diop ? Et pour mettre quoi à la place ? Telle est en fait la grande question ! Devrions-nous continuer d’accepter que l’esprit créatif de nos artistes (au sens large) se laisse brider, non par une réflexion critique argumentée, ouverte, mais par des réactions épidermiques avec, pour boucliers, des caractérisations définitives, frappées abusivement de l’estampille religieux – «pervers» en est une récurrente -, jetées sur des œuvres de création ?
La religion ! L’idée qu’en résistant à l’agitation frénétique du nouveau Jamra (qui m’a rien à voir avec la grande classe de celui de son défunt fondateur, Abdou Latif Guèye) l’on s’opposerait à la religion terrorise bien des gens. Nombreux pourtant sont les Sénégalais qui sont loin d’être d’accord avec les actes que n’arrête pas de poser son successeur de fait, avec ses manières. Celles-ci qui arrivent (presque) à nous persuader qu’il est envoyé sur terre par le Tout-puissant Allah pour sauver nos âmes du feu de l’Enfer ! Non, confrères et consœurs, Séné­galais et Sénégalaises épris de respect pour la différence et de mesure, refusons ce diktat, cette inquisition à la Torque­mada qui menace de conduire au bûcher tout esprit créateur (car fondé sur la liberté) chez nos réalisateurs, scénaristes, acteurs, artistes… qui ne de­mandent qu’à laisser s’exprimer leurs différents talents afin que les regarde, les juge et les sanctionne (positivement ou négativement) le Peuple sénégalais dans ses diversités raciale, ethnolinguistique, culturelle, religieuse. Exactement comme c’est le cas dans tous les pays civilisés à système démocratique, même imparfait, y compris en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et surtout au Nigeria, le pays de Nollywood, où mille fleurs s’épanouissent pendant que mille écoles rivalisent. Ce qui a donné à l’industrie culturelle nigériane une place de choix dans son économie : 30% du Pib.
Nous ne connaissons, ou si peu, ni Infidèles ni Maîtresse d’un homme marié, ni Cirque noir, ni aucune autre de ces séries systématiquement accu­sées de pervertir le Peuple sénégalais, pourtant habitué, à travers la toile mondiale, aux films occidentaux bien osés, sans en être devenu un Peuple plus «pervers» qu’un autre. Ou de dévaloriser la femme. Ou encore d’être coupables d’on ne sait quelle autre niaiserie. Pour ne pas succomber à la tentation de la perversité «matarienne», à l’instar de bien des Sénégalais – maîtres, eux, de leur télécommande – nous sommes suffisamment libres et responsables des chaînes que nous choisissons de regarder. Pour, si un programme ne nous plaît pas, zapper et regarder autre chose. Ou ouvrir un bouquin, tiens !
Les censeurs, sous toutes les latitudes, ont cette fâcheuse tendance à reluquer tout un film, voire à passer et repasser plusieurs fois certaines scènes avant de décider de ce qu’il faut cacher au regard de ce Peuple mineur qu’ils prétendent ainsi protéger. Contre quoi ? Et puis, à la fin, quand les censeurs se­ront arrivés à leurs fins, que proposeront-ils comme politique cinématographique à la place de ce cinéma et de ces séries voués aux gémonies ? Œuvres que, depuis des années, la direction de la Cinémato­graphie finance à partir de critères techniques et artistiques essentiellement, mais aussi de moralité, bien spécifiées dans ses textes. Nous attendons ce programme alternatif des nouveaux gardiens de la morale créative.
En attendant, l’envie nous démange de leur lancer : «Messieurs les censeurs, arrêtez votre cirque !»

Par Mamadou AMAT et Papa Samba KANE, journalistes

24 COMMENTAIRES
  • kenene

    Soubhanala,
    yalla naniou yalla mousal si yéne.
    je vous soutiens Djamra. continuez votre travaille de veille sur les bonnes moeurs
    yalla bakhna

  • Benarc

    Merci M. Kane. Ce Matar Gueye nous pompe l’air. Pourquoi décider au nom des Sénégalais. On peut ne pas être d’accord mais ce n’est pas un raison de faire censurer. Chaque jour on zappe des émissions, des films et ce sont bien les téléspectateurs qui font eux mêmes leurs propres censures. Nous avons accès à des centaines de chaînes et vous privez des scénaristes de leur gagné pain pour des scènes de 2 mn . Je me demande toujours quel est l’objet de James, qui en sont les membres. On entend qu’un activiste.

  • Djibson

    Rien à ajouter. Magistral. Ndekete au Sénégal, il peut s’y éclore de la qualité argumentative ( je blague).

  • diométe ndouma no sante

    parfaitement d accord avec votre annalyse jammra c est mame matar gueye seul qui decide du contenu de nos programme tv

  • sow

    Merci mrs d avoir osé mettre le doigt sur la plaie jamra

  • sénégalais

    Quel pays ?? C’est les mêmes sénégalais qui défendent les lgbt les séries pornographiques etc et qui ne s’alignent pas avec notre culture. Si vous avez des problèmes avec mame mactar ça nous pompe à l’aire. L’essentiel c’est que ça va marcher

  • Binta

    Enfin des gens qui n’ont pas peur de dire la vérité; la population commençait à se poser des questions sur le droit à la liberté: Grand Merci Monsieurs

    • Kdij

      La liberté ne mène pas toujours au bien, elle peut mener a la dégradation et à la ruine. Il est important de défendre nos valeurs, les bonnes moeurs même pour protéger ceux qui malgré peuvent zapper, changer chaîne de leur TV mais sont négligents. Rappeler vous Sénégal deukkou diine la ay nitou Yàlla gnofa teudd, que cela vous plaît ou pas.

      • Djibson

        Le bien n’est pas toujours ce que certains décident pour d’autres. Li ngay wakh  » nos » valeurs c’est pas certain que ça nous soit propre, ce ne sont pas NOS mœurs propres. Baayilen forcer. Senegal deukou diine. Et alors ? Deuke leneen lou bari la. Pourquoi le diine aurait il un monopole ou la préséance ? Y a pas que le diine dans la vie. C’est un fait social et humain comme un autre. Ay nitou Yaala. ? Nieupp au nitou Yaala la niou. Et puis sakh Yaala rek a kham lou mouy def euleuk ? Am deet ?Vous vous mettez trop souvent à sa place Quel deugueurfitisme !

  • Elhha

    Film Mambety bi ngen di wakh Bou done sene baye mo defone tatou nene nonu dolen fi tok diniou wakh li. Nioune ay Mambety Ousmane Sembene et autrs bouniou dh diambar ci sen art wa Daaray Kocc nio meussa done reference théâtrale fi Sénégal. De tout cœur avec Jamra.

    • DIGNITE

      VIVE JAMRA.VOUS ÊTES PARTI D ALLAH.VOS DÉTRACTEURS SONT PARTI DE CHAYTANE.

    • Zih

      Meeci cher ami

  • Bouba

    PSk doit se taire lui qui se cache derrière le journalisme pour faire subtilement de la politique. Un vrai mercenaire, socialiste manquant de courage pour l’affirmer nettement. Un tel acculturé, avec son image transfigurée pour ne pas dire emprunté, ne peut donner des leçons à personne dans ce pays des VRAIES VALEURS

  • Osis

    Défence…? Et si Jamra revoyait son orthographe?

  • bonjour Faye

    vive jamra

  • Diouf

    Où va ce Pays ?J’ai suivi Jakaarlo du vendredi dernier, Malal Tall avait raison sur toute la ligne. Il faut laisser les artistes travailler. Ils savent jusqu’où on peut aller. Évidemment il y’a des choses qu’on ne peut pas tolérer. Il appartient aux diffuseurs de faire attention. Il n’appartient pas à une association de s’ériger en censeur officiel.

  • doudou

    tous les goordjiguènes sont contre JAMRA
    ragal lène yalla
    fii sénégal deukkou diné la

  • doudou

    avec JAMRA jusqu a la mort,
    les LGBT seront traqués jusqu a leur fin

  • Sang gueye

    Al hamdoulilah on jamraa

  • Touba

    Regarde c fdp fi fi ak jamra nekoul thi politique mom lay andal

  • Ahad

    Vive jamra mame matar le president doit te recevoir diokhleu bip pour ta sécurité liguey bou am solo ngey def thi askan bii

  • Diop

    De tout cœur avec Jamra. A lire ces deux rzliqueq de la presse, Charlie hebdo n’avait cmis aucun tort en caricaturant notre prophète. Nous ne laisserons aucun déboussolé travestir nos enfants. L’art doit servir le peuple.

  • Kdij

    La liberté ne mène pas toujours au bien, elle peut mener a la dégradation et à la ruine. Il est important de défendre nos valeurs, les bonnes moeurs même pour protéger ceux qui malgré peuvent zapper, changer chaîne de leur TV mais sont négligents. Rappeler vous Sénégal deukkou diine la ay nitou Yàlla gnofa teudd, que cela vous plaît ou pas.

  • Salihat

    Vous comparez l’Amérique au Sénégal yalanagnou Yallah mousseul thi seni pékhé ;Cette maladie qui le complexe a fini par detruire notre société au plus profond de ses couches ! Sunu yengou Ak sunu daal yalanay yallah kassé!

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