L’article 277 du Code électoral porte atteinte au principe d’autonomie des collectivités territoriales*
L’article 277 du Code électoral sénégalais établit des règles importantes concernant l’inéligibilité et l’incompatibilité des conseillers municipaux, ainsi que la procédure à suivre lorsqu’un cas de non-conformité est constaté. Il stipule que « tout conseiller municipal qui, pour une cause quelconque, se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité prévus par la loi peut être, à tout moment, déclaré démissionnaire par le représentant de l’État, sauf recours devant la cour d’appel dans les dix (10) jours de la notification. Tout électeur municipal peut saisir le représentant de l’État ou la cour d’appel lorsqu’il constate un cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité. »
Cet article vise à préserver l’intégrité des fonctions municipales en assurant que les conseillers municipaux respectent les critères d’éligibilité et ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts. Il prévoit également des recours juridiques pour éviter tout abus de pouvoir, tout en permettant aux citoyens de veiller au respect de ces règles. Cependant, cet article peut être perçu comme une atteinte au principe d’autonomie des collectivités territoriales.
La notion de « constater la démission »
L’expression « constater la démission » dans ce cadre peut effectivement prêter à confusion, car la démission est généralement perçue comme un acte volontaire, par lequel une personne décide de quitter ses fonctions de son propre chef. Toutefois, ici, il s’agit d’une « démission d’office », une notion spécifique en droit administratif. Ce n’est donc pas une démission volontaire, mais une décision administrative assimilée à une démission, souvent appelée « démission d’office ».
« Constater la démission » dans ce contexte est une formalité administrative par laquelle l’autorité compétente reconnaît qu’un conseiller municipal est dans l’incapacité légale de continuer à exercer ses fonctions. Cette « démission » est alors imposée par la loi, ce qui la distingue d’une révocation ou d’une démission volontaire.
Dans des affaires relatives à l’inéligibilité d’un maire, plusieurs cas de jurisprudence ont vu des représentants de l’État intervenir pour constater la démission d’office d’un maire déclaré inéligible. Par exemple, dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 10 octobre 2007, un maire condamné pour prise illégale d’intérêt a été déclaré inéligible et démis d’office par le préfet.
Cependant, en permettant à un représentant de l’État de constater la démission d’un maire, l’article 277 impose une limite au principe d’autonomie des collectivités territoriales.
Une atteinte au principe d’autonomie des collectivités territoriales
L’article 277 constitue une limite au principe d’autonomie des collectivités territoriales, car il peut entraîner une ingérence de l’État dans la gestion locale. Cette ingérence se traduit par un manque de contrôle démocratique local, une concentration des pouvoirs entre les mains de l’État, un affaiblissement de la légitimité des institutions locales, et un risque de politisation des décisions étatiques.
- Interférence de l’État dans la gestion locale : L’autonomie des collectivités territoriales repose sur la libre administration de leurs affaires par des élus locaux. Or, en permettant à un représentant de l’État de constater la démission d’un maire, l’article 277 introduit une forme de contrôle direct par l’État central sur les institutions locales. Cela peut être perçu comme une atteinte à la liberté des collectivités de s’auto-organiser et de gérer elles-mêmes leurs élus.
- Absence de contrôle démocratique local : L’autonomie des collectivités territoriales implique que les électeurs locaux doivent avoir le pouvoir de sanctionner leurs élus, par exemple en ne renouvelant pas leur mandat ou en demandant leur destitution dans certains cas. En conférant à un représentant de l’État la faculté de démettre un maire, on prive la population locale de ce pouvoir de sanction démocratique, ce qui pourrait être perçu comme contraire au principe de souveraineté populaire qui sous-tend l’autonomie locale.
- Concentration des pouvoirs dans les mains de l’État : L’autonomie locale est fondée sur une séparation des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Or, l’article 277 permet à l’État de s’immiscer dans les affaires locales en décidant du sort des élus. Cela renforce une centralisation des pouvoirs au détriment du principe de subsidiarité, selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus proche des citoyens.
- Affaiblissement de la légitimité des institutions locales : L’article 277 pourrait affaiblir la légitimité des institutions locales en donnant l’impression que les maires sont soumis à un contrôle de l’État plutôt qu’à celui de leurs électeurs. Cette situation pourrait diminuer la confiance des citoyens envers leurs représentants locaux, créant un sentiment d’ingérence dans la gouvernance communale.
- Risque de politisation des décisions de l’État : En confiant à un représentant de l’État le pouvoir de constater la démission d’un maire, il existe un risque de politisation de cette décision. Si le représentant de l’État appartient à une majorité politique différente de celle du maire concerné, la mesure pourrait être perçue comme une manipulation politique pour déstabiliser une opposition locale, fragilisant ainsi l’autonomie et l’indépendance des collectivités.
En conclusion, l’application de l’article 277 du Code électoral porte atteinte au principe d’autonomie des collectivités territoriales en renforçant l’emprise de l’État sur les élus locaux et en fragilisant leur légitimité démocratique. Il semble donc nécessaire de procéder à des réformes profondes pour permettre aux collectivités territoriales d’assumer pleinement leur mission de développement. À cet égard, l’agenda 2050 de transformation systémique du Sénégal constitue une belle opportunité pour corriger les dysfonctionnements liés au Code électoral et au Code général des collectivités territoriales
*Dr Tabouré AGNE
agnetaboure @yahoo.fr
Étant donné qu’il est permis à la victime d’introduire un recours,je pense qu’il ne peut y avoir d’abus de la part de l’exécutif.Le dernier mot appartient au juge,pas au représentant de l’État.
Dr Tabouré Agne a raison. Le contrôle de légalité qu’ effectue le préfet ou le sous-préfet vis-à-vis des actes des organes exécutifs des communes et départements doit être dosé et rationalisé. Sinon, les maires et les présidents de conseil départemental peuvent être GÊNÉS dans leurs manœuvres. Ils peuvent, au lieu d’être autonomes, se voir imposer par les représentants de l’Etat. Ce dernier va les DÉSAUTONOMISER, les réduisant à des faire-valoir.
Il faut donc, comme l’a dit Dr Tabouré Agne, réformer la loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code des collectivités locales. Il faut expurger tout ce qui nuit à l’autonomie des maires et des présidents de conseil départemental.