Massalikul: Une conquête de plus pour une confrérie au fabuleux destin

La Grande Mosquée, Massalikul Jinaan sera inaugurée ce vendredi 27 septembre à Colobane (dans la capitale Sénégalaise) où trône l’édifice religieux dont le coût est estimé à plus de 20 milliards de F Cfa. Pour l’heure, c’est l’effervescence chez les disciples du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Le Secrétaire Général du Cadre Unitaire de l’Islam au Sénégal, Cheikh Gueye en a profité pour épiloguer sur la quintessence de ce lieu de culte.

« Massalikul Jinaane : symbole sublime d’une résistance culturelle par les valeurs islamiques

La mosquée est pour les musulmans et l’Islam, religion la plus dynamique du monde, une hiérophanie incontournable qui a accompagné ses conquêtes et avancées partout dans le monde. Outre la mosquée de Médine qui est une des premières conquêtes de l’Islam naissant, toutes les étapes de l’affirmation de l’Islam ont été marquées par la construction de mosquées qui donnent à ces nouveaux territoires conquis une charge mémorielle, cultuelle, scientifique, éducative, sociale reflétée dans l’architecture et la monumentalité.
Dakar est démographiquement la première ville du Sénégal mais également avec Touba le premier lieu de concentration des Mourides. Même si les mourides la considèrent essentiellement comme un espace de travail, ils y passent la plupart de leur temps, y mènent des activités religieuses toute l’année et développent en son sein des stratégies d’implantation depuis le début du 20ème siècle. La mosquée Massalikul Jinaane est avant tout une aspiration et une conquête des mourides en particulier et des musulmans sénégalais sur cet espace d’anonymisation que constitue la capitale sénégalaise. Il marque l’appropriation définitive par les Mourides de cette capitale choisie par l’autorité coloniale pour abriter ses institutions politiques laïques, ses infrastructures économiques et culturelles extraverties et hégémoniques. Massalikul Jinaane constitue ainsi une marque dans l’histoire du Sénégal, une nouvelle étape dans la conquête de notre indépendance, un lieu de résilience culturelle. Ce qui a fait pendant longtemps, la particularité des Mourides, c’est également leur faculté à se recentrer symboliquement et concrètement sur le lieu saint de Touba, à jouer dans ces entre-deux pour valoriser et légitimer une certaine pratique nomade du religieux. Sous ce rapport, Massalikul Jinaane consacre la réalisation d’un AXE TOUBA-DAKAR désormais structuré par l’autoroute Ilaa Touba qui facilite le mouvement pendulaire entre les deux villes phares du Sénégal.

Massalikal Jinaan : creuset de convergence et de vivification du savoir islamique

Mais cette mosquée est construite dans une ville qui représente la capitale de tous les sénégalais et le lieu de convergence des musulmans. Dakar est également démographiquement (plus de 4 millions d’habitants) la première concentration des musulmans sénégalais de toute obédience mais également celle des mourides. Y créer les conditions et y construire une mosquée aussi majestueuse sans l’aide extérieure était un défi plein de symbole intéressant et utile pour notre pays et sa jeunesse. Massalikoul Jinaane devient ainsi la plus grande mosquée de Dakar et fait la fierté des autres confréries et des associations islamiques qui l’ont exprimé au diawrigne Mbakiyou Faye, représentant du khalife général lors de la visite du Cadre Unitaire de l’Islam au Sénégal qui a permis à son Président Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Amin de féliciter toutes les autorités de la confrérie mouride. Cette mosquée incarne donc également le modèle sénégalais de tolérance et de vivre ensemble et son appropriation par les autres courants islamiques pourra contribuer à en faire un creuset d’excellence cultuelle et de vivification du savoir islamique.

La muridiyya, une capacité d’adaptation à toute épreuve

Les Mourides sont les membres d’une confrérie musulmane née au Sénégal à la fin du XIXe siècle, projet religieux fondé autour du dogme islamique et de l’action d’un homme, Cheikh Ahmadou Bamba, qui s’est imposé comme une figure de proue, un nouveau repère, une personnalité tutélaire pour une partie importante de la société sénégalaise. Ils représentent désormais plus du 1/3 de la population du pays. Le premier territoire de la confrérie fut rural. C’est dans ce milieu qu’elle a conçu ses premières structures d’encadrement et qu’elle s’est donnée un esprit de conquête et une relative cohésion qui se sont traduits par un dynamisme agricole auquel on les a souvent identifiés (Copans, 1988). Mais l’urbanisation accélérée, dont l’une des causes était la crise de la paysannerie, allait révéler une autre facette des Mourides : leur capacité d’appropriation d’autres territoires et d’autres réalités. On a pensé pendant longtemps qu’ils n’étaient nullement préparés à la diversité et à la complexité des activités économiques urbaines dont ils contrôlent à présent l’essentiel dans toutes les villes sénégalaises : le commerce, le transport, l’artisanat, la micro finance, etc. Depuis une vingtaine d’années, les territoires économiques des Mourides se sont diversifiés avec l’insertion dans les filières commerciales sous-régionales et mondiales, la migration internationale, l’import-export, l’industrie, etc. Mais au-delà de l’économique, les Mourides conquièrent de plus en plus d’autres sphères : la politique, les territoires virtuels d’Internet, la diplomatie, etc.

Réussite

La réussite économique mouride participe pleinement de l’invention de la confrérie, qui se donne ainsi les moyens de sa crédibilité et ceux de confronter la représentation idéalisée d’elle-même à la réalité. Cette invention continue se fait par emprunts, innovations modernisantes, interprétations nouvelles tout autant que par l’appel à la mémoire propre de la confrérie et de son histoire. Elle procède d’accumulations successives et d’emboîtement d’activités différentes. Itinéraires religieux et économiques se recoupent ainsi, jusqu’à tisser la trame de relations sociales complexes.
La confrérie mouride est l’un des groupes emblématiques et porteurs de cette évolution. Devenue un mouvement socio-religieux migrant, elle a pris une envergure nationale par les milieux ruraux et les milieux urbains, puis internationale en intégrant les interstices d’une économie mondiale dont on dit pourtant qu’elle est globalisante et dominatrice. Je le souligne, les Mourides s’inscrivent dans une logique de participation active à la mondialisation dont ils surfent sur la vague. La confrérie « s’aménage des ouvertures dans la culture transnationale, s’y glisse et y négocie sa part, avec des règles et des pratiques commerciales souterraines. . . en lui imprimant de nouveaux points d’inflexion, en le sommant de transiger avec de nouveaux acteurs, de nouvelles opérations et des formes inédites et flexibles d’accumulation ». Mais cette logique inclut dans la même mouvance un enfermement du symbole dans un souci contradictoire mais nécessaire, de recentrer la spiritualité et le sacré pour mieux les diffuser. C’est par ce mécanisme que la confrérie a pu concilier sa transnationalisation – qui a ordonné un territoire aussi étendu et diffusé le fait mouride au-delà de son espace de prédilection – et la logique d’agglutination qui s’est traduite à terme par l’urbanisation de Touba, lieu d’unicité et de retour à l’appartenance. La mondialisation n’est donc pas contrairement à certains prêts à penser synonyme de perte de sens du lieu et de l’identité.

La démarche d’autofinancement visionnaire, volontariste et autonomiste : « Derem ak ngerem »

Massalikul jinaan été effectivement réalisée à partir d’une mobilisation comme celle qui est également en cours pour la construction d’une université à Touba, du chemin de fer Diourbel-Touba, de la grande mosquée de Touba ou encore le Daaray Kamil (bibliothèque) et beaucoup d’autres investissements de la confrérie mouride. Ainsi, la construction territoriale des Mourides a comme capitale Touba où se trouve la grande mosquée construite au terme d’un labeur exceptionnel et autour d’une vision d’autofinancement volontariste comme il en existe peu dans le monde.
La construction de mosquées a toujours été comme toutes les conquêtes territoriales, des tests de la foi inébranlable des mourides. Il faut le noter : les premières grandes mosquées ont la particularité d’avoir été construites dans des moments de crise mondiale qui avaient eu un impact négatif sur la vie des colonisés du Sénégal : l’après première guerre mondiale, l’après crise de 1929, et l’après deuxième guerre mondiale qui a vu la relance et la finalisation de la grande mosquée de Touba. La mosquée de Touba et celle de Diourbel qui a été construite entre 1916 et 1919 était déjà un projet de Cheikh Ahmadou Bamba dès son retour du Gabon en 1902.

Mobilisation 

La mobilisation financière volontariste et autonomiste relève d’une vision du monde dans laquelle la recherche des deux bonheurs (dans le monde et dans l’au delà) est inter reliée et définit l’éthique du travail mouride. La finalité du « Derem » (argent) est le Ngerem (grâce et rémunération dans l’au delà). Sous cette ontologie civilisationnelle, les mourides s’ajustent infiniment aux valeurs islamiques et à leur quête d’un destin collectif fabuleux. C’est dans cette optique qu’ils ont conquis d’autres points forts au Sénégal et dans le monde.
La confrérie mouride est devenue un mouvement socio-religieux migrant qui a désormais une envergure internationale affirmée avec ses implantations de plus en plus fortes en dehors du Sénégal. Elle forme à Brescia, à Milan, à Naples, à New York, à Washington, à Madrid, à Libreville, à Abidjan, à Johannesburg, à Paris et dans beaucoup d’autres villes européennes, américaines et africaines, des communautés très attachées à leurs identités, leurs valeurs, et qui se retrouvent régulièrement à travers des manifestations religieuses, des visites de marabouts, des revendications syndicales, etc. Dans cette optique, la mouridiyya a besoin de retrouver dans tous les lieux d’implantation disséminés dans le monde, des supports symboliques qui structurent l’identité. Cette évolution est loin d’être propre à la confrérie mouride. Désormais, toutes les autres confréries sénégalaises (les tijanes, les khadres et les layènes notamment) fonctionnent en s’appuyant sur leur multiterritorialité se référant à l’histoire étrangère de leur fondation, la circulation initiatique ou prosélytique des fondateurs ou de leurs successeurs, ou encore le caractère transnational de la dispersion des disciples d’aujourd’hui. »

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