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"Attention, la banque africaine de développement refile du mauvais coton" (Par Adama Gaye)

On sait le mal qui la guette. Depuis qu’elle a tué la compagnie multinationale aérienne africaine Air Afrique, la complaisance vis-à-vis des pouvoirs africains est en effet perçue par les observateurs du continent comme la menace permanente sur les institutions africaines.

C’est précisément la raison pour laquelle tous se demandent si elle ne projette pas à nouveau sa tête au dessus des projets panafricains: la banque africaine de développement (Bad) !

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La réévaluer

On pensait qu’elle en était guérie. Que le virus en avait été définitivement extirpé et qu’elle voguait continûment vers les cimes de la performance institutionnelle.

Un fait banal en apparence commande néanmoins de se pencher sur son cas pour le réévaluer. De quoi s’agit-il ?

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Quiconque observe la marche de la Bad depuis ces trente dernières années se doit d’admettre qu’autant elle a souvent tutoyé les sommets, ainsi que le prouvent les notations Triple A qu’elle a enfilées sur de longues périodes, autant elle a connu, sur de brefs épisodes, une dangereuse baisse de régime en d’autres circonstances. Elle a même failli frôler la mort…

Sa politisation est son coronavirus. Au début des années 1990, alors qu’il l’avait portée au pinacle du succès, notre compatriote Babacar Ndiaye (ici en ma compagnie pendant une assemblée générale de la Bad en 1993) avait commis l’imprudence, malgré mes conseils, de vouloir briguer un mandat de trop à sa tête. Ce fut le charivari. Les duels sans fins. Les querelles politiques tendues. La banque en perdit de vue son cœur de métier: le financement du développement africain !

Il a fallu évincer sans ménagements ce président de l’institution qui lui avait obtenu ses premieres notations triple A, avait créé Le Club des Hommes d’affaires africains, lancé Africa Shelter et mis sur orbite Afreximbank.

Chassé de son poste malgré ces exploits, Ndiaye, pris du syndrome de l’hubris et confirmant la thèse schumpeterienne, avait atteint son degré d’incompétence en se coltinant à l’excès avec les pouvoirs politiques africains. Ce fut le cas notamment avec celui du Sénégal, notre pays où il mit, sans garantie, une ligne de crédit de 39 milliards cfa vite dilapidés. C’était, pensait-il la voie royale pour réaliser son rêve d’être reconduit une dernière fois à la présidence de la Bad.

Dans ces moments de perte de lucidité, quand je le voyais dans son domicile Abidjanais, l’élégant et intelligent qu’il était d’habitude semblait avoir perdu tout sens de la rationalité et de la retenue. Ce n’est qu’après sa défaite qu’il réalisa, comme il m’en fit l’aveu, la portée de mes mises en garde données en présence de sa charmante épouse, Marliatou.

Le départ difficile de Babacar Ndiaye fut un traumatisme pour la Bad. Tous ses exégètes retinrent leur souffle à la désignation de son successeur, le marocain Omar Khabajj. Celui-ci, en dépit d’une tare d’illégitimité, parce que venant d’un Maroc peu engagé dans l’institution, sut cependant la remettre sur les rails de la rigueur. La bad était sauvée. Miraculeusement. Puisqu’elle qu’elle avait dû naviguer, de surcroît, dans les eaux fétides de la crise identitaire, suivie d’une violente guerre civile ayant grippé son pays d’accueil, la Côte d’Ivoire. Elle dut même s’exiler un moment en Tunisie pour échapper aux tirs des miliciens en conflit.

On connaît la suite. Remise à flots par Khabajj, son renouveau devint encore plus éclatant avec l’arrivée d’un nouveau President en la personne du Rwandais Daniel Kaberukua dont la gestion remarquable lui fit retrouver ses plus belles couleurs.

Votes des dirigeants africains

C’est dans ce contexte qu’est élu en juin 2015 son actuel Président, le Nigérian Adebayo Adesina.

Certes précédé de ses réalisations dans son pays comme ministre de l’agriculture malgré des zones d’ombres non encore élucidées, il prenait les rênes de la Bad dans un climat propice. La paix était revenue en Côte d’Ivoire, la Bad s’était réinstallée dans ses vieux quartiers, et un engouement planétaire se déployait envers l’Afrique, désormais considérée comme la nouvelle frontière du développement.

Le hic, c’est qu’après cinq ans de présidence de la Bad, Adesina cherche à décrocher un mandat nouveau. Il ne compte principalement que sur les votes des dirigeants africains. On le voit depuis deux ans cultiver leur sympathie. Aucune occasion n’est de trop pour qu’il les couvrent de ses éloges alors qu’ils sont tous en train de déraper autant dans la gestion de leurs pays que dans leur volonté de se perpétuer au pouvoir.

Meme, et je l’ai vécu personnellement, on sent leur influence sur lui dans les institutions autonomes, comme Africa50, où les responsables agissent pour plaire aux rêves autocratiques des chefs d’état africains. Mieux vaut ne pas être un homme libre en traitant avec la bad et ses filiales !

C’est dire que la Bad est derechef dans l’œil du cyclone. Ses jugements en sont fragilisés. Sa crédibilité à l’épreuve. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, à juste titre, la mettent en garde contre sa complaisance retrouvée envers les États africains dont elle couvre la boulimie d’endettement suicidaire. Comme au Sénégal.

Qui doit, dans ces conditions, s’étonner du quitus qu’une mission envoyée par elle au Sénégal s’est autorisée à lui délivrer après une visite des projets financés ici par l’institution en plus de trouver soutenable son niveau d’endettement ?

L’actuel président de la bad, ici en ma compagnie à Nairobi en marge des Assemblées générales de Africa 50, doit faire très attention: sa quête d’un deuxième mandat doit cesser d’être synonyme d’une immixtion dans les affaires intérieures de pays comme le nôtre, mal gérés et dont les ressources financières sont pillées avec le silence coupable de ses hommes !

Et puis d’ailleurs tous les démocrates et adeptes de la gestion ouverte des pays et institutions du continent doivent se poser la question de savoir pourquoi, sous l’effet des autocrates africains dupliquant ce qu’ils font à domicile, sent-on s’installer une conspiration du silence: pourquoi donnent ils tous l’air de vouloir une élection plébiscitaire, avec un candidat unique dans un scrutin à un tour, à la Bad ?

Le risque de la complaisance doit cesser. Et la mission de la Bad qui vient de quitter un Sénégal en profonde crise mais qu’elle n’est pas loin de décrire en Eldorado mérite de recevoir des coups de fouet publics.

Nous déchirons ce certificat de santé complaisant et invitons le President Adesina à installer un virus de la rigueur au sein d’une institution qui, sous sa gouverne, recommence à tanguer, à dériver gravement !

Le syndrome du mal qui ronge la Bad s’est manifesté au Sénégal : il est temps d’en mesurer la gravité.

Par Adama Gaye

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2 commentaires

  1. Thieuylii

    Avant son écaltement dans divers pays (Tunisie, etc), les fonctionnaires de la BAD (Guichet privé) étaient connus comme des corruptibles soit par les Etats soit par des chefs d’entreprises à financer après audit ! Qu’en est-il aujourd’hui si l’on sait que le patron de la BAD aurait des accointances douteuses avec certains sénégalais bien connus !


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