Sans eau ni électricité, il n’y a pas de Sénégal qui émerge! Par Dr. Ibrahima Gassama, Québec

Au regard de manière dont la gouvernance publique est menée actuellement au Sénégal, il y a lieu de se demander si nos responsables politiques ont le moindre souci de leurs responsabilités à l’endroit de la population qu’ils sont censés représenter.

Dans le monde actuel caractérisé par le recherche du progrès et de l’innovation, il n’est plus normal que les populations continuent encore de trimer pour un approvisionnement stable en électricité, pour la disponibilité de l’eau en quantité suffisante et pour des inondations mortelles. C’est en ma qualité d’observateur que je me suis permis de regarder dans cet article quelques points qui nous éloignent tous les jours d’un Sénégal « émergent » et d’une gouvernance que les tenants du pouvoir actuel affichent comme sobre et vertueuse.

Un approvisionnement de l’électricité en dents de scie

Pour un pays qui se veut émergent, la disponibilité de l’électricité en quantité suffisante est un facteur incontournable. La satisfaction de la demande en électricité est tellement importante dans le processus de développement que plusieurs économistes pensent que l’approvisionnement en cette denrée serait un indicateur sérieux pour mesurer le progrès économique d’un pays. La conjoncture mondiale favorable caractérisée par le faible coût des hydrocarbures devait être une belle occasion pour stabiliser les approvisionnements au Sénégal.

Cependant, les ruptures d’approvisionnement sont tellement récurrentes qu’il faudrait davantage chercher à y trouver des solutions efficaces sur la gestion de l’offre et de la demande : initier des politiques incitatives d’efficacité énergétique, continuer de diversifier le mix énergétique, chercher d’autres sources d’énergie comme le biogaz et la biomasse, etc.

Il serait difficile de faire du Sénégal un pays émergent si ce secteur vital n’est pas stabilisé; les investissements directs étrangers interviennent dans un climat des affaires favorable et la disponibilité suffisante de l’énergie en est un facteur central. Selon, les déclarations du gouvernement, le secteur est désormais bien géré et serait générateur de surplus d’exploitation. Toutefois, sur le terrain, il reste encore que les approvisionnements sont

loin du niveau qui satisfait la demande et qui ferait émerger le Sénégal. Les coupures régulières et intermittentes doivent faire l’objet d’une évaluation sérieuse sur la rentabilité et la compétitivité des entreprises au Sénégal. De cette manière, le pays serait plus outillé pour mesurer le chemin qui reste à parcourir pour cheminer vers l’émergence.

Gestion calamiteuse du secteur de l’eau

Le secteur de l’eau est sans aucun doute le celui qui témoigne le plus que le Sénégal d’aujourd’hui est très loin de l’émergence. Je pense qu’il n’est point besoin de démontrer ici pour un pays l’utilité de l’eau pour les besoins primaires de la population et leurs conditions de vie saine. En plus des pénuries récurrentes de la disponibilité de cette denrée précieuse en quantité suffisante partout au Sénégal, un autre problème qui m’a toujours torturé l’esprit réside dans la qualité de cette eau.

À mes deux derniers voyages au Sénégal, j’ai souvent observé la couleur de cette eau qui change régulièrement, à Dakar comme à Ziguinchor. À Dakar, les dépôts noirâtres du fond les bouteilles de Kirène quand l’eau est au repos et la couleur rougeâtre à Ziguinchor par intermittence

du débit a souvent piqué ma curiosité sur la composition de cette eau. Je pense que si la santé de la population est une préoccupation importante pour les autorités du Sénégal, une étude sérieuse doit être faite sur la composition de l’eau consommée par les Sénégalais ainsi que l’impact de ses composantes sur la santé publique; les conditions sanitaires et le bien-être de la population en dépendent largement.

Au-delà même d’une étude de type épidémiologique, c’est un audit complet de ce secteur qui doit être effectué au regard des multiples investissements qui y sont opérés sans que cela se traduise par une évolution de la satisfaction quantitative et qualitative de la demande. Le fait de voir nos mères et nos sœurs se promener partout avec des contenants de Kirène doit appartenir au passé, car aucun pays ne saurait émerger avec cette réalité. Il est bien évident que la gouvernance souffre dans ce secteur; des cas de mauvaise gestion y ont fait les choux gras de la presse ces dernières années.

Les inondations sont gérées de manière conjoncturelle

La question des inondations est également un problème récurrent pour un Sénégal qui se veut émergent. Toutefois, aucune solution sérieuse ne lui est encore trouvée par un aménagement scientifique et planifié du territoire. Cette question n’est point celui de discours politiques, mais plutôt une implication accrue d’ingénieurs du génie civil et d’hydrauliciens qui doivent proposer des solutions durables pour le pays. Il appartient donc aux autorités publiques de gérer ce secteur avec plus de sérieux et arrêter de proposer des solutions conjoncturelles pendant la saison de pluie.

Ainsi, malgré des annonces de milliards récurrentes, chaque année les résultats montrent que c’est un problème loin d’être résolu. Auparavant, la question était plus lancinante à Dakar, mais on se rend compte qu’elle est maintenant prégnante dans toutes les régions du Sénégal. Ceci témoigne d’une lacune apparente d’une stratégie cohérente de gestion du circuit de l’eau au Sénégal.

À la lumière de toutes ces questions qui s’adressent à des besoins primaires que les Sénégalais doivent d’abord satisfaire pour améliorer leur bien-être, il est clair que le mode de gouvernance actuel dans plusieurs secteurs est loin de faire émerger le Sénégal. Le cheminement vers l’émergence suppose que les politiques publiques cherchent d’abord à satisfaire les besoins de base de la population pour ensuite viser à transformer l’économie d’une manière plus structurelle. Toutefois, avec le manque de transparence de la gestion de la chose publique, l’absence d’imputabilité et de bilans concrets d’atteinte d’objectifs de développement, les Sénégalais sont plus « immergés » et sont loin de se situer dans une logique d’émergence.

Dr. Ibrahima Gassama, Québec

Économiste du développement durable au gouvernement du Québec

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