Contribution d’un Inspecteur de la jeunesse sur la problématique de l’emploi et de l’insertion des jeunes au Sénégal La question de l’emploi et de l’insertion des jeunes nous occupe et nous préoccupe fondamentalement.
D’emblée, il sied de lever certaines ambiguïtés relatives aux misions du Ministère de la Jeunesse, à qui on attribue fréquemment, à tort, la mise en œuvre de la politique de l’emploi des jeunes. Aux termes de l’article premier du décret n° 2020-2220, le Ministère de la Jeunesse prépare et met en œuvre la politique définie par le Chef de l’Etat en matière de jeunesse, de promotion de l’entreprenariat des jeunes et de promotion des valeurs civiques et du volontariat.
Toutefois, en tant que département dédié aux jeunes dans toute leur diversité, le Ministère de la Jeunesse reste sensible et concerné par toutes les préoccupations de cette entité de la population et est indubitablement soucieux de ce fléau que constitue le chômage des jeunes.
Je tiens à dire ici que je crois en la valeur de l’emploi et j’ai toujours milité en faveur de l’insertion des jeunes. Les raisons de cette croyance sont nombreuses. Je vais en retenir deux. D’abord le travail nous éloigne de certains vices. Ensuite, il permet l’épanouissement de soi et la préservation de sa dignité humaine. C’est pourquoi, cette réflexion nationale entamée pour trouver une solution au chômage des jeunes me conforte dans ma pensée de tous les jours.
Au Sénégal, la problématique de l’emploi et de l’insertion des jeunes est vielle de plusieurs décennies. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, même si la question se pose aujourd’hui avec une certaine acuité. Paradoxalement et/ou étonnamment, la promotion de l’emploi des jeunes est le domaine le plus concurrencé en matière de politiques publiques. En atteste l’existence à foison de structures dédiées à l’employabilité et à l’emploi des jeunes. Cependant, force est de constater pour y remédier que les résultats escomptés n’ont pas toujours été à la hauteur des espoirs ayant prévalu à leur création.
Cette réflexion vise à soulever d’une part les écueils à l’emploi et l’insertion des jeunes et à dégager d’autre part, des solutions durables à la problématique de l’emploi et de l’insertion des jeunes au Sénégal.
Les handicaps ou obstacles à l’emploi et à l’insertion des jeunes reposent sur deux piliers solidement ancrés dans notre mémoire collective. Ils ont trait à la rareté de l’emploi et lorsqu’il existe se pose le problème de l’inadéquation du profil du demandeur à l’emploi disponible. Malheureusement, la conception déformée de l’idée d’emploi au Sénégal pousse à croire, que le travail ne doit et ne peut se faire que dans un bureau climatisé avec une cravate soigneusement nouée autour de la gorge. Cela constitue un frein majeur et empêche les jeunes à explorer d’autres pistes propices à leur insertion dans le tissu économique. Beaucoup de jeunes ne veulent pas se départir du syndrome de « l’emploi bureautisé ». En 2016 par exemple, après des études supérieures à l’université
Gaston BERGER de Saint louis, j’avais décidé d’investir mon dernier rappel de bourse dans la vente de crème glacée. Au même moment, mon CV était envoyé un peu partout garnissant probablement le bureau des courriers et mon diplôme de DEA en droit bien rangé dans les tiroirs. Ce cas loin d’être particulier, est le legs commun à tous les étudiants fraichement sortis de l’université et qui se refusent à rester chez eux à ne rien faire. Pourtant, un dispositif important a été mis en place pour accompagner les jeunes dans leur insertion. On peut citer sans exhaustivité : l’ANPEJ, la DER/FJ, l’ONFP, les 3FPT, le FONGIP, le PRODAC, l’ADEPME…
Nonobstant tous ces outils qui a priori doivent faciliter l’emploi et l’insertion des jeunes, beaucoup de contraintes obstruent la volonté déclarée des pouvoirs publics à résorber le chômage des jeunes. Parmi ces contraintes, il y’a l’absence de visibilité des réalisations de l’Etat en matière de promotion de l’emploi des jeunes, un secteur privé pas suffisamment fort, la lourdeur des canevas de projets et la lenteur dans les procédures de décaissement des financements par les institutions bancaires ou de micro-crédits, l’épineuse équation du suivi et de la pérennisation des projets et programmes, l’absence d’harmonisation des interventions des projets, programmes ou agences pour le financement des jeunes, la non identification des pôles d’intérêts dans les localités et la réduction de la question de l’emploi et de l’insertion des jeunes au simple financement.
L’emploi et l’insertion des jeunes est un problème sérieux auquel il est impératif de trouver des solutions adaptées et pérennes. Ceci nous permet de déconstruire certaines idées réductrices et très éloignées de la réalité lorsque vient le moment de la recherche d’emploi. A chaque fois qu’il s’est agi de justifier le chômage des jeunes, le premier argument est l’inadéquation entre les formations dispensées et les offres sur le marché de l’emploi. Quand bien même le demandeur disposerait de la formation requise, ses chances sont inexistantes du seul fait de son manque d’expérience professionnelle.
Ce critère exclusif rompt avec la démocratisation de l’obtention d’emploi. C’est pourquoi, il est plus que nécessaire de privilégier le système du « learning by doing » en le commençant dès la formation alliant théorie et pratique dans le milieu professionnel. De même, le problème de l’emploi des jeunes devrait trouver une issue favorable à travers une approche locale au détriment d’une approche globale systématique.
Cela suggère une tropicalisation voire une territorialisation de la politique de l’emploi et de l’insertion des jeunes. Cette conception amène à se focaliser de prime abord sur les potentialités et opportunités d’emploi et d’insertion offertes aux jeunes dans leurs localités respectives. On se rendra aisément compte qu’à Kédougou par exemple, nous avons des terres fertiles et une bonne pluviométrie, un fleuve Sénégambie qui ne tarit pas. Par conséquent, l’agrobusiness y serait un secteur pourvoyeur d’emplois et porteur de développement. La même expérience pourrait être reproduite dans les autres régions en fonction de leurs spécificités.
La solution au problème de chômage des jeunes est également la mise à contribution du secteur privé et des collectivités territoriales. Dans chaque localité, devrait être établi un répertoire des offres d’emplois disponibles et un autre répertoire des demandeurs d’emplois géré par un comité ad hoc. L’objectif est d’avoir un aperçu sur le flux de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi et permettre aux employeurs en fonction de leurs besoins de privilégier la main d’œuvre existante.
La solution réside aussi dans le financement. Cependant, il semble judicieux de préciser que le financement est des fois une fausse solution au véritable problème diagnostiqué. En effet, le financement est un aboutissement d’un long processus qui nécessairement doit respecter les étapes de la formation et de la formalisation. Tout financement qui déroge à cette règle est voué à l’échec.
Du moins, le risque encouru d’échec sera plus élevé que la réussite espérée. Les fonds de financement sont souvent détournés vers d’autres objectifs jamais dévoilés au moment de la demande. Leur recouvrement soulève un certain nombre de difficultés. Les exemples sont d’ailleurs légion. C’est la raison pour laquelle, le travail des mécanismes de financement mis en place par l’Etat est souvent occulté. Ce qui fait que leur impact recherché est difficilement ou pas du tout atteint malgré la pertinence qui sous-tend leur initiative.
Dans le cadre du financement des projets, pourrait être expérimentée la mise en place dans chaque région d’un Fonds d’Appui à la Promotion de la Formation et de l’Insertion des Jeunes (FAPFIJ).
Plusieurs projets et programmes assurément ambitieux, réalistes et réalisables en faveur de l’emploi et de l’insertion des jeunes existent. Certains dans leur format actuel doivent être évalués, revigorés et redynamisés pour jouer pleinement leur rôle. Par ailleurs, l’implication active des techniciens de la jeunesse notamment les Inspecteurs de la jeunesse est plus que nécessaire. Ils doivent être au cœur du dispositif dans la mise en œuvre des politiques de jeunesse.
En définitive, la réflexion sur la problématique de l’emploi et de l’insertion des jeunes est un sujet vaste auquel chacun se doit d’apporter sa contribution éclairée. Sur ce sentier sinueux, les techniciens de la jeunesse doivent fermement tenir le flambeau qui éclaire la voie. La jeunesse est l’avenir de demain et on ne le dira jamais assez. La seule préoccupation qui vaille est de faire de telle sorte à éviter le désespoir qui anime certains jeunes. Parce que le désespoir est mobilisateur et lorsqu’il devient mobilisateur, il est dangereux.