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Noël, le Monothéisme et son histoire, Par Dr. Ndiakhat NGOM*

La communauté chrétienne célèbre la fête de la nativité qui consacre le début de la mission du Christ sur terre, comme beaucoup d’autres prophètes avant lui, et celui de l’Islam, 7 siècles après lui. C’est dire la profonde relation de continuité, pour ne pas dire fusionnelle, au niveau du monothéisme. C’est cette relation qui est modestement l’objet de la présente contribution.

D’abord, il faut rappeler que les religions talmudiques, chrétiennes et islamiques sont nées dans une aire géographique désertique (la péninsule arabique) et véhiculent dans leur Livre respectif une forte symbolique agro-pastorale. Les Sémites, ancêtres des Israéliens, étaient des semi nomades et éleveurs de moutons, alors que Jésus était un paysan galiléen. D’où la présentation de Dieu, aussi bien dans la Thora (Ancien Testament) que dans la Bible (Nouveau Testament), comme un berger et les élus comme un troupeau. Cela est valable pour l’Islam, car le Prophète (PsL) et ses compagnons étaient des caravaniers et nomades.L’apparition des trois religions monothéistes dans cet espace (le désert) propice au retrait, à la concentration et à la méditation n’est pas fortuite. A y regarder de près, les maximes et les leçons de vie des trois Textes sacrés sont universelles, parce que destinées à tous les hommes.

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S’il est vrai que l’Ancien Testament (ou ancienne Alliance) traduit la relation privilégiée voire fusionnelle entre Dieu et le « peuple élu » (Israël), celle-ci demeurerait floue si l’on ne prend pas en compte l’histoire mouvementée du peuple juif, depuis l’émergence d’Israël dans l’Histoire (vers -1200), en passant par la première destruction du temple (vers -587) jusqu’à la dispersion des juifs en Mésopotamie et en Egypte (avec 400 ans d’esclavage). Vraisemblablement, la rédaction de l’Ancien Testament s’est faite à cette époque (-538) avec l’émergence des premiers prophètes. Les religions du Livre ont ceci de commun qu’elles ont toutes emprunté le chemin sinueux de la douleur, celui de la souffrance. La similitude de lecture de la douleur comme « cadeau de Dieu » y est frappante. Elle est ce qui permet de comprendre, à Jérusalem, la capture du Christ par les Romains (avec la complicité de Judas, des grands prêtres et des pharisiens), qui s’est dénouée tragiquement avec le récit de la Passion (crucifixion). II en est de même, 7 siècles plus tard, avec les guerres entre Mohammed (PsL) et les « païens », avec les événements douloureux, comme l’Hégire ou les batailles meurtrières, comme Uhud.

Curieusement, la proximité culturelle entre ces discours ayant comme fond commun Abraham n’a pas empêché une correspondance, disons, imparfaite entre le Texte et sa trajectoire historique. L’homogénéité entre la culture juive et le discours que celle-ci tient sur elle-même (réflexivité) semble plus marquée que les deux autres Livres face à leur propre histoire, et cela semble tenir à des considérations historiques. En dehors d’Israël, le Judaïsme se pratique essentiellement au niveau de sa diaspora, entre juifs Ashkénazes (Europe du nord, de l’est) et juifs Séfarades (Afrique du nord, péninsule ibérique). Mais il n’y a pas un écart cultuel majeur entre pratiquants, outre l’orthodoxie rabbinique très conservatrice, et proche de la droite israélienne (Likoud). En revanche la situation des deux autres religions nées sur ses flancs est plus complexe. Le Christianisme et l’Islam se sont propagés en dehors de leur contrée et ont embrassé des peuples et cultures lointains et hétérogènes.Ce qui pourrait participer à leur « éclatement » (songez ici à l’expression « islam noir » ou confrérique). Mais motiver cette fissure par la seule différence de culture constitue une illusion dont il faut se dépêtrer. La vie et l’œuvre de Jésus ne nous sont parvenus que grâce aux Evangiles, Mathieu, Luc, Marc et Jean. Ces derniers ne sont pas ses compagnons. Ce sont les apôtres (équivalents des Saabas chez le Prophète (PsL)), au nombre de douze, qui le sont. Une ou deux générations (25-50 ans) ou moins les séparent.

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II est probable que les Evangiles ne sont pas l’œuvre d’une seule personne, mais celle de plusieurs regroupées autour d’une figure emblématique qui porte son nom. En outre, elles étaient orales avant d’être transcrites progressivement avec le temps.Pas de façon linéaire, mais selon un processus discontinu qui passe de leur transcription de l’hébreu en grec septante, avec tout ce que cela comporte évidemment comme difficultés. Songez ici à la polémique linguistique relative à la prophétie d’Isaïe (7,14) avec le mot hébreu « almah » traduit improprement, selon certains exégètes, par le grec « parthenos ».Le travail de compilation des textes du christianisme a suscité une approche différentialiste entre textes dits « officiels » ou « canoniques » (les quatre Evangiles) et ceux dits « apocryphes » (Pierre et Thomas). Ces derniers seront censurés parce que jugés peu crédibles aux yeux des docteurs de l’Eglise. A ce propos, la quatrième Evangile (Jean) a échappé de peu à cette censure, et est légèrement décalée par rapport aux trois autres appelées « synoptiques » ou « autonomes ». Pour l’islam, c’est Ubbay qui était le plus connu des secrétaires(scribes) du Prophète (PsL) et qui se chargeait de cette tâche fondatrice de pans entiers de l’Histoire. En outre, du vivant de Jésus et du Prophète (PsL), ni la Bible ni le Coran n’avaient le support ou forme officielle que nous connaissons aujourd’hui.

A l’instar du Christianisme, les premiers textes de l’Islam étaient des scripts rudimentaires constitués de papyrus ou peaux ou omoplates de chameaux sur lesquels était notée la parole de Dieu inspirée au Prophète (PsL). Dans certains cas, l’oralité avait également droit de cité avec certains de ses anciens compagnons, tel Ibn Malick(le plus vieux d’entre eux). A la disparition du Prophète (PsL), en 632, deux versions s’opposent. L’une, pessimiste, défend la thèse qu’une vive inquiétude aurait gagné les esprits.On s’inquiétait en effet du devenir de la future Ummah, suite aux velléités de dissidence (ridda) de certaines tribus arabes menaçant de retourner au paganisme. L’autre camp, plus optimiste,défend la thèse inverse, en soutenant que non seulement la Révélation était achevée en 632, mais que les matériaux rudimentaires sur lesquels était consignés le Coran (et pouvant être affectés par l’érosion du temps) avaient été bien conservés.

C’est d’abord Omar. B. Khattab, second calife (634-644) et père d’Afsa, qui conseilla à Abu Bakr(premier calife (632-634) et père d’Aïcha) la compilation définitive de ces fragments sur lesquels était transcrite la parole d’Allah. Abu Bakr aurait tergiversé pendant son califat (2 ans) avant qu’Uthman (3e Calife) ne se charge de ce travail historique remarquable. Certains exégètes affirment qu’on lui doit la version moderne du Coran. Parallèlement, il existe aussi au niveau del’Islamdes textes censés apporter des éclairages sur la vie du prophète (hadiths). Deux siècles plus tard (IXe siècle), le recensement de ces hadiths a débuté, mais s’est révélée longue et fastidieuse, comme l’ont été les Evangiles, sept siècles auparavant.

Si, à partir du IIe siècle, les docteurs de l’Eglise sont intervenus pour différencier les vraies des fausses Evangiles, au niveau de l’islam (mais sur un autre niveau), il s’est trouvé de brillants intellectuels, tel le fameux Boukhari (en 194), pour parcourir les grandes villes et universités du monde arabe et procéder à la recension des hadiths. A l’époque du Prophète (PsL) en effet, il était de bon ton de se réclamer de sa famille, ou de jurer avoir un parent lointain qui l’aurait entendu se prononcer sur telle ou telle question. Ces foisonnants récits et souvent contradictoires rapportés selon les générations nécessitaient un travail de compilation, et surtout,  d’authentificationpour faire le tri entre vrais et faux hadiths.Après en avoir recensé près de 600000 (596000 précisément), et interviewé 1080 personnes, Boukhari procède à une première évaluation critique pour ne retenir que 7275. Mais ce nombre recèle des hadiths dits « répétitifs », et à la suite d’une seconde approche bien minutieuse, il en authentifie finalement près de 4000 qui serviront de base à l’herméneutique moderne des sciences religieuses (Fiqh), dont il a été lui-même (il faut le dire) un des précurseurs en sciences islamiques. Toutefois, certains hadiths authentifiés étaient rejetés par Aicha. Ce qui pouvait compliquer considérablement le travail d’exégèse. (A SUIVRE)

* Pr de Philosophie et de sciences politiques

Ancien Consultant à l’Unesco.

ndiakhatngom@gmail.com

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