Liberté d’expression: un profil Facebook n’est pas un lieu public selon la Cour de cassation

Senego relaie, à travers cette contribution sur Facebook,  ce débat intéressant sur la liberté d’expression  sur les réseaux sociaux en France. Un sujet d’actualité au Sénégal…

« DROIT – La Cour de cassation a tranché: un profil Facebook n’est pas un lieu public… et cette décision relance le débat de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.

Le 10 avril, les juges de la Cour de cassation ont déclaré qu’une employée, plaidant sur sa page Facebook et sur son compte MSN pour « l’extermination des directrices comme la (sienne) » et des « patronnes (…) qui nous pourrissent la vie », ne pouvait pas se voir reprocher d’avoir tenu ces propos publiquement puisqu’ils n’étaient accessibles qu’à ses « amis » ou « contacts ».

Avec cet arrêt, la Cour de cassation admet ainsi que les propos que chacun publie sur les réseaux sociaux -et notamment sur Facebook- ne sont pas des propos tenus en public mais relèvent du privé. Ainsi les publications sur un profil Facebook ne sont plus susceptibles de faire l’objet de poursuites pour diffamation ou injure publique. « Une décision qui ne s’applique pas seulement à la salariée attaquée par son employeuse, mais à tous, souligne l’avocat Anthony Bem spécialisé dans le droit des réseaux sociaux. Ce que la Cour a décidé fera jurisprudence ».

Les juges ont néanmoins émis deux limites: pour qu’un compte Facebook soit « privé » aux yeux de la justice, il ne doit être accessible qu’à des personnes agréées par le titulaire du compte et fort peu nombreuses. En d’autres termes, que le profil ne soit pas ouvert à tous. La Haute juridiction prend également en compte le nombre d’amis. Pour que les propos soient privés, ils doivent être lus par un nombre très « restreint » d’amis. Toutefois, la Cour ne donne pas de limite chiffrée.

Vos amis Facebook sont une « communauté d’intérêt »

Comment la justice a-t-elle pu arriver à cette conclusion? Pour Anthony Bem, la clé de cette décision est la notion de « communauté d’intérêt ».

Un lieu d’expression devient privé lorsque les personnes s’y trouvant constituent une communauté d’intérêt, c’est à dire que ce groupe de personnes est lié « par une appartenance commune, des aspirations et des objectifs partagés ». Et selon les juges, vos amis Facebook correspondent à cette définition.

De 12.000 euros d’amende à… 38 euros

Avec cette jurisprudence, les utilisateurs de réseaux sociaux échappent au risque d’un procès correctionnel en diffamation ou injure publiques.

La diffamation ou l’injure non publiques, sont en effet punies comme une « contravention de 1ère classe », soit une amende de 38 euros, « la plus légère des infractions », précise Me Anthony Bem. L’affaire est donc de la compétence du juge de proximité. Alors que si elles sont publiques, ces injures ou diffamations constituent des délits passibles de 12.000 euros d’amende, voire 45.000 euros avec emprisonnement si elles sont aggravées (dans le cas d’injures raciales par exemple).

Cette décision reflète-t-elle la réalité d’un compte Facebook?

« En 2013, peut-on encore dire qu’un compte Facebook n’est accessible que par nos amis proches? Des personnes avec qui je partage des aspirations et des objectifs communs? », se demande Anthony Bem qui s’avoue « déçu » par l’arrêt de la Cour. « Il aurait fallu s’intéresser plus précisément au détail du compte Facebook », reproche cet avocat spécialisé.

Dans le cas d’injures concernant son employeur, que se passe-t-il si le salarié compte d’autres employés de son entreprise parmi ses « amis » Facebook? Connaît-on vraiment tous nos amis sur Facebook? Qu’est-ce qu’un nombre d’amis restreint sur ce site? Qu’en est-il pour les autres réseaux sociaux? Voici le type de questions que soulève cet arrêt.

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La décision de la Cour porte sur Facebook et MSN (service de messagerie instantanée qui a d’ailleurs fermé ses portes ce lundi 8 avril). Mais sur Twitter, on peut imaginer que la justice fera la différence entre un compte ouvert à tous (par défaut) et les utilisateurs qui ont « verrouillé » leurs tweets (les autres utilisateurs doivent faire une demande pour pouvoir s’abonner à ce twittos).

La fin des licenciements Facebook?

Anthony Bem rappelle que « très peu de cas d’injures ou de diffamations sur les réseaux sociaux se retrouvent devant la justice » et que le « buzz » ou du moins l’intérêt médiatique pour ces affaires a tendance à amplifier leur perception auprès du grand public. Mais depuis 2006, les réseaux sociaux servent de moyens de droit pour justifier le licenciement pour faute de salariés.

En novembre 2010, le tribunal des Prud’hommes de Boulogne-Billancourt avait estimé que le licenciement de deux salariés de la société de conseil en informatique Alten qui avaient critiqué leur hiérarchie sur Facebook était légal. Le juge estimait qu’une page, même personnelle, prend un caractère public dès lors que son contenu peut être lu par plusieurs personnes. Comme un mur Facebook.

D’autres décisions de justice avaient statué le contraire. En novembre 2011, la Cour d’appel de Besançon avait fait la distinction entre les publications Facebook ouvertes à tous et les éléments du « mur » dont l’accès est limité aux seuls contacts et qui dans ce cas devait être considéré comme un espace privé.

La dernière décision de la Cour de cassation vient clarifier cette notion de « public » ou « privé ». Si un salarié insulte son patron sur Facebook, il faudra a priori compter son nombre d’amis et vérifier ses paramètres de confidentialité… »

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