La France et la révision de sa stratégie militaire en Afrique : « Une apparente retraite ou une réorganisation masquée ? »
Alors que l’Élysée a réuni un Conseil de défense pour redéfinir sa stratégie militaire et civile en Afrique, un tournant important semble se dessiner dans les relations entre la France et ses anciens partenaires africains. Un rapport clé, rédigé par Jean-Marie Bockel, envoyé spécial du président Emmanuel Macron, doit être rendu public dans les jours à venir. Ce document pourrait bouleverser la perception du rôle de la France en Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest, où son influence militaire est de plus en plus contestée.
Depuis plusieurs mois, la France annonce la fin progressive de sa présence militaire permanente dans des pays tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, et le Gabon. Des bases historiques, comme celle de Port-Bouët en Côte d’Ivoire, sont censées être placées sous le contrôle des gouvernements hôtes.
Cependant, cette « remise de contrôle » suscite de nombreuses interrogations. Si Paris parle de retrait, les faits montrent une simple réorganisation de ses forces, avec l’établissement de nouveaux centres de formation et de coopération militaire. Cette réarticulation se fait notamment via des détachements temporaires, permettant ainsi à la France de maintenir une présence discrète, mais toujours efficace.
Les annonces françaises de retrait de leurs bases militaires doivent être examinées avec prudence. En réalité, il s’agit davantage d’une reconfiguration que d’un véritable retrait. Le modèle actuel de collaboration militaire, sous forme de détachements interarmées et de formations conjointes, suggère que la France n’a pas l’intention de quitter l’Afrique de l’Ouest. Elle modifie seulement la nature de sa présence pour éviter les critiques croissantes à son égard, notamment après l’expulsion de ses troupes de pays comme le Mali et le Niger.
La Côte d’Ivoire est un exemple frappant de cette stratégie. Alors que les discussions entre les autorités ivoiriennes et françaises se poursuivent au sujet du retrait des forces stationnées à Abidjan, il apparaît que la France cherche simplement à adapter sa posture militaire. Des centres de formation pour les troupes ivoiriennes sont en cours de création, et des exercices conjoints, tels que celui de septembre à Bouaké, témoignent de la volonté de maintenir une coopération militaire étroite sous un nouveau visage.
Malgré cette apparente volonté de retrait, de nombreux observateurs africains et experts en géopolitique dénoncent une manœuvre habile de la France pour conserver son influence dans la région. Ils estiment que ces annonces masquent une politique néocoloniale continue, où la France, bien que moins visible, reste active dans les affaires militaires de ses anciennes colonies. L’objectif ne serait donc pas de permettre à ces pays de retrouver une pleine souveraineté, mais plutôt de maintenir un contrôle indirect sous couvert de partenariats sécuritaires.
Comme l’a récemment déclaré le président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, la France utiliserait certains pays comme la Côte d’Ivoire comme des bases stratégiques pour poursuivre ses objectifs dans la région du Sahel, en proie à des crises sécuritaires. Cette accusation résonne avec la montée des contestations populaires à l’encontre de la présence militaire française sur le continent africain.
Pour que des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal puissent réellement affirmer leur souveraineté, la question de la présence militaire étrangère doit être au cœur des débats. Tant que des troupes étrangères continueront à opérer sur leur sol, il sera difficile pour ces nations de s’émanciper pleinement de l’influence postcoloniale.
La France, en réarticulant sa stratégie, semble vouloir réduire les tensions sans réellement abandonner sa mainmise sur ces territoires. Il reste à voir si cette approche permettra à Paris de maintenir son rôle en Afrique, ou si les pays africains choisiront une autre voie, celle de l’indépendance militaire totale et de la gestion de leurs propres défis sécuritaires.
Mamadou Coulibaly