Réforme attendue du Code de la famille: Garder nos fondamentaux et s’ouvrir aux mutations sociales

Réforme attendue du Code de la famille: Garder nos fondamentaux et s’ouvrir aux mutations sociales

La famille sénégalaise est malade et a perdu depuis très longtemps sa capacité de protection, d’encadrement, de transmission et de production du citoyen modèle imbu des valeurs et vertus. Plusieurs facteurs explicatifs sont avancés par la recherche et l’observation empirique : le taux de divorce élevé, les mariages tardifs, les évolutions de la parentalité, l’absence des parents sous l’effet de la mobilité interne et externe qui s’est accentuée depuis une quarantaine d’années, l’explosion urbaine qui a induit la crise du logement familial et du cadre de vie, etc. Conçus en milieu rural, les modèles de famille sénégalaise formés au sein d’ethnies et de groupes divers sont tous confrontés au processus d’urbanisation et de globalisation. La crise de la famille est consubstantiellement liée à celle de la ville et aux évolutions de sa conception vers un modèle occidental et ses principes directeurs qui ont eu une influence très importante dans nos lois et institutions. 

L’intérêt renouvelé pour la famille comme facteur explicatif de la crise de la société sénégalaise est manifeste auprès des milieux religieux. De manière plus générale, à chaque cas d’infanticide, de vol, de problème de drogue, de banditisme ou de violence, la famille est interpelée et ses responsabilités rappelées. 

Le retour d’un ministère dédié conceptuellement à la famille sous le nouveau régime est sans doute une réponse à cette préoccupation centrale pour le bon fonctionnement de notre société et son avenir. Dans le même ordre d’idées, les assises de la justice initiées en mai 2024 par le Président Bassirou Diomaye Faye dans la foulée de son élection ont été l’occasion de revisiter les fondements juridiques de la famille et d’échanger sur les besoins d’adaptation aux mutations sociales que notre pays connait. 

Murid Institute qui est un think tank regroupant des chercheurs et intellectuels qui produisent des réflexions, positions documentées et des propositions pertinentes pour une meilleure prise en charge des préoccupations des croyants, considère que la question familiale dans ses différentes dimensions doit constituer un marqueur de la révolution sociétale à laquelle appelle avec insistance la notion de « rupture systémique ». 

En effet, la vraie révolution ne sera-t-elle pas de réconcilier les valeurs et les pratiques par des politiques publiques qui redonnent à la famille sa vocation de protection et de transmission des codes de notre culture légendaire de convivialité dans un contexte de révolution numérique qui redéfinit les liens entre les hommes, éloignant les proches et rapprochant les éloignés ?  Dans la même veine et pour reconstruire la famille, ne faudrait-il pas oser restreindre pour nos enfants les applications et outils qui les détruisent de l’intérieur et de manière insidieuse leur faisant embrasser des cultures qui sont aux antipodes de leurs valeurs religieuses et familiales (homosexualité, drogue, etc.) ?  

Mais pour retrouver une cohésion nationale, dans ses dimensions verticale (conjonction entre les composantes de la nation et leurs institutions), horizontale (renforcement des liens entre composantes sociales et religieuses entre elles) et transversale (prise en charge des problématiques sociétales au sein des institutions supérieures), il faut des mesures et stratégies pour reconnecter le sénégalais avec lui-même, ses principes et valeurs de civilisation tout en prenant en compte les adaptations nécessaires aux mutations sociales. Parmi les piliers de la nouvelle stratégie de récupération de notre souveraineté sur les questions sociétales, figurent en bonne place les instruments juridiques qui ont encadré les affaires civiles depuis l’indépendance. 

En effet, comment la justice peut être bien rendue pour des citoyens dont l’écrasante majorité ne comprend pas les principes et textes avec lesquels elle est jugée ? Quelle part de la religion dans l’ordonnancement judiciaire pour un pays à plus de 99% de croyants ? Comment se réapproprier une justice dont la philosophie, les outils, les codes sont issus d’un mimétisme colonial qui n’a jamais réellement été remise en question ou discuté ? Quels réformes ou changements sont attendus par les acteurs religieux dans le cadre d’une laïcité sénégalaise assumée sur le lien étroit entre les populations et leur religiosité ? 

En allant à ces assises, la plupart des acteurs religieux et notamment musulmans du Sénégal formulait l’espoir que des réponses à ces questions seraient trouvées. Il s’agissait notamment d’appeler à la revue du code de la famille qui depuis longtemps fait l’objet de vives contestations. D’une part, par des grandes figures musulmanes post-indépendances réunies au sein du Conseil Supérieur Islamique qui le considèrent sur certains points comme contraire à la charia. Les associations islamiques et divers groupes avaient également repris ce combat et alertaient régulièrement sur la nécessité d’emboiter ce texte à nos croyances et réalités religieuses et sociales. D’autre part, l’émergence dans l’espace public de revendications de groupes féministes radicaux, pointant du doigt ce qu’ils appellent le « patriarcat » et demandant à réformer dans le sens de leur idéologie ce même code. Entre les deux, des solutions doivent être recherchées pour rester sur nos fondamentaux sociétaux tout en adaptant les textes à des situations particulières où les enfants sont réellement les grands perdants. En effet, dans certains cas, la question de l’autorité parentale impacte négativement les conditions d’épanouissement et la vie quotidienne des enfants de familles dont les pères sont absents. 

Murid Institute, avant l’opérationnalisation des réformes prévues à la suite des assises de la justice, et dans une démarche contributive complémentaire, propose : 

  • La modification du Code de la famille de manière à permettre que les relations conjugales (mariage, divorce, etc.) des couples musulmans qui le demandent, soient régies par la législation musulmane à l’instar de ce qui existe dans le domaine de la succession
  • Le maintien des dispositions de l’article 305 du Code pénal sur l’avortement
  • La révision de tous les traités régionaux et internationaux ratifiés par le Sénégal pour faire les rectifications nécessaires possibles
  • A défaut de sa révision en baisse, le maintien de l’âge du mariage pour les filles à 16 ans (Code de la famille, Art. 111) tout en interdisant la consommation du mariage avant 18 ans
  • Le maintien des dispositions du Code de la famille relative à la puissance paternelle (Art. 156, 276, 277), car il y a toutes les garanties empêchant au père d’en abuser (Art. 277) tandis que l’exercice égalitaire des deux conjoints conduit inévitablement à l’instabilité et à des disputes au sein du ménage.
  • Le maintien des dispositions de l’article 211 du Code de la famille, relatives à l’établissement exceptionnel de la filiation paternelle

Ces propositions, pensons-nous représentent les plus légitimes et les plus largement partagées au sein des organisations religieuses musulmanes qui constituent les piliers du vivre ensemble sénégalais et de la stabilité sociale du pays. Elles éviteraient au Sénégal des lignes de rupture comme celles qui se présentent dans les pays de la sous-région, justifiant des revendications violentes. 

D’un point de vue plus général, après l’analyse des résultats des assises de la justice, Murid Institute appuie avec force les recommandations suivantes, notamment : 

  • Toutes les mesures visant à rendre la justice plus équitable et plus juste (2, 6, 7, 8, 10, 12, 13, 17, 20, 22)
  • Toutes les mesures visant à moderniser et à rendre la justice plus accessible et plus diligente (1, 4, 5, 11, 24, 25, 30)
  • L’adaptation de la justice et de ses coutumes à nos réalités socio-culturelles (23)
  • Le recours aux Cadi
  • La révision du rôle du procureur
  • une commission permanente de réforme des textes pour répondre aux besoins actuels de la société… » et composée de « magistrats de l’ordre judiciaire et de la Cour des comptes, de hauts fonctionnaires…de représentants de la société civile (chefs religieux, chefs coutumiers, laïcs) ». 

Parmi les recommandations, il y en a qui nous préoccupent, notamment : 

  • La révision en hausse de l’âge du mariage pour les filles
  • L’harmonisation des dispositions de l’article 305 du code pénal sur l’avortement avec celles du Protocole de Maputo »

Au-delà de ces préoccupations, nous recommandons : 

  • Pour le recours aux Cadi de manière plus organisée et plus systématique dans l’arsenal judiciaire pour un pluralisme de l’offre aux citoyens. Pour se faire nous proposons :
  • La création au sein du CFJ d’une filière pour la formation des Cadi. Et les recruter par voie de concours pour les titulaires d’au moins une licence (ou équivalent) dans une des disciplines des sciences islamiques 
  • La dotation des Cadi d’un statut leur conférant le même plan de carrière que les agents de l’Etat (magistrats ou équivalents)
  • L’utilisation des langues nationales pour que les justiciables puissent comprendre ce qui se décide sur leur sort 
  • La formation des magistrats : ajouter des modules sur la morale et la religion

Le contrat social sénégalais ainsi que le vivre ensemble dépendent d’un équilibre entre les institutions étatiques verticales mais également des autorités sociales et religieuses qui en constituent la dimension horizontale et les régulateurs. Il est donc important que dans la mise en œuvre des décisions et recommandations des assises de la justice, cette dimension religieuse soit mieux prise en compte parce qu’elle est consubstantielle à l’équilibre de la société sénégalaise. 

Dans un contexte décolonial et de souverainisme porté par un nouveau régime qui appelle à une rupture systémique par rapport à l’ordre établi depuis les indépendances, l’opportunité se présente de revisiter l’arsenal judiciaire (JUBBANTI) dans une démarche participative (JUBOO) et non conflictuelle, notamment sur les questions sociétales dont la famille représente le générateur. Le code de la famille actuel ne satisfait personne et sa réforme est souhaitée par toutes les parties prenantes. 

Au demeurant, la souveraineté juridique de notre pays ne s’accommode pas de la signature à tout bout de champs de traités et accords internationaux sans concertation préalable avec les forces vives de la nation sur lesquelles ils doivent s’exercer, et sans une démarche tenant compte des valeurs et vertus spécifiques de notre société. L’opérationnalisation des conclusions des assises de la justice doit être une opportunité de corriger les décalages de nos réalités sociales avec ces législations conçues dans une vision universaliste et hégémoniste, et éviter ainsi des lignes de fracture qui constitueraient des risques pour notre cohésion sociale. 

Murid Institute

Fait à Dakar, le 17 janvier 2025

2 COMMENTAIRES
  • Lamine Diop

    Pour être plus sérieux !

    Le Sénégal est séculairement laïc et le restera.
    Aucun fou de Dieu ne changera cela.

  • Lamine Diop

    Français décolonial 2, 4, 6, 8 SVP !

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