La Portabilité lancée au Sénégal dans l’impréparation…sociale ! Une opportunité ratée ?

Attendue depuis cinq ans la portabilité sera enfin lancée demain au Sénégal (aujourd’hui mardi : Ndlr). Si les consommateurs se réjouissent de cette avancée qui devrait leur faire bénéficier des avantages du procédé qui leur permet de changer d’opérateur tout en conservant leur numéro de portable, sont ils pour autant préparés à se l’approprier en faisant jouer la concurrence pour pousser les opérateurs à tout mettre en œuvre pour offrir la qualité de service, les tarifs et une meilleure couverture pour les retenir ?
Donc la portabilité sera lancée demain ! Les consommateurs ne peuvent que se réjouir de cette évolution. Nous l’attendions depuis 2012 quand nous avons lancé notre campagne pour demander la mise en place de la portabilité au Sénégal.
2012, que dis je ? Depuis 2010 ! C’est la date où CICODEV Afrique avait écrit au DG de l’ARTP (Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes) d’alors pour exhorter l’institution à mettre en place la portabilité au Sénégal ; après avoir mené une enquête auprès d’un échantillon d’usagers du téléphone mobile sur leur perception de l’effectivité de la concurrence dans le secteur, leurs stratégies pour tirer profit de la concurrence et leur connaissance de la portabilité.
Cinq ans donc que nous l’attendions.
Assez de temps pour permettre aux opérateurs qui n’en voulaient pas de gagner du temps et de s’y préparer. Ils ont recours à cette même stratégie dans tous les pays qui ont cherché à introduire la portabilité.
Cinq ans ! Trop de temps pour les consommateurs qui, las d’attendre, ont développé d’autres stratégies, ont recouru à d’autres alternatives dans leur recherche d’une meilleure qualité de service des télécoms, une meilleure couverture, des tarifs plus justes et plus transparents.
Ils ont eu recours à l’achat de plusieurs portables, l’achat de puces des différents opérateurs qu’ils utilisent à tour de rôle dans le même téléphone selon leur avantage et les…promotions ; l’achat de portable pouvant porter une double ou triple puce ; la prise du même numéro chez tous les opérateurs précédés de leurs préfixes ; ou enfin le changement d’opérateur vers le plus avantageux.
Ils ne se résolvent cependant à cette dernière option qu’en dernier recours et souvent sur un dépit d’amoureux ou un coup de gueule avec leur opérateur, car ils ont peur de perdre leur carte d’identité, je veux dire leur numéro de téléphone sous lequel tout le monde (parents, amis, relations d’affaires, correspondants) les connaît.
Ce temps d’attente aurait été moins amer pour nous si nous avions senti une bonne préparation des usagers et consommateurs pour leur permettre de tirer le meilleur profit de cette innovation. L’appropriation nécessaire pour porter ce genre d’innovation ne peut avoir lieu car il n’y’a pas eu de préparation et de campagne sociale nécessaire pour cela. L’ARTP n’a prévu qu’une réunion avec les consommateurs et à la veille du lancement de la portabilité au Sénégal ; avec comme objet les informer des « enjeux de la portabilité, les différentes étapes du projet et du lancement ».
La bataille de la portabilité portera principalement sur le prépayé.
Quelle stratégie de communication a été mise en place pour ces consommateurs prépayés qui constituent 90% des usagers pour les informer de ce qu’est la portabilité, comment y recourir, les pièges à éviter, les convaincre de sa pertinence et les préparer à son utilisation effective. En un mot les pousser à s’approprier la portabilité.
C’est un travail de proximité, d’information et d’éducation sur les enjeux de la portabilité qu’il aurait fallu faire, au moins un mois avant le lancement, comme ce fut le cas pour l’identification des numéros.
Il y a eu quelques panneaux publicitaires ici et là, sur les grandes artères et dans les quartiers huppés, quelques bandeaux à la une dans la presse et les sites web, un article sur le site de l’ARTP. Pas suffisant ! Pas efficace ! Pas efficient ! Ces supports s’adresseraient peut être plus aux usagers post payé.
Ceci risque de faire paraître et de réduire la mise en place de la portabilité à un artifice juridique pour attirer un autre opérateur sur le marché et faciliter ainsi la vente d’une quatrième licence.
Ce serait dommage ; car nous voulons un vrai environnement concurrentiel, une portabilité portée par les consommateurs.
C’est comme ça que nous pourrons contrecarrer l’argument que ne manqueront d’utiliser les critiques de la portabilité en réduisant l’innovation au nombre de numéros portés.
Non! L’objet de la portabilité, c’est de donner la possibilité à l’usager de se savoir libre de migrer vers un autre opérateur quand il sait que l’autre fait mieux. C’est l’opérateur qui lui « court après » et non plus le contraire ! Il n’est plus un client captif d’un opérateur.
La portabilité est une fonctionnalité qui rend le marché plus compétitif et renverse la logique et la stratégie de l’opérateur en l’obligeant à mettre l’accent autant sur le « recrutement » que sur la « rétention du client”. Donc sa stratégie sera basée plus sur un meilleur service: la qualité, les tarifs et la couverture du territoire deviennent les leviers pour attirer et retenir les clients.
Sous cette perspective même si c’est un (1) seul usager qui a effectivement fait le portage de son numéro, c’est un succès ; car pourrait signifier que les opérateurs ont fait les efforts nécessaires pour retenir leurs clients.
Amadou Kanouté