LES DR FRANKENSTEIN DE JOURNALISTES ( par Jean Meissa Diop)

La faute à qui si, comme s’en est plaint le président de la République le 12 mai, lors de la cérémonie de remise du rapport 2014 du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), des journalistes non professionnels prennent en otage la presse, les citoyens et des autorités de la République ?

Quand elles déplorent cette situation, les personnes comme le chef de l’Etat ne sont pas loin de croire que la responsabilité des « dérives de presse » des journalistes non professionnels incombent aux vrais journalistes professionnels accusés de ne vouloir rien faire pour assainir une profession infiltrée, au bord de la perte de crédibilité, et suppliant les législateurs de voter un projet de code dépénalisant le délit de presse. Quand on parle d’assainir le secteur de la presse, on croit que ce doit être la tâche exclusive des journalistes, les vrais, invités à se démarquer des imposteurs prébendiers, chasseurs de per diem, de privilèges, d’influences…

Mais que ne participent-ils pas, eux aussi, à cette œuvre de prophylaxie ceux qui ont donné de la crédibilité à des « journalistes » devenus visiteurs du soir au palais de la République, mangeant à la table du premier magistrat et se faisant « coxeur » (rabatteur) d’oulémas prêcheurs pour le compte des causeries de Ramadan de la première dame et de sa cour ?

Une autorité peut-elle, doit-elle avoir stipendié un journaliste pour ensuite se plaindre des rapines ultérieures dont ce dernier se serait rendu coupable ? Des dirigeants (de l’Etat comme du secteur privé) se plaignent des mœurs de certains journalistes devenues les mauvaises mœurs de toute une profession en oubliant que les Docteurs Frankenstein, c’est eux ; pour avoir conçu des monstres qui, échappant à leur contrôle, répandent terreur et dégâts.

Le rêve le plus fou d’un ancien vigile reconverti journaliste ne pouvait jamais être d’être visiteur du soir et commensal (c’est-à-dire hôte à manger) de Léopold Sédar Senghor alors président de la République.

Si un journaliste est actuellement en prison pour deux mois (et ce séjour risque de se prolonger à la suite de plaintes en justice contre lui, pour les mêmes faits) pour avoir tenté d’extorquer des fonds à des ministres et parlementaires, et exercer sur les uns un chantage persistant, c’est que le maître-chanteur s’est engouffré dans la porte d’entrée que lui ont ménagée ses victimes qui lui ont communiqué leurs

numéros de téléphone (sur lesquels ils ont reçu des messages comminatoires), ont accepté d’aller avec lui plus loin que les stricts contacts professionnels. Beaucoup de journalistes ne se sentent valorisés que par leurs relations avec les puissants, les repas auxquels ces derniers les convient, les boulettes qu’ils leur mettent aux poches – pour dire le moins.

De vrais et respectables journalistes sont aussi des Dr Frankenstein pour avoir promu « journalistes » des individus qui, dès après avoir intégré la profession, en sont devenus le ventre mou. C’est parce qu’ils ont prétendu « faire de l’audience » que des semi-analphabètes sont devenus des stars. Entre promouvoir la profession et sa réputation et faire de l’audience, le cœur de certaines responsables de radios n’a pas balancé. Avec les conséquences que l’on sait.

Lors de la Journée mondiale de la Liberté de presse, de respectables journalistes professionnels ont déploré le fait que les animateurs de programmes ont supplanté les journalistes ; ou que ces derniers se sont laissé déborder par des « metteurs de disques », des publicistes et des « liseurs » (pas lecteurs) de titres de journaux. Voilà comment la profession de journaliste a, au Sénégal, échappé à ceux que j’appelle toujours ses « légitimes pratiquants ». Tout est devenu si confus…

Des animateurs de programmes (de télévision ou de radio) se disant journalistes et/ou perçus comme tels par un public qui ne sait pas forcément faire la différence entre les deux. Des animateurs placés dans la catégorie des « professionnels de l’information et de la communication sociale » aussi bien par le code de la presse en vigueur que par celui qui devrait le remplacer ; des animateurs régis par les exhortations sur l’éthique et la déontologie, mais qui ne se sentent nullement engagés par celles-ci.

En fait, il n’y a pas qu’eux, puisque des journalistes se font des mascottes publicitaires alors que la Charte des devoirs du journaliste professionnel de Paris de 1918 et celle de Munich en 1971 stipulent qu' »un journaliste digne de ce nom ne signe pas de son nom (entendez aussi de sa voix et de son image, c’est nous qui soulignons et interprétons) des articles de pure réclame publicitaire. » Le code de la presse de la défunte Association nationale des journalistes du Sénégal (Anjs) ne permettait pas cette confusion des statuts ; il y avait, d’un côté, les journalistes et de l’autre, les autres professions de la presse écrite et audiovisuelle…

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