Transparence et liberté de presse : Versus respect du secret de l’enquête et de l’instruction au Sénégal

Transparence et liberté de presse : Versus respect du secret de l’enquête et de l’instruction au Sénégal

Comment faire respecter le secret de l’enquête et de l’instruction au Sénégal, face à la liberté de presse, le droit à l’information et l’exigence de transparence de la part de l’opinion publique ?

« Ce que Monsieur X ou Madame Y, a dit aux enquêteurs… » voilà le genre de titre qui captive les citoyens sur les dossiers politico-judiciaires ou plutôt judiciaires politisés.
Force est de reconnaitre que de 2012 à 2025 les procès-verbaux des enquêtes judiciaires se retrouvent souvent sur la place publique et font l’objet de plusieurs débats entrainant souvent des invectives, des manifestations et même de la violence. Nous sommes à l’ère des réseaux sociaux, des conférences ou points de presse des procureurs et des avocats de défense. Ces derniers veulent à tout prix convaincre l’opinion pour démontrer avant le procès le respect des procédures et la garantie d’une justice équitable non partisane.

Alors qu’avant toutes les informations judiciaires étaient disponibles au grand Public que pendant les procès. Quel sens y a-t-il à autoriser des comptes rendus d’audience en temps réel, nécessairement partiels, et à interdire un compte-rendu enregistré exhaustif et objectif ?
A l’heure de la reddition des comptes dans un contexte de rupture promise par le régime actuel, il est important de rappeler que le secret de l’enquête et de l’instruction est un principe indispensable pour garantir l’efficacité et l’équité de la procédure judiciaire tout en protégeant la présomption d’innocence des personnes mises en cause et la vie privée des victimes.
Le secret de l’investigation et de l’instruction, tel que garanti par la loi, est un secret qui protège à la fois les justiciables et les magistrats, tout au long de la procédure judiciaire. Mais c’est un secret qui doit également composer avec d’autres secrets protégés par le législateur dans la recherche d’un équilibre entre plusieurs impératifs constitutifs d’une société démocratique.
Du point de vue interne, il s’agit des parties concernées et revient à interroger le principe du contradictoire. Du point de vue externe, il désigne la non-publicité de l’enquête et de l’instruction à l’égard des tiers. C’est principalement sur ce second aspect que la sauvegarde du secret poursuit des objectifs étroitement liés à la confiance que peut avoir une partie au procès dans la justice, et par extension tout citoyen en tant que justiciable potentiel .
Ce secret de l’enquête et de l’instruction n’est ni général ni absolu. Il fonctionne sur un mode binaire où seules les personnes concourant formellement à la procédure y sont soumises, les autres en étant dégagées, sauf à respecter les règles plus générales de secret professionnel auxquelles elles peuvent, du fait de leur statut, être astreintes (comme, par exemple, les avocats).
Durant cette phase de recueil des éléments à charge et à décharge, il importe de favoriser la manifestation de la vérité, d’éviter la disparition des preuves et de préserver la sincérité des témoignages et la sécurité des protagonistes, et cela dans l’intérêt de chacun : mis en examen, victime, témoin, accusation, mais aussi dans l’intérêt général.
Enfin, le secret dans l’investigation permet la sérénité de la justice et la protection de la présomption d’innocence de ceux qui pourraient être livrés en pâture à l’opinion publique avant même que leur responsabilité pénale ne soit définitivement établie.
La conservation du secret de l’enquête et de l’instruction protège l’ensemble des acteurs tout au long de la procédure pénale, et est intrinsèquement liée à la confiance de nos concitoyens dans la Justice.
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il était légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen. La Cour a même pris soin de rappeler les objectifs poursuivis par le secret de l’instruction, qui « sert à protéger, d’une part, les intérêts de l’action pénale, en prévenant les risques d’une collusion ainsi que le danger de disparition et d’altération des moyens de preuve et, d’autre part, les intérêts du prévenu, notamment sous l’angle de la présomption d’innocence et, plus généralement, de ses relations et intérêts personnels. Il est en outre justifié par la nécessité de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision du pouvoir judiciaire »
Au stade de l’enquête, aucun accès à la procédure n’est autorisé, sauf pour la personne en garde à vue et son avocat, mais uniquement pour certaines pièces telles que le procès-verbal de notification des droits, le certificat médical, ou les procès-verbaux d’auditions, sans pouvoir cependant en obtenir de copie.
En outre le mis en cause et la partie civile valablement constituée peuvent avoir accès à tout le dossier (mais pas de copie).
Les juges doivent tenir compte de deux impératifs a priori contradictoires et rechercher un équilibre.
D’un côté, celui du secret des sources des journalistes qui est la condition de la liberté de la presse, elle-même « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique ».
De l’autre, celui des dangers de certaines divulgations qui peuvent nuire à la vie privée, à la Défense nationale ou au bon déroulement des enquêtes et instructions pénales. Un équilibre doit être recherché entre ces deux impératifs dans un domaine où règne la casuistique.
Seulement la question énigmatique reste la suivante : comment les journalistes accèdent-ils à certaines informations considérées confidentielles ?
Dans un passé récent, deux agents de l’Administration pénitentiaire ont été arrêtés dans le cadre de la divulgation d’une correspondance du directeur de l’Administration pénitentiaire du Sénégal au Garde des sceaux, en lien avec l’état de santé du détenu Ousmane Sonko. Une telle situation est pour le moins choquante quand on s’imagine que des agents d’une administration aussi stratégique et sensible, se permettent de s’adonner au jeu des irresponsables de notre pays qui ont fini de tout désacraliser.
La liberté de la presse n’exclue pas, sauf mention ou dérogations très explicites, l’application des règles du droit commun, de portée plus générale aux journalistes. Il en est notamment ainsi des lois qui sont relatives au secret de l’enquête et de l’instruction, une modalité particulière du secret professionnel, et au recel de violation de secret, auxquels les journalistes ne devraient pas pouvoir prétendre opposer, pour cacher de telles pratiques, la protection de leurs sources d’information.
Les principes déontologiques doivent être respectés pour garantir l’exercice d’un journalisme responsable. Certes, c’est un intérêt légitime pour le public d’être informé et de s’informer sur les procédures en matière pénale et les articles relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire traitent d’un sujet d’intérêt général, mais la diffusion, dans une perspective sensationnaliste, d’informations issues d’une procédure en cours, pouvant perturber le cours des investigations, ne saurait être légitimée au nom du droit de la liberté d’expression.
Souvent les avocats font des conférences de presse sur le dossier de leur client mais je rappelle que même l’avocat est ainsi passible de poursuites sur le terrain disciplinaire et pénal sur le fondement de la violation du secret professionnel.
Il ne faut jamais oublier que le rôle du magistrat consiste à s’assurer que les libertés sont protégées, et notamment le secret professionnel des avocats. Par conséquent, il faut trouver le juste équilibre entre la recherche de la vérité et la protection des droits de la défense.
Régulièrement violé, le secret de l’enquête et de l’instruction mérite pour autant d’être maintenu et mieux protégé, tout en assurant un droit à l’information des citoyens par une meilleure communication de la justice.
Dans une société où l’image et l’information prédominent, les citoyens ont une exigence élevée en termes de transparence, notamment de la part des médias : tout savoir, tout de suite et avec le plus de détails possibles.
En effet avec le développement des réseaux sociaux, mais aussi des chaînes d’information, la tâche devient plus difficile. Ainsi, protéger des informations en vertu du secret de l’enquête ou de l’instruction peut apparaître comme une ingérence dans le droit à l’information.
Le secret de l’enquête et de l’instruction s’inscrit donc dans une logique avant tout protectrice des intérêts de chacun : protéger les preuves, les témoins, mais aussi les techniques d’enquêtes, qui, si elles sont révélées, peuvent priver les enquêteurs de certaines découvertes. Essayons de faire la part des choses.
Les journalistes et les rédacteurs en chef devraient être mieux formés pour relater les informations judiciaires et pour présenter au grand public les thématiques juridiques dans une forme compréhensible par tous.
Les universitaires devraient être incités à commenter les décisions judiciaires dans les journaux spécialisés dans le droit, voire même dans les médias.
Les organisations de la société civile devraient contribuer à informer sur les questions liées à la corruption judiciaire en surveillant l’impact de la corruption, ainsi que les indicateurs potentiels de corruption, tels que les retards et la qualité des décisions.
Les questions d’éthique deviennent de plus en plus urgentes, et touchent particulièrement les professions du droit et de la justice. Si elles ne sont pas une nouveauté dans le milieu juridique, les nouvelles exigences de transparence sont l’occasion de réinterroger les règles existantes et leurs limites.
La véritable transparence que les citoyens devraient atteindre du parquet financier c’est qu’il communique sur : Qui sont les gens concernés par la médiation pénale ? Combien ont-ils versé ? Qu’est-ce que le gouvernement compte faire de l’argent de nos deniers publics récupérés ?
Denis NDOUR Consultant en Droits Humains Vice-Président de la LSDH. . Email : denisndour@gmail.com

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