Mettre de l’ordre dans la publicité (Par Jean Meïssa Diop)

Qui, au Sénégal, mettra ordre et orthodoxie dans le secteur de la publicité et quand le ferait-on ? Il y a tant à dire, surtout de ces réclames entendues sur les chaînes de radio et vues sur les chaînes de télévision… Ce n’est pas tant des aspects moraux et sanitaires de certains produits que de l’exactitude de certaines proclamations et déclarations qu’il s’agit.

La publicité d’un de ces arômes destinés agrémenter les plats affirme que le condiment en question est « utilisé par les plus grands restaurants du monde » (sic). Une publicité d’autant plus mensongère qu’il est peu probable que ceux des restaurants à réputation, soucieux de leur image et sûrs de leur créativité gastronomique s’aventurent à agrémenter leurs recettes avec des mixtures aromatiques hypersalées vendues à grand renfort de publicité aux pauvres ménagères de pays du Tiers-Monde peu soucieux de la santé des consommateurs.

Que dire de l’exactitude d’un message publicitaire quand un produit, un service sont proclamés « numéro 1 » par le modeste sens de la créativité d’un publicitaire qui, de surcroît, ne voit peser sur sa tête aucune épée de Damoclès d’une autorité de régulation, encore moins d’un code très strict. C’est cela le problème que pose le secteur au Sénégal où la publicité est encore régie par des textes d’une obsolescence inouïe.

C’est à voir s’il existe encore un « Bureau de la publicité » au ministère de la Communication. Si oui, il ne fait pas du tout son travail avec la satisfaction et la rigueur en vigueur dans des pays comme la Côte d’Ivoire où aucun message publicitaire ne peut être diffusé sur une chaîne de radio ou de télévision du paysage audiovisuel ivoirien sans le visa du Conseil supérieur de la publicité (Csp).

Là-bas, la régulation (Csp) autant que l’autorégulation (les annonceurs et les publicitaires) existent et s’acquittent de leurs missions dans l’intérêt du public. Alors que l’une veille en aval, les autres sont vigilantes en amont. Et c’est ainsi que sera, par exemple, interdite de diffusion à la télé un spot mettant en scène un écolier mangeant en classe un morceau de pain nappé à un certaine margarine dont on a voulu vendre les qualités nutritives et gastronomiques.

A comparer avec cette salle de classe sénégalaise où des élèves sont présentés comme intelligents pour avoir mangé des chips d’une certaine marque. Au Sénégal aussi, une marque de cahiers est vantée comme étant celle qui fait « les bons élèves ». Autrement dit, en utilisant ces cahiers « enchantés », l’écolier n’a plus d’effort intrinsèque à faire pour réussir. Ou alors, il est appliqué, soigné, discipliné etc. parce qu’il utilise les cahiers « magiques ». Dans notre pays, il n’y a aucune structure de régulation ni d’autorégulation publicitaire pour faire barrage au déferlement de la pub qui nous ment.

Dans des pays comme la France, l’exactitude du contenu du message publicitaire doit se prouver devant le Bureau de vérification de la publicité (Bvp, une structure de régulation de la pub qui dissuade toute propension à se faire déclarer « Numéro 1 » par un publicitaire peu ou pas du tout soucieux d’éthique et de déontologie. Et/ou qui se tamponne de la vérité pour peu que se garnisse son carnet de commande).

Malgré le tollé soulevé par ses mises en demeure aux chaînes de télévision diffusant des messages publicitaires vendant des produits dépigmentants, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel peut être crédité d’une bonne foi. On aurait pu faire l’économie des mesures prises par l’organe de régulation s’il y avait une autorité régissant le secteur de la publicité. La dernière activité publique de la précédente équipe du Cnra a été la tenue, les 6 et 7 août 2018, à Dakar, d’un « atelier de concertations et de partage » sur les communications commerciales (prenant en compte la question du secteur de la publicité au Sénégal).

« Dans un contexte marqué par un total dérèglement du secteur de la publicité qui brasse pourtant des dizaines de milliards de francs Cfa annuellement, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) entend lancer une réflexion inclusive avec les acteurs, les institutions concernées, la Société civile, les médias et des instituts universitaires de formation, expliquait un communiqué du Cnra repris par la presse. »

« Un tel atelier poursuivit le communiqué, impacte autant l’économie nationale que la société dans ses représentations, notamment à travers les médias, Le constat est fait : les Sénégalais ont une prononcée aux annonces publicitaires. Les Pme du secteur jouent un rôle conséquent sur les créations d’emplois et d’emplois ». Les constats et conclusions faits lors de ce forum ne méritent pas de s’empoussiérer dans des tiroirs.

Jean Meïssa DIOP

Post-scriptum : Cet « Avis d’inexpert » est désormais – et de nouveau – publié dans les colonnes de Wal Fadjri. Il s’agit d’un retour au Groupe Walf où cette chronique est né. Il s’agit aussi de ce retour décidé sur les suggestions d’amis de ce groupe de presse pour un accompagnement après les épreuves douloureuses qu’il a connues. Un devoir moral et de solidarité, en somme.
Walf Quotidien n° 8341 du 16 janvier 2020

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