Médiation Russie-Ukraine : Un mauvais traité de paix vaudra toujours mieux qu’une bonne guerre nucléaire

La médiation de chefs d’état africains dans le conflit russo-ukrainien marque une étape importante dans la recherche de solutions pacifiques à ce conflit qui pollue les relations internationales. Une initiative africaine dans cette partie du monde pour trouver des solutions à des conflits armées n’est pas inédite. Pendant le conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo avait été nommé par l’Union européenne(UE) en tant que médiateur. Plus récemment, en 2014, lors des premières tensions entre l’Ukraine et la Fédération de Russie nées des suites du mouvement« Euromaïden »,l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki avait été nommé par l’Union africaine(UA) comme médiateur pour faciliter les pourparlers entre les différentes parties.

Pour remonter   plus loin, dans les années 90,l’OUA (ancêtre de l’actuelle UA)avait nommé un groupe de médiation composé de cinq anciens chefs d’État africain pour travailler sur la résolution du conflit en Bosnie-Herzégovine.

Les médiateurs africains ont participé aux négociations de paix, notamment lors des pourparlers de paix de Dayton en1995 qui ont abouti aux accords de paix de Dayton.Ces exemples montrent que des acteurs africains ont souvent été impliqués dans la recherche de solutions dans les conflits qui ont secoué cette partie de l’Europe apportant leur expérience et leur expertise.

Ce qui rend, cependant, l’initiative actuelle de médiation à laquelle prend  part le Sénégal, nécessaire voire urgente ,c’est la nature même des belligérants. Ils s‘agitent effet d’un conflit entre deux pays dotés de la technologie nucléaire, civile pour l’un militaire et civile pour l’autre et dont les responsables exécutifs ont tous les deux brandi la menace d’une« apocalypse nucléaire ».Kiev étant à3h du Caire, il apparait clair que jamais dans l’histoire de  l’humanité, le risque nucléaire n’avait été aussi proche du continent africain. 

Autre facteur qui rend cette médiation africaine primordiale est la place stratégique occupée aussi bien par la Russie que par l’Ukraine sur les marchés internationaux des matières premières. Toutes deux sont en effet de grandes exportatrices de produits tels que le blé et les céréales, le pétrole, le gaz naturel, le charbon, l’or et d’autres métaux précieux.

De nombreuses économies africaines tirent l’essentiel de leurs ressources du marché des matières premières or ce conflit a entraîné une extrême volatilité de ce marché. Par ailleurs, la guerre a affecté à la fois le système mondial de production et les chaînes de distribution internationale faisant grimper les prix notamment des produits agro-alimentaires et d’équipement.

La situation a été qualifiée de « catastrophique » par de nombreux pays, notamment les plus pauvres. Ainsi, les pays africains subissent une triple sanction économique suite à des chocs exogènes. D’abord, elles sont exsangues suite à la Covid19ensuite leurs capacités de mobilisation de ressources sont restreintes et enfin leurs besoins en approvisionnement sont sujets à des contraintes.

Les risques sécuritaires et   économiques que ce conflit fait peser sur le continent peuvent être une tentative d’explication à cette dynamique africaine de recherche d’une solution rapide à ce conflit. Il est clair qu’en l’état actuel des choses, pour les pays africains, un mauvais traité de paix entre la Russie et l’Ukraine vaudra toujours mieux qu’une bonne guerre nucléaire qui enterrera les économies mondiales.

Maintenant, il faut avoir la lucidité de reconnaitre que les chances de succès de cette première médiation sont minces mais elle aura, au moins, eu le mérite d’exister et de permettre au reste du monde de mettre les parties prenantes actuelles du conflit face à leurs responsabilités. Cette médiation pose ainsi les premiers pays vers la constitution d’un groupe de contact neutre et impartial pour arriver à des solutions rapides.

La situation actuelle est aussi intéressante pour les pays africains en ce qu’elle constitue une réponse cinglante envoyée au Président français Emmanuel Macron qui avait « décrié »en son temps une supposée« hypocrisie »africaine dans ce conflit. En étant acceptés par les deux belligérants directs comme médiateurs et donc comme partenaires objectifs et impartiaux, les pays africains répondent au président Macron de manière directe et le renvoi en t à l’apprentissage de la diplomatie du 21éme siècle.

Cette médiation traduit également une redistribution des cartes au niveau de la géopolitique mondiale et africaine. Au niveau mondial, elle préfigure dorénavant des positions africaines d’objectivité, de neutralité et d’impartialité dans les grands conflits internationaux actuels ou à venir notamment ceux qui ne manqueront pas de survenir autour de l’océan pacifique. Au niveau africain, la répartition des délégations à travers le continent notamment la zonation par grands blocs continentaux, permet de noter que le Sénégal se présente dorénavant comme un maillon essentiel dans la nouvelle stratégie africaine de définition d’un nouvel équilibre mondial.

PapaAbdoulayeDIOP

Docteur en Economie–Spécialiste des Risques émergents

Directeur du magazine géopolitique Afrik Résilience

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